28 Juin 2014 – Il y a 100 ans, l’attentat de Sarajevo entraînant l’Europe dans la 1re Guerre mondiale. Quelles leçons en tirer ?

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Il y a 100 ans jour pour jour – le 28 juin 1914 -, le nationaliste serbe de Bosnie Gavrilo Princip assassinait à Sarajevo (Bosnie) l’héritier de l’Empire austro-hongrois, l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand ( de son vrai nom Franz Ferdinand von Österreich-Este ), et son épouse Sophie Chotek de Chotkowa et Woguin, duchesse de Hohenberg.

Même si cet assassinat ne fut évidemment pas la seule raison du conflit qui allait embraser l’Europe, il n’en fut pas moins l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale.

NOTA

Le texte et les photos ci-dessous sont une synthèse de ma conférence “L’EUROPE C’EST LA GUERRE”, dont je me permets de suggérer vivement le visionnage à tous les internautes soucieux de bien comprendre l’Histoire et de faire en sorte qu’elle ne se renouvelle pas. Ils pourront y découvrir pourquoi, loin de nous assurer la paix comme ne cesse de nous le dire la propagande, la prétendue « construction européenne » est en train de nous entraîner vers une nouvelle guerre mondiale, en mettant en place les mêmes ingrédients que ceux qui provoquèrent le premier conflit mondial :

Conférence visible ici : https://www.upr.fr/videos/conferences/leurope-cest-la-guerre-2

 Je conseille aussi de relire mon analyse, intitulée L’Union européenne c’est la guerre ! publiée le 13 octobre 2012 sur notre site : https://www.upr.fr/actualite/france-europe/prix-nobel-union-europenne

L’ATTENTAT DU 28 JUIN 1914 À SARAJEVO

L’archiduc d’Autriche François-Ferdinand et son épouse Sophie Chotek, quelques heures avant leur assassinat.

L’archiduc d’Autriche François-Ferdinand et son épouse Sophie Chotek sortent de l’Hôtel de Ville de Sarajevo à 11h10 et s’apprêtent à monter dans leur voiture officielle pour le déplacement qui va leur être fatal. Ils vont être assassinés une dizaine de minutes après.

Le Pont Latin, devant lequel a eu lieu l’assassinat.

Alors que la voiture de François-Ferdinand est immobilisée, un terroriste surgi de la foule saisit l’occasion qui lui est ainsi offerte pour tirer presque à bout portant deux coups de revolver sur les deux conjoints. Ce dessin est extrait du journal français ” Le Petit Journal” daté du 12 juillet 1914.

L’assassin du couple est immédiatement arrêté par la police, qui empêche son lynchage par la foule et qui le conduit au commissariat.

L’assassin se nomme Gavrilo Princip. Né en 1894 et mort le 28 avril 1918 à Terezín, alors Theresienstadt (Bohême, Autriche-Hongrie), c’était un étudiant serbe de Bosnie, se disant nationaliste yougoslave. En 1911, à l’âge de 17 ans, il avait adhéré à un club de jeunesse d’union des peuples, une organisation anationale et anticléricale, puis avait rejoint la société Jeune Bosnie (Mlada Bosna).

Chapelle ardente avec les dépouilles mortelles de l’archiduc d’Autriche et de son épouse Sophie Chotek.

La nouvelle de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche et de sa femme fait le tour du monde. Le New York Times lui consacre sa Une le lendemain, 29 juin 1914.

 

LES RAISONS PROFONDES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Ce qui donna à cet assassinat des conséquences effroyables, c’est qu’il survenait dans un climat délétère d’antagonisme croissant entre les grandes puissances européennes. Si l’Europe allait se précipiter dans la guerre, c’est parce que 4 causes essentielles et structurelles avaient mis en place, depuis plusieurs années, les ingrédients d’une conflagration générale :

  • 1°) les disparités de croissance économique et démographique,

Les disparités les plus criantes concernaient notamment l’Empire russe et le Reich allemand d’un côté, l’Allemagne et la France de l’autre côté.

  • 2°) les rivalités coloniales des puissances européennes, notamment de l’Allemagne vis-à-vis des empires coloniaux britannique et français.

