Entretien de François Asselineau avec La voix de la Russie, à propos des élections Européennes et du vote pour le FN

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Il est deux approches possibles à l’analyse des Européennes. L’une, classique, vise à relever les raisons de la percée du FN en évoquant un vote d’exaspération, un ras-le-bol imbu d’espoir. L’autre vise à cerner l’arrière-plan des tenants stratégiques qui ont rendu la percée FN possible en remettant celle-ci dans son véritable contexte.

Commençons par la version classique. La vague eurosceptique l’a certes emportée. Devait-on s’y attendre ? Oui et non. Oui, parce que l’UE va si mal qu’elle risque fort de noircir d’ici peu la dernière page de son anamnèse. Il s’agirait alors d’un facteur précipitant la fin de l’hégémonie européenne des USA mais aussi le désastre d’une utopie longuement entretenue comme telle dans les esprits. Mais en même temps, le revirement auquel nous assistons – la montée en puissance du Bleu marine qui ne fut pourtant pas fameuse lors des dernières municipales – trahirait plutôt un éveil inespéré des consciences qui n’ont plus peur des changements manifestes que pourrait amener le FN avec ses 24 sièges bruxellois. La preuve : MLP a déjà appelé à la dissolution de l’Assemblée Nationale. Pouvait-on s’y attendre à l’issue des municipales de mars ? Je n’en suis pas certaine la raclée UMP-tiste ne présageant guère la douche froide du FN.

Pour des raisons évidentes, nous nous focalisons sur le cas de la France. Néanmoins, il faut préciser que la tendance antieuropéiste française s’inscrit dans une moyenne générale reflétée par un total de 140 sièges occupés par des eurosceptiques convaincus qui donneront du fil à retordre à Bruxelles et ceux qui le pilotent de l’extérieur. A cela s’ajoute le problème du dysfonctionnement interne du Parlement européen où les petits pays sont surreprésentés – 1 député pour Malte avec ses moins de 70.000 habitants – et les grands comme la France ou l’Allemagne sont sous-représentés avec à peu près 1député pour 900.000 habitants, un déséquilibre qui affecte le mécanisme parlementaire européen (cf. analyse de Jean-Marie Pottier sur slate.fr). Le rêve d’un nombre croissant de Français déçus par l’Europe de Schuman et de Monnet, serait-il en train de se réaliser ?

L’analyse de François Asselineau, ancien de HEC, énarque puis haut fonctionnaire au ministère des Finances, fondateur du parti UPR (« Union populaire républicaine ») en mars 2007, propose une autre vision de la « FN-isation » des voix au Parlement de Bruxelles. Cette version, rigoureusement argumentée, riche de faits et sans conteste clairvoyante, est celle d’un euro-athéeconsommé dont le programme va bien au-delà de la restructuration de l’UE, d’une sortie partielle de l’OTAN ou de la création d’un eurofranc envisagée par exemple par Mme Boutin.

La Voix de la Russie. « Le FN est en tête à l’issue des Européennes avec près de 25 sièges au Parlement. Que pensez-vous de cette victoire ? Vous surprend-elle ? S’agit-il d’un vote d’opposition ou de conviction ?

François Asselineau. D’abord, je ne suis pas surpris de cette victoire puisqu’il s’agit de l’illustration exacte de ce que les Américains appellent la « self-fulfilling prophecy », c’est-à-dire la prophétie autoréalisatrice. La réalité de la situation en France, c’est que le Front National a bénéficié d’une promotion effarante dans tous les médias – radio, télévisés, presse écrite – en donnant l’image du seul parti qui soit opposé à l’UE … Les réactions foisonnèrent aussitôt : « Oh là là, qu’est-ce que ce parti nous fait peur ! Malheureusement, il risque d’être le premier parti de France ». Voilà pour résumer. Il s’est donc passé ce qui devait se passer. On a même vu M. Jacques Attali, d’ailleurs détesté par une écrasante majorité des Français, qui est allé jusqu’à faire un petit éditorial pour dire « SVP, ne votez pas pour le FN ! ». Il est donc en l’occurence question d’un vote a contrario.

