Face à l’opposition de 11 états de l’est-européen, le Gouvernement français est impuissant à obtenir la réforme de la directive européenne sur les travailleurs détachés

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travailleurs detaches

Face à l’opposition de 11 états de l’est-européen, le Gouvernement français est totalement impuissant à obtenir la réforme de la directive européenne sur les travailleurs détachés « qui fait des ravages majeurs dans le monde ouvrier » selon Manuel Valls lui-même.

Lors de sa campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2012, François Hollande n’avait pas seulement déclaré que « mon adversaire, c’est la finance » (dans son discours du Bourget du 22 janvier 2012). Il avait aussi promis « une nouvelle politique commerciale en Europe, qui fera obstacle à la concurrence déloyale, qui fixera des règles strictes en matière sociale, en matière environnementale, de réciprocité. Une contribution écologique sera installée aux frontières de l’Europe pour venir compléter ce dispositif » [1].

En bref, il avait ainsi promis aux électeurs une « nouvelle politique en Europe », en faveur d’une « Europe sociale », donc cette fameuse « autre Europe » qui joue les Arlésiennes depuis un tiers de siècle.

Quatre ans après ces belles paroles, qu’a-t-il obtenu ?
La réponse est simple : RIEN.

Confrontés à des taux d’impopularité record, les gouvernements français, belge et allemand s’inquiètent de plus en plus du coût de la main d’œuvre à l’Est.

En France, le Premier ministre Manuel Valls a notamment « menacé » de ne plus appliquer cette directive. Ce qui prouve au passage qu’il lui aura fallu 4 ans pour découvrir que cette directive porte un très grave préjudice à l’économie française en général, et au niveau de vie des Français en particulier.

Quel en est l’enjeu ?

Un travailleur «détaché» est un salarié envoyé par son employeur dans un autre État membre en vue d’y fournir un service à titre temporaire. Et ledit travailleur «détaché» est alors rémunéré dans des conditions qui dérogent au droit commun du pays dans lequel il travaille. Les cotisations sociales ( patronales et salariales) demeurent au régime du pays d’origine de l’employeur auteur de la prestation de service internationale.

En revanche, si le salarié détaché travaille en France, son salaire proprement dit reste assujetti au respect de la double protection du SMIC français et /ou, si il est plus favorable, du minima conventionnel en vigueur.

Mais en tout état de cause, le préjudice est et reste patent pour notre pays qui se voit privé de cotisations qui sont intégralement versées au pays d’origine de l’entreprise qui vient prester.

Et, surtout, le coût total du travail est ainsi drastiquement abaissé au détriment des entreprises françaises qui sont, elles, assujetties au régime élevé qu’impose notre protection sociale supérieure.

La concurrence au nom de laquelle ces “prestations de service internationale” ou « PSI » (c’est le nom officiel pour les travailleurs détachés) ont été autorisées est donc bel et bien une concurrence déloyale, même si elle ne porte pas sur le salaire stricto sensu versé au salarié détaché.

Cependant, encouragées par l’impuissance des parquets, puis des tribunaux, la complexité des procédures et leur durée, nombre de ces entreprises violent allègrement leur obligation de respecter le “noyau dur” de rémunération et payent en réalité des salaires inférieurs aux minimas français applicables. Et les restrictions budgétaires et les effectifs chroniquement faméliques de l’Inspection du Travail ne peuvent que les encourager à frauder.

On notera toutefois que le régime de sanction a été récemment réformé et que, désormais, des amendes administratives dissuasives et relativement rapides viennent renforcer l’arsenal répressif des services de contrôle.

Quoi qu’il en soit, l’actuelle directive, datant de 1996 [2] et complétée par une directive d’application de 2014, est dénoncée par la plupart des partis sociaux-démocrates ou d’autres tendances « de gauche » de l’Union Européenne comme étant un puissant moyen de « dumping fiscal et social » au profit des entreprises, et au détriment des individus et de certains États.

Placée sous la pression insistante d’États membres d’Europe occidentale comme la France, la Commission Européenne a donc élaboré un projet législatif visant à modifier cette directive sur les travailleurs détachés qui fait grief à l’Ouest [3]. Elle l’a présentée aux États-membres le 8 mars 2016.