Ces rivalités avaient été émaillées par plusieurs crises, que n’avait pas réglées la Conférence de Berlin de 1884-1885 visant au partage de l’Afrique :

– Voyage de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II en Orient (1898). Ce déplacement, qui s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle “Weltpolitik” (politique mondiale) allemande témoigne d’ambitions qui inquiètent le Royaume-Uni et la France,

1898 : En France, Le Petit Journal, mi-narquois ml-inquiet, fait le dessin de sa Une sur le voyage de Guillaume II à Constantinople et en Orient.

 

– Voyage de l’Empereur d’Allemagne au Maroc (1905), perçu comme une provocation par la France,

– Crise franco-allemande d’Agadir (1911)

– Convention navale entre l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche-Hongrie visant à couper les communications entre la France et l’Algérie (1913),

– Construction du chemin de fer entre Istamboul et Bagdad par des intérêts allemands (Bagdadbahn), s’opposant aux intérêts britanniques et français au Moyen-Orient (1911 – 1913),

– etc.

“Wir bauen die Bagdadbahn” = “Nous construisons le chemin de fer de Bagdad”. Littérature allemande pour enfants – vers 1912.

  • 3°) des États supranationaux en déliquescence

Trois empires – qui niaient l’existence politique de nationalités différentes au sein de leur ensemble politique – étaient en pleine déliquescence dans chacun des deux camps :

– l’Empire austro-hongrois de la dynastie de Habsbourg d’un côté,

– l’Empire russe de la dynastie des Romanov d’un autre côté,

– l’Empire ottoman enfin.

Dans les trois cas, le système politique impérial apparaissait à bout de souffle, s’opposant à l’émancipation des peuples placés sous leur domination.

La présence de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand à Sarajevo en juin 1914 était d’ailleurs l’une des manifestations concrètes de ce système de domination impériale vermoulu.

Elle était l’une des conséquences du Congrès de Berlin (13 juin – 13 juillet 1878), présidé par Otto von Bismarck, chancelier de l’Empire allemand. Au cours de ce congrès, le Royaume-Uni, l’Autriche-Hongrie, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Empire russe et l’Empire ottoman du sultan Abdul Hamid II avaient conclu un nouveau traité – le traité de Berlin – qui avait modifié le traité de San Stefano, signé le 3 mars de la même année, et avait redessiné la carte des Balkans et du Caucase.

Ce traité de Berlin avait décidé de confier à l’Empire austro-hongrois l’administration de la Bosnie-Herzégovine, tout en laissant ce territoire comme étant juridiquement une possession turque. Or l’Empire austro-hongrois, violant ces stipulations du traité de Berlin, avait purement et simplement décidé d’annexer le pays en 1908, ce qui avait provoqué la colère en Serbie voisine, du fait d’une importante présence de Serbes en Bosnie.

1908 : En France, Le Petit Journal fait le dessin de sa Une au dépeçage de l’Empire ottoman, et notamment à la décision de l’Empire austro-hongrois de s’approprier la Bosnie-Herzégovine, en violation du traité de Berlin de 1878 (tandis que l’Empire russe libère la Bulgarie).

La décision de la Cour de Vienne de prendre possession de la Bosnie avait également vivement mécontenté l’Empire russe, qui se considérait comme le protecteur des Slaves d’Europe et avait à ce titre des liens avec la Serbie. Mais, comme le régime de Nicolas II venait de subir l’humiliante défaite de 1905 face au Japon, il n’avait pas eu les moyens d’une intervention armée après sa défaite face au Japon. Quant aux alliés de la Russie, la République française et le Royaume-Uni, ils avaient jugé préférable de ne pas intervenir dans cette poudrière des Balkans.

L’assassinat de François-Ferdinand ne fut donc que l’une des manifestations – la plus spectaculaire – des mouvements de libération des Serbes de Bosnie, qui refusaient à la fois le viol du traité de Berlin et la domination impériale autrichienne.

  • 4°) des systèmes d’alliances concurrents prétendument mis sur pied « pour garantir la paix ».

4.1.) la Triple-Entente

Cette coalition, composée de la France, du Royaume-Uni et de la Russie, s’était créée pour… garantir la paix face aux deux empires centraux de l’Europe, l’Empire austro-hongrois et le Deuxième Reich allemand, bâti par Bismarck à partir de la Prusse au cours des années 1860.

Plusieurs États se joignirent à cette coalition au moment du déclenchement de la guerre : notamment la Belgique, envahie par l’Allemagne, qui fit appel à la France et au Royaume-Uni garantes de son indépendance. Le Japon rejoignit la coalition en août 1914, l’Italie en avril 1915, la Roumanie en août 1916 et les États-Unis en avril 1917, ainsi que de nombreux autres pays moins puissants.