En réalité, il y a ce que l’oligarchie qui dirige notre pays souhaitait, c’est-à-dire une montée en puissance du FN. Ce constat n’est pas le fruit de mes fantasmes. Pour le démontrer, je crois qu’il est utile de revenir sur les chiffres du CSA affichés pendant la période du 14 avril au 16 mai, jusqu’à la dernière semaine donc car certaines modifications intervinrent un extremis le CSA ayant tapé du poing sur la table. Ainsi : le FN a obtenu 11 heures 18 minutes et 38 secondes de passage alors que pour un mouvement comme le nôtre a eu droit à 1 minute 30 secondes. Cela signifie que le FN a obtenu 450 fois plus de temps que nous sur les grands médias audiovisuels et je ne parle même pas des médias écrits puisque nous n’étions jamais cités dans la presse écrite.

Evidemment, quand vous passez autant de temps dans les médias, il est normal que cela ait des conséquences. D’ailleurs, il faudrait raffiner les passages. Nous avons eu droit aux 90 secondes dont je viens de vous parler pendant le pont du 1mai, à 7 heures du matin, sur France Inter. On peut donc être sûrs que presque personne ne nous écoutait. Nous ne sommes pas passés sur les débats télévisés qui étaient organisés entre grands partis.

Maintenant, posons-nous la question de savoir s’il y a eu une percée du FN. Incontestablement, oui, si on compare le phénomène avec notamment l’effondrement du PS ou des écologistes. En tout cas, beaucoup de partis se sont effondrés. Néanmoins, le FN sur les huit circonscriptions recueille 4,7 millions ce qui fait 10, 33 % des inscrits. Je rappelle que Madame Le Pen, pour le premier tour de la présidentielle le 22 avril 2012 avait recueilli 6,4 millions de voix, c’est-à-dire 13,95% des inscrits. Cela veut dire que contrairement à l’impression ou plutôt à l’effet d’optique largement diffusé par la presse française et internationale, il n’y a aucune véritable percée du FN par rapport au nombre d’inscrits. Madame Le Pen avait fait quasiment 40 % de plus d’inscrits au premier tour de 2012. En conclusion : les électeurs du FN se sont davantage mobilisé que les électeurs du PS, par exemple, ou ceux de l’UMP. On en revient d’ailleurs toujours – il s’agit de l’analyse que nous donnons et qui est vraiment différente de celle que vous trouvez dans toute la presse française – à ce que les spécialistes appellent « un plafond de verre » pour le FN et qui est estimé à 14 ou 15 % d’inscrits (un chiffre d’ailleurs jamais atteint). Il est donc très important de souligner cet aspect parce qu’on sait que le FN ne pourra jamais dépasser ce plafond. Le jeu de l’oligarchie consiste à répéter constamment aux Français : « Si vous êtes contre l’UE, il faut que vous votiez FN ». On les entraîne dans quelque chose qui est une impasse, cela d’autant plus que le FN va faire alliance, il l’a déjà annoncé au Parlement Européen, avec des partis d’extrême-droite comme le PVV de Geert Wilders qui a d’ailleurs fait une contre-performance, la Ligue du Nord et le FPÖ autrichien. On a donc cette volonté constante qui est de dire aux Français que s’ils sont contre l’UE, l’euro et l’OTAN, et bien, en ce cas, vous êtes forcément d’extrême-droite et automatiquement stigmatisés. J’ajoute pour clore le chapitre que le plus fort de toute cette affaire c’est que le FN ne propose absolument pas de sortir de l’UE ou de l’euro. J’ai regardé avec beaucoup d’intérêt sa profession de foi qui, dois-je avouer, est un chef d’œuvre de manipulation de l’opinion puisque, d’une part, cette profession de foi tape sur l’Europe en vantant les mérites de la nation mais, d’autre part, nulle part vous ne trouvez l’idée selon laquelle il faut sortir de l’UE ou même de l’euro. Les gens qui se donnent la peine d’aller regarder le programme du FN constatent avec intérêt qu’il ne fait que renégocier, tout comme les autres, les traités édificateurs de l’UE. Vous retrouvez d’ailleurs le même schéma dans d’autres pays d’Europe. En Grèce, par exemple, les médias font mousser Aube dorée qui est un mouvement d’extrême-droite et même, dans son cas, néo-nazi, mais ne parle jamais du mouvement dont nous sommes frères qui s’appelle EPAM et qui lui veut sortir de l’UE ainsi que de l’euro mais qui est interdit des médias. De telles coïncidences – j’entends entre autres une telle promotion du FN sur toutes les chaînes de télévision et via la radio – mettent la puce à l’oreille en montrant qu’il y a une volonté de l’oligarchie de promouvoir à outrance le FN pour les raisons que j’ai évoquées mais peut-être aussi pour préparer les élections présidentielles de 2017 puisque tout le monde sait que Madame Le Pen ne peut pas être élue du fait du « plafond de verre » dont j’ai parlé tout à l’heure et que la personne qui terminerait éventuellement dans un duo face à elle, si elle franchissait le cap du premier tour, serait à coup sûr élue. On l’a déjà vu lors de la campagne de 2002.