Seulement voilà : deux mois après, le 11 mai, on a appris que 11 des 28 États-membres de l’Union européenne (dont 10 d’Europe de l’Est) ont décidé de faire front commun contre ce projet de la Commission européenne visant à modifier cette directive sur les travailleurs détachés. Onze parlements nationaux ont donc « adressé un carton jaune » [sic !] en mettant l’initiative en échec avec des motifs très variables [4] .

Commentaires

Ces rebondissements confirment, encore et toujours, les analyses de l’UPR :

1) Il ne faut pas croire naïvement les promesses de campagne des candidats européistes.

Tant que nous serons dans l’Union Européenne, le pouvoir de décision du chef de l’État est à peu près réduit à néant sur toutes les grandes décisions. L’essentiel est déterminé de façon juridique en dehors de nos frontières par des technocrates non-français et non-élus. La démocratie nationale n’est plus qu’un simulacre, un espace théâtral qui sert à canaliser la colère des Français et qui ne débouche sur rien, tant que l’on reste dans le théâtre européen en question.

2) L’Union Européenne fait cohabiter des États ayant des intérêts nationaux fondamentalement divergents.

Quels que soient les embrassades et les sourires bonasses affichés par les ministres et chefs d’État devant la presse internationale, et quels que soient les mécanismes institutionnels de l’UE, par ailleurs terriblement lourds et inefficaces, il est tout bonnement impossible de contenter tous les pays membres.

3) L’Union Européenne crée des inégalités croissantes entre ses propres États membres, dont les tissus économiques, les traditions politiques et syndicales, les conceptions juridiques sont extraordinairement différentes.

Comme l’a reconnu la Commission européenne elle-même, « ces vingt dernières années, le marché unique s’est élargi et les écarts salariaux se sont creusés, ce qui a malheureusement incité les entreprises à recourir au détachement pour tirer profit de ces écarts » [5] .

Par exemple, une heure de travail coûte en moyenne 40 euros à l’employeur au Danemark et 39 euros en Belgique, alors qu’elle ne coûte que 3,8 euros en Bulgarie, 4,6 euros en Roumanie ou 8,4 euros en Pologne, selon les données Eurostat pour 2014.

Cet « écart » en termes législatif, économique ou culturel, mène la construction européenne à sa perte et ne profite en bout de course qu’à une minorité.

Lorsque l’on lit ces chiffres, comment peut-on contester que l’Union Européenne ne fonctionne pas et ne peut pas fonctionner ?

« Désobéir » est une « mélenchonnerie »

M. Valls aura beau affirmer que la directive sur les travailleurs détachés est « un dispositif européen qui fait des ravages majeurs, terribles, dans le monde des salariés, le monde ouvrier » [6] et demander des aménagements, le problème persistera toujours.

Quant à « désobéir » à la directive existante, c’est une « mélenchonnerie » à laquelle le Premier ministre ne croit pas lui-même. Il sait en effet très bien que si le gouvernement français s’aventurait à piétiner le droit européen, la Commission européenne et d’autres États-membres défèreraient aussitôt la France devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et que celle-ci condamnerait notre pays, sous astreinte financière journalière, à respecter ses engagements juridiques.

Car il n’y a que deux solutions – et deux seulement – avec l’Union européenne : soit on y reste et on en applique le droit, soit on fait comme les Britanniques et on en sort.

Mais prétendre rester dans l’UE sans en appliquer le droit, c’est un mensonge éhonté, du même acabit que prétendre accoucher d’une “autre Europe”.

Et puisque le gouvernement français a décidé que la France doit rester dans l’Union européenne et qu’il a même annoncé publiquement qu’il ne demanderait jamais leur avis aux Français sur cette question [7], le blocage, une nouvelle fois, est complet.

Conclusion

Alors que le mandat de François Hollande touche – heureusement ! – à sa fin, les Français doivent bien comprendre que tous les candidats à la présidentielle qui leur proposeront « une autre Europe » en 2017 ne leur offriront en réalité que de couler avec le Titanic de l’Union Européenne.

Équipe de rédaction de l’UPR
Patrick Bloch et Antoine Silvestre,
avec relecture de Sandro G. et François Asselineau

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Sources :

[1] http://www.lafranceagricole.fr/…/presidentielle-francois-ho…

[2] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do…

[3] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-466_fr.htm

[4] https://www.euractiv.fr/…/lest-sinsurge-contre-le-projet-d…/

[5] http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-467_fr.htm

[6] http://www.lemonde.fr/…/que-contient-la-directive-europeenn…

[7] https://www.upr.fr/…/segolene-royal-la-dictature-sans-vergo…

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