4.2.) la Triple Alliance ou la Triplice. 

La coalition de la Triple Alliance était initialement constituée de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie. L’Empire ottoman les rejoignit en octobre 1914, suivi un an plus tard du Royaume de Bulgarie.

LE DÉCLENCHEMENT DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : L’ENGRENAGE FATAL

Dans cette situation géopolitique, économique et politique explosive, l’attentat du 28 juin 1914 ne fut que l’étincelle qui mit le feu aux poudres.

Dès l’attentat connu, l’Autriche-Hongrie suspecta immédiatement la Serbie, alliée de la Russie, d’en être à l’origine. Quelques jours après – le 5 juillet – l’Allemagne commença à jeter de l’huile sur le feu, en assurant l’Autriche-Hongrie de son soutien contre la Serbie.

C’est alors que s’enclencha l’engrenage fatal. Les exigences de vengeance de l’Autriche-Hongrie (fortement encouragée par l’Allemagne) à l’encontre du Royaume de Serbie provoquèrent une réaction en chaîne, avec l’activation d’une série d’alliances qui entraînèrent les puissances européennes dans la guerre.

  • Le 23 juillet, la Cour de Vienne, appuyée par celle de Berlin, lança un ultimatum en dix points au gouvernement de Serbie, avec une date limite de réponse fixée pour 5 jours après, le 28 juillet.
  • Le lendemain, 24 juillet, la Russie ordonna la mobilisation générale pour les régions militaires d’Odessa, Kiev, Kazan et Moscou, ainsi que pour les flottes de la Baltique et de la mer Noire.
  • Le 25 juillet, la Serbie décréta à son tour la mobilisation générale, mais déclara accepter tous les termes de l’ultimatum autrichien, à une seule exception près : elle refusa l’envoi d’enquêteurs autrichiens en Serbie, jugeant cette demande offensante au regard de la souveraineté serbe.
  • Le 26 juillet, l’Autriche rompit ses relations diplomatiques avec la Serbie et ordonna une mobilisation partielle contre elle.
  • Le 28 juillet, jour de l’expiration de son ultimatum, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie. L’Italie déclara sa neutralité.

Pour faire baisser la tension, le gouvernement français ordonna à son armée de retirer toutes ses troupes à 10 km en-deçà de la frontière allemande (l’Alsace-Moselle étant alors allemande), ce qui devait se révéler une décision tactique très dommageable lorsque la guerre éclata quelques jours après.

  • Le 29 juillet, cédant à son entourage, le tsar Nicolas II déclara unilatéralement la mobilisation partielle contre l’Autriche-Hongrie. En agissant de la sorte, sans respecter la concertation prévue par les accords militaires franco-russes, la Russie prenait à la fois le risque du déclenchement de la guerre mais aussi celui d’y entraîner la France contre son gré.
  • Le 30 juillet, la Russie ordonna la mobilisation générale contre l’Allemagne.
  • Le 31 juillet, l’Allemagne proclama « l’état de danger de guerre ». Le Kaiser Guillaume II demanda à son cousin le tsar Nicolas II de suspendre la mobilisation générale russe, puis adressa un ultimatum exigeant l’arrêt de sa mobilisation et l’engagement de ne pas soutenir la Serbie.

Parallèlement, l’Allemagne adressa un autre ultimatum à la France, lui demandant de ne pas soutenir la Russie si cette dernière venait à prendre la défense de la Serbie.

En France, le socialiste Jean Jaurès – qui ne cessait de militer auprès des Français et des pouvoirs publics pour que cet engrenage fatal soit enrayé – fut assassiné à Paris par Raoul Villain au café du Croissant situé près des Grands Boulevards.

Jean Jaurès ( 3 septembre 1859 – 31 juillet 1914).

Issu de la bourgeoisie et agrégé de philosophie, il débuta sa carrière politique comme député républicain et adhéra aux idées socialistes après la grande grève des mineurs de Carmaux. Ayant pris position en faveur du capitaine Dreyfus pendant la célèbre Affaire Dreyfus, il fut l’un des rédacteurs de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905 et participa la même année à la création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Ses positions réformistes lui valurent l’opposition d’une partie de la gauche révolutionnaire. Il consacra les dernières années de sa vie à empêcher, en vain, le déclenchement de la Première Guerre mondiale et fut assassiné par Raoul Villain à la veille du début du conflit. Cet événement entraîna paradoxalement le ralliement de la gauche à l’« Union sacrée » en faveur de la guerre.

