Scandale Libor et Euribord : Scoop UPR

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UNE ÉTUDE SCIENTIFIQUE DU CNRS ET DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE DU 4 DÉCEMBRE 2009 AVAIT REPÉRÉ QUE LE LIBOR ET L’EURIBOR ÉTAIENT MANIPULÉS : DEPUIS 2 ANS ET DEMI, CELA N’AVAIT BIEN ENTENDU INTÉRESSÉ PERSONNE.
 

Les conséquences du scandale planétaire de la manipulation des taux interbancaires Libor et Euribor qui a éclaté il y a quelques jours, et dans lequel des rebondissements sont à prévoir, se chiffrent en centaines de billions de dollars, c’est-à-dire en milliers de milliards de dollars. (Attention : le mot anglais “trillion” se traduit par “billion” en français ; le mot anglais “billion” se traduit en français par “milliard”).

D’après mes informations en provenance d’une source travaillant à la City de Londres, la dernière rumeur affirme que la commission d’enquête parlementaire britannique qui enquête sur ce scandale a découvert qu’une étude scientifique avait repéré la manipulation de ces taux interbancaires, grâce à une analyse approfondie des marchés, et cela depuis 2 ans et demi.

Or, ô surprise : l’étude en question, publiée le 4 décembre 2009, n’a pas été réalisée dans la sphère anglo-saxonne, ni par une de ces fameuses “Autorités de surveillance des marchés” consultées par les enquêteurs britanniques.

Non, l’étude a été réalisée par le Laboratoire de recherche français LEM, unité du CNRS portée conjointement par l’Université des Sciences et des Technologies de Lille (USTL, Lille 1) et l’Université Catholique de Lille.

Le LEM compte environ 100 chercheurs et enseignants-chercheurs en sciences de gestion et en économie (dont 4 CNRS et 1 INSERM) et une soixantaine d’allocataires, de moniteurs et de doctorants. Ces chercheurs sont répartis pour l’essentiel sur l’IESEG, l’IAE de Lille, la Faculté d’Économie de l’Université Catholique, et l’université d’Artois.

Autre surprise des enquêteurs britanniques : l’étude en question – extrêmement technique – était disponible en ligne depuis 2 ans et demi : dans le jargon des chercheurs, il s’agit en effet d’un “working paper” (document de travail) dont la vocation est d’être de libre accès.

De fait, elle est disponible en ligne sur le site du LME-CNRD à l’adresse et tout un chacun peut la consulter : http://www.ilfattoquotidiano.it/wp-content/uploads/2014/01/DP_200917.pdf

UNE ÉTUDE FRANÇAISE UNIQUEMENT PUBLIÉE EN ANGLAIS

Triste remarque pour nous, Français : ce document, qui semble être un scoop mondial, a été rédigé et publié en anglais, sans traduction en français, par trois chercheurs du LEM : MM. Chailloux (FMI), Brousseau et Durré (IESEG, Université Catholique de Lille).

Car, dans l’univers de la recherche, publier une étude en français semble en passe de devenir une faute de goût, aussi fatale que de la publier en sanskrit ou en araméen ancien. C’est se condamner paraît-il, à être ignoré de tout ce qui compte de sérieux dans la recherche mondiale.

Que ce soit vrai ou faux, force est de constater que la publication d’une étude française de très haut niveau en langue anglaise ne suffit pas non plus à retenir l’attention puisque cette étude n’a intéressé strictement personne depuis 2 ans et demi…

UNE ÉTUDE DONT LA PERTINENCE EST VALIDÉE PAR LES FAITS

Sans entrer dans les détails techniques particulièrement arides, le lecteur pourra constater la pertinence de l’étude en question, en lisant les extraits de la page 27 :

« The previous findings may imply, among other things, that the fixing could be the result of converging pricing among prime banks not entirely reflecting market conditions, hence making the fixing entirely virtual.

By nature, if it is so for the EURIBOR, then it is quite likely that the USD and GBP counterpart, which are the 3-month LIBOR, also have a somewhat virtual nature.

In the same vein, if the fixings of 3-month interest rates appear artificial, there is no compelling reason why this should not also be the case for the fixing of longer maturities and in particular for the 1-year fixings, clearly putting at risk the anchoring role of these fixings in the financial markets.

Finally, one may wonder whether such “virtual pricing” of the EURIBOR may result mainly from euro area continental banks in the EBF panel or whether it also applies to non euro area international banks. »

Traduction (par mes soins, donc sous réserve) :

« Les résultats précédents peuvent impliquer, entre autres choses, que le fixing est le résultat de la convergence des prix entre les banques contributrices (à l’EURIBOR et au LIBOR) ne reflétant pas parfaitement les conditions du marché, conférant ainsi au fixing un caractère entièrement virtuel.

Par nature, si la fixation du taux de l’Euribor revêt un caractère virtuel, alors il est fort probable que la contrepartie dollar (USD) et livre sterling (GBP), qui sont le LIBOR à 3 mois, revête aussi un caractère quelque peu virtuel.

Dans la même veine, si les fixations de taux d’intérêt à 3 mois semblent artificielles, il n’y a aucune raison convaincante pour laquelle cela ne devrait pas être aussi le cas pour la fixation des échéances plus longues, et en particulier pour la fixation des échéances à 1 an, ce qui met clairement en danger le rôle d’ancrage de ces fixings sur les marchés financiers.

Enfin, on peut se demander si un tel « pricing » virtuel de l’EURIBOR peut résulter principalement de banques continentales de la zone euro du panel FBE (Fédération Bancaire Européenne), ou si elle s’applique également aux banques internationales situées en dehors de la zone euro. »

CONCLUSION : LA RECHERCHE FRANÇAISE INJUSTEMENT DÉDAIGNÉE

Le caractère analytique et prédictif remarquable de cette étude aurait dû alarmer depuis longtemps les autorités de surveillance, non seulement à New York et à Londres, mais aussi à l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) à Paris.

Il n’en a rien été.

Le sort de cette étude, et l’intérêt soudain mais trop tardif qu’elle suscite Outre-Manche, sont allégoriques de l’un des principaux maux qui rongent la France : le mépris de nous-mêmes.

Comme on l’observe très souvent (en mathématiques, en sciences sociales, en médecine, en physique, etc., etc. ), les événements prouvent que les chercheurs français sont fréquemment de très haut niveau international, et parfois en pointe, y compris en matière financière.

Mais, comme très souvent aussi, hélas, le fruit de leurs recherches est méconnu, ou dédaigné.

L’idéologie dominante, martelée par les médias, impose à l’ensemble des élites et du corps social français d’auto-déprécier constamment leur pays et de considérer que seuls les chercheurs américains valent que l’on y porte attention.

Au-delà du constat que le scandale du Libor et de l’Euribor aurait pu être contrecarré depuis 2 ans et demi, puisse cette affaire nous inviter à nous redresser moralement et psychologiquement.

Car c’est d’abord dans les têtes que se joue la victoire ou la défaite de l’hégémonie américaine.

François ASSELINEAU