LVdlR. L’UPR que vous représentez n’est ni de droite ni de gauche. Il propose de remettre en place le programme du CNR présidé à l’époque par Jean Moulin et qui a posé des bases favorables à l’avènement des Trente Glorieuses. Quelles sont plus concrètement les idées de la gauche et celles de la droite que vous défendez, N’y aurait-il pas certaines similitudes entre le programme proposé par votre parti et celui que propose Dupont-Aignan qui préconise lui aussi une sortie de « l’UE dans sa forme actuelle », c’est-à-dire d’une Europe exclusivement régie par Bruxelles ainsi qu’une sortie radicale de l’euro ?

François Asselineau. J’avoue que s’agissant de M. Dupont-Aignan, je ne sais plus sur quel pied danser. Le problème, c’est que son programme change tout le temps. J’ai déjà eu des débats avec lui où il nous traitait d’ «extrémistes » parce qu’on voulait sortir de l’UE. Et puis, je constate que M. Dupont-Aignan joue constamment sur les mots. En ce qui nous concerne, nous estimons que la situation est tellement grave que l’on ne peut pas jouer sur les mots. Vous n’imagineriez quand même pas Charles de Gaulle, le 18 juin 1940, lors de son fameux appel, dire que « voilà, il faut envisager une nouvelle Europe hitlérienne » ! Vous savez, il y a un proverbe turc que j’aime bien et qui dit « on n’est pas un peu enceint ». On est soit enceinte, soit on ne l’est pas. C’est notre principe. Soit on reste dans l’UE en promettant monts et merveilles, une restructuration et une renégociation des Traités – c’est ce que dit M. Dupont-Aignan – soit on en sort, on sort de l’UE et de l’euro mais aussi de l’OTAN. Ce dernier sujet est un des sujets tabous du monde politique français. Nous sommes le seul mouvement politique qui propose ces trois remèdes en même temps. Remarquez que ni le FN, ni M. Dupont-Aignan ne proposent de sortir de l’OTAN. Ils proposent éventuellement de sortir du commandement militaire intégré mais ça n’a aucun sens dans le cadre actuel. Là aussi, soit on y est, soit on n’y est pas. Ca peut paraitre discriminant, surtout que c’est un programme qui dans certains cas fait un peu peur aux gens, et M. Dupont-Aignan comme le FN, comme d’ailleurs les autres partis, se complaisent dans des clairs-obscurs qui à mon avis sont des nids à embrouilles.

Nous avons fait un score qui peut décevoir les gens qui estimaient qu’on ferait 2 ou 3 %. Mais comme nous n’avons accès à aucun grand média de masse, le score que nous avons fait n’est quand même pas totalement négligeable puisque nous sommes passés de 0 voix en 2009 à 75.900 en 2014. On a d’ailleurs plus de voix que le NPA de Besancenot qui lui a eu table ouverte dans les mêmes médias de grande diffusion. C’était la première fois que nous nous présentions à des élections nationales, il ya bien sûr des choses qu’il faudra revoir mais j’estime que, à tout prendre, la situation n’est pas si mauvaise que cela. Il ne reste plus qu’à observer la suite des évènements. Et que va-t-il se passer ? Strictement rien. Il va y avoir 24 députés du FN au Parlement européen ce qui ne va rien changer. Quand vous pensez qu’il ya des gens qui poussent des cris d’orfraie ou d’effroi à l’idée que le FN a fait ce score, il ne fait pas oublier que Jean-Marie Le Pen est député depuis 30 ans au Parlement européen et Madame Le Pen y est depuis 10 ans, quant à M. Gollnisch – depuis 25 ans, il faut juste constater qu’ils en repiquent pour 5 ans. D’ailleurs, peut-être l’avez-vous déjà noté aujourd’hui, à la fois la Bourse de Paris se livre à l’heure sur les actions mais aussi sur les obligations des Etats, tout va très bien, les marchés n’ont pas oscillé, la Bourse se porte comme un charme, autant de facteurs qui prouvent que ces élections sont considérées par l’oligarchie comme un non-évènement. Ils préfèrent de très-très loin voir le FN plutôt qu’un mouvement comme le nôtre qui lui remet réellement en cause les fondamentaux de l’asservissement de la France ».