Plaque commémorative de l’assassinat de Jean Jaurès au Café du Croissant. Ce café existe toujours : il est situé au 146, rue Montmartre, à l’angle de la rue du Croissant, dans le 2e arrondissement de Paris.

 

  • Le 1er août, à la suite de la réponse négative russe, l’Allemagne mobilisa et déclara la guerre à la Russie.

En France, le gouvernement décréta la mobilisation générale le même jour, à 16h.

  • Le 2 août, l’Allemagne envahit le Luxembourg, un pays neutre, et adressa un ultimatum à la Belgique, elle aussi neutre, pour réclamer le libre passage de ses troupes. Au même moment, l’Allemagne et l’Empire ottoman signèrent une alliance contre la Russie.
  • Le 3 août, la Belgique rejeta l’ultimatum allemand.

L’Allemagne adressa un ultimatum au gouvernement français, exigeant la neutralité de la France qui en outre devrait abandonner trois places fortes dont Verdun.

Le gouvernement français répondit : « la France agira conformément à ses intérêts ».

L’Allemagne déclara alors la guerre à la France, puis à la Belgique.

  • Le 4 août, le Royaume-Uni déclara garantir la neutralité belge, et réclama que les armées allemandes, qui venaient de pénétrer en Belgique, soient immédiatement retirées.

Ne recevant aucune réponse de Berlin, le Royaume-Uni déclara la guerre à l’Allemagne.

Seule l’Italie, membre de la Triplice qui la liait à l’Allemagne et à l’Autriche, se réserva la possibilité d’intervenir plus tard suivant les circonstances.

  • Le 6 août, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Russie aux côtés de l’Allemagne.
  • Le 11 août, la France déclara la guerre à l’Autriche-Hongrie.
  • Le 13 août, le Royaume-Uni déclara la guerre à l’Autriche-Hongrie.

Comme le Royaume-Uni, la France, la Belgique et l’Allemagne possédaient des colonies, l’affrontement prit alors en effet la dimension d’une « Guerre mondiale » : faisant partie du Commonwealth britannique, le Canada, l’Australie, l’Inde, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud entrèrent automatiquement en guerre contre l’Allemagne, de même que les colonies françaises et belges en Afrique.

  • Le 23 août, le Japon déclara la guerre à l’Allemagne.
  • Le 1er novembre, l’Empire ottoman s’allia aux empire centraux : l’Autriche-Hongrie et le Reich allemand.

LES SUITES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

La Première Guerre mondiale allait causer 9 millions de morts, 20 millions de blessés, des destructions considérables, et l’effondrement de 4 empires plurinationaux :

  • l’Empire russe,
  • l’Empire austro-hongrois,
  • l’Empire allemand,
  • et l’Empire ottoman.

La Première Guerre mondiale allait ainsi provoquer un changement décisif dans la répartition planétaire des pouvoirs : l’Europe perdait sa suprématie mondiale au profit des États-Unis, en pleine ascension, qui allaient dominer la planète dès après 1918, et a fortiori après 1945.

Ce qu’il importe de bien comprendre, c’est que cette désintégration des 4 empires qui régnaient sur l’Europe en 1914 apparut aux contemporains comme la conséquence logique et souhaitable du conflit. Car, à leurs yeux, la Première Guerre mondiale avait résulté de l’existence de ces constructions politiques supranationales qui constituaient des prisons des peuples, autoritaires ou dictatoriales, adeptes des coups de force (annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire austro-hongrois), et refusant l’émancipation des peuples sous tutelle.

C’est d’ailleurs cette perception très vive des origines du conflit – et donc des moyens d’empêcher le retour d’une guerre mondiale – qui fut à la base des fameux « quatorze points de Wilson », nom donné au programme du président des États-Unis Woodrow Wilson pour mettre fin à la Première Guerre mondiale et reconstruire l’Europe.

Ces « quatorze points de Wilson » furent présentés, à l’opinion publique américaine et mondiale, dans un discours retentissant le 8 janvier 1918 devant le Congrès des États-Unis.

 

8 janvier 1918 : le président des États-Unis Woodrow Wilson énonce ses « quatorze points » pour mettre fin à la Première Guerre mondiale et reconstruire l’Europe.

 

Parmi les points les plus importants figuraient :

  • le droit à l’auto-détermination des peuples emprisonnés dans les constructions politiques supranationales,
  • la restitution des souverainetés sur les terres occupées à la suite de victoires militaires, comme l’Alsace-Lorraine pour la France,
  • l’interdiction de la diplomatie secrète,
  • le désarmement,
  • le libre accès à la mer,
  • le libre-échange (abolition des droits de douane, ouverture des marchés de capitaux et de marchandises).

Ce programme, qui avait été élaboré par Washington sans consultation préalable des dirigeants européens, annonçait le démantèlement des empires, l’apparition de nouveaux États dont le tracé recouvrait les nationalités (la Yougoslavie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, la Hongrie…), et la création de la Société des Nations.

Cependant, l’application du principe de l’auto-détermination fut refusée par Wilson aux peuples vaincus, et tout spécialement aux Allemands : les frontières de la nouvelle Allemagne – la République de Weimar – n’inclurent ni les populations allemandes en Autriche-Hongrie (d’où la création de l’Autriche, dont le premier intitulé était Deutschösterreich soit Autriche allemande) ni celles vivant en Bohême (les Allemands des Sudètes furent intégrés dans la nouvelle Tchécoslovaquie), ni celles vivant dans le “corridor de Dantzig”, qui permettait à la Pologne d’accéder librement à la mer, mais qui coupait la République de Weimar (Allemagne) en deux.

Ce “2 poids – 2 mesures” entre les peuples vainqueurs et les peuples vaincus allait entacher gravement la légitimité de l’ensemble de ce redécoupage de la carte de l’Europe et allait conduire directement à la Deuxième Guerre mondiale. C’est ce que prédit l’historien français royaliste Jacques Bainville dès 1920, avec un sens de l’analyse prospective réellement prophétique, dans son ouvrage resté célèbre Les Conséquences politiques de la Paix.

Il souligna que le Traité de Versailles de 1919, les compensations très importantes demandées à l’Allemagne, et le double-standard des « quatorze points de Wilson » humiliaient l’Allemagne et la pousseraient fatalement à la revanche dans un avenir proche. Avec 15 ans d’avance, il décrivit de façon stupéfiante l’apparition d’une Allemagne revancharde et tout le processus de déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, à savoir l’Anschluss (annexion de l’Autriche par le IIIe Reich), la crise des Sudètes avec la Tchécoslovaquie et le pacte germano-soviétique contre la Pologne.

QUELLE LEÇON DOIT-ON TIRER DE CES ÉVÉNEMENTS 100 ANS APRÈS ? 

La propagande européiste nous assure continuellement que la prétendue « construction européenne » nous assure la paix et nous prémunit contre le retour des deux grands conflits mondiaux qui ont ensanglanté le XXe siècle.

Pourtant, l’analyse lucide des causes profondes de la Première Guerre mondiale nous révèle que ces causes sont de retour et que c’est justement l’Union européenne qui est en train de recréer les conditions explosives d’un nouveau conflit planétaire.

Reprenons-les en effet l’une après l’autre :

  • 1°) les disparités de croissance économique et démographique,

De nos jours :

– des disparités criantes de croissance démographique opposent l’Europe d’un côté, le sud de la Méditerranée de l’autre.

– des disparités criantes de croissance économique opposent l’Europe occidentale d’un côté, la Russie et l’Asie de l’autre.

  • 2°) les rivalités coloniales des puissances européennes,

De nos jours, ces rivalités coloniales visent comme jadis à ce constituer des marchés captifs et des sources d’approvisionnement en matières premières. Au premier rang desquels les ressources énergétiques en hydrocarbures.

Si, dans les années 1900- 1913, ces rivalités avaient pour nom “Crise du Maroc”, “Crise d’Agadir”, “Bagdadbahn”, elles ont aujourd’hui pour nom “Guerre en Irak”, “Guerre en Syrie”, “Indépendance du Sud-Soudan”, “Entrée de l’Ukraine dans l’UE”, etc.

  • 3°) des États supranationaux en déliquescence

De nos jours, les constructions politiques plurinationales qui nient l’existence politique des peuples ne s’appellent plus Empire austro-hongrois, Empire russe ni Empire ottoman.

Elles s’appellent :

  • les États-Unis d’Amérique – qui, quoi que n’étant pas eux-mêmes un État supranational, entendent néanmoins imposer leur hégémonie à la planète entière, en procédant pour cela à la destruction des Nations et au regroupement de force des peuples dans des entités supranationales
  • l’Union européenne, qui veut imposer un État continent à une trentaine de peuples européens qui n’en veulent pas.
  • 4°) des systèmes d’alliances concurrents prétendument mis sur pied « pour garantir la paix ».

4.1.) l’OTAN

Je rappelle que la Triple Alliance, composée de la France, du Royaume-Uni et de la Russie, s’était créée pour… assurer la paix face aux empires centraux. De nos jours, c’est l’OTAN qui a remplacé en quelque sorte la Triple Alliance. Il s’agit théoriquement d’assurer la paix face… à la Russie et au “terrorisme jihadiste”. Dans notre imaginaire collectif, la Russie et le monde musulman occupent désormais la place des Empires allemand, austro-hongrois, et ottoman de nos aïeux de 1914.

4.2.) l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC)

Créée en 1992, c’est une organisation à vocation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, et le Tadjikistan. Elle a vocation à assurer la paix… face à l’OTAN

4.3.) l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) (aussi appelée OCS pour “Organisation de Coopération de Shanghaï”)

Créée à Shanghai en juin 2001, l’OTSC (ou OCS) regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Elle compte également 5 « États observateurs (l’Afghanistan, l’Inde, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan) et 3 États « partenaires de discussion » (la Biélorussie, le Sri Lanka et la Turquie). .Là aussi, cette organisation de sécurité collective vise à… assurer la paix en contrecarrant la volonté euro-atlantiste d’hégémonie mondiale.

CONCLUSION : DE LA « GRANDE GUERRE POUR LA CIVILISATION » DE 1914 AU « CHOC DES CIVILISATIONS » DE 2014

Les tenants de la prétendue « construction européenne » ne voient pas, ne comprennent pas, qu’ils ont fait renaître exactement les mêmes causes que celles qui avaient déclenché la Première Guerre mondiale.

Tout y est ou presque.

Il suffit simplement de comprendre que le “monde orthodoxe” et le “monde musulman” occupent désormais la place de “l’ennemi de la civilisation” qui était celle dévolue aux “empires centraux” allemand, austro-hongrois, et ottoman d’il y a 100 ans.

Du reste, les forces euro-atlantistes parlent, à la suite de Samuel Huntington, de “Choc des civilisations” pour justifier leur posture belliciste actuelle vis-à-vis du monde “monde orthodoxe” et du “monde musulman”. Exactement comme les dirigeants européens qui conduisirent 9 millions d’êtres humains à la boucherie le firent, il y a cent ans, en invoquant la “Grande Guerre pour la Civilisation”.


Le Choc des civilisations et la réfection de l’ordre mondial. Cet essai, publié par l’Américain Samuel Huntington en 1996, constitue l’un des principaux supports théoriques aux tenants de l’ordre euro-atlantiste.

On notera d’ailleurs pour conclure que les principaux « Points de Wilson »  jugés nécessaires en 1918 pour établir une paix mondiale apparaissent de façon fascinante, en 2014, comme toujours d’actualité si l’on veut établir la paix dans le monde :

En effet :

  • le droit à l’auto-détermination des peuples emprisonnés dans les constructions politiques supranationales – qui avait été mis en œuvre en 1918 – a désormais pour signification, en 2014 : le démantèlement de l’Union européenne et de l’euro;
  • la restitution des souverainetés sur les terres occupées à la suite de victoires militaires qui avait été mise en œuvre en 1918 a désormais pour signification, en 2014 : l’évacuation des troupes de l’OTAN de tous les théâtres militaires où elles sont intervenues illégalement : l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie,…
  • l’interdiction de la diplomatie secrète – qui avait été édictée en 1918 a désormais pour signification, en 2014 : la fin des manœuvres de déstabilisation de régimes souverains comme en Syrie, au Venezuela ou en Ukraine et le respect de l’article 2 de la Charte des Nations-Unies qui interdit toute ingérence étrangère, 
  • le désarmement – qui avait été lancé en 1918 a désormais pour signification, en 2014 : la cessation de la course aux armements, provoquée par les États-Unis d’Amérique depuis des décennies, lesquels dépensent à eux seuls  à peu près autant dans le domaine militaire que tous les autres pays du monde réunis.

Ainsi donc, la preuve est une nouvelle fois faite que, comme le dit le dicton, « L’Histoire ne se répète jamais mais elle bégaie tout le temps.»

François ASSELINEAU