33 ANS DE COUPES BUDGÉTAIRES CUMULATIVES ONT RÉDUIT LES ARMÉES FRANÇAISES À LA MISÈRE = Le vrai bilan de l’appartenance de la France à l’UE et à l’euro.

Lecture : 19 min

En octobre 2012, le scandale éclate : confronté à des restrictions incessantes de personnel, le ministère de la Défense a eu recours en hâte à un nouveau logiciel de paiement baptisé “Louvois”. Le logiciel se révèle défectueux et des milliers de soldats de l’armée de Terre font face à des retards de paiement de leur solde depuis un an ! (octobre 2011). En déplacement à Rambouillet le mercredi 17 octobre 2012, le ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, s’emporte et dénonce… son propre ministère ! Pour lui, c’est une situation “indigne d’un pays comme la France”.

Les Armées françaises ont subi une dégradation continuelle de leur budget (en % du PIB) depuis 33 ans

Notre tableau ci-dessous est très instructif : il a été établi à partir d’une étude du Sénat de 2013, reprise par Le Point puis par un blog spécialisé sur les questions de défense. Il retrace l’évolution du budget des Armées françaises (hors gendarmerie et hors pensions de retraite) en % du Produit intérieur brut (PIB) de la France depuis 1960 jusqu’à 2013.

Pourquoi présenter ce budget en % du PIB ? Parce que c’est ainsi que procèdent les spécialistes pour mesurer ce qu’ils appellent « l’effort de défense » d’une nation, en neutralisant l’impact de la richesse d’un État et des distorsions des taux de change.

 

Comme on le constate, l’évolution de ce budget a suivi 4 phases, qui l’ont conduit à un effondrement, de 5,44 % du PIB en 1960 à 1,35 % du PIB en 2015 :

 

1re phase : sous la présidence de Charles de Gaulle (1960-1969) puis sous celle de Georges Pompidou (1969-1974), le budget des Armées, partant de niveaux très hauts, chute fortement, de 5,44 % à 2,56 % du PIB

  • il baisse de 5,44 % en 1960 à 4,05 % en 1969, lorsque de Gaulle démissionne en avril 1969 ;
  • puis il baisse plus fortement encore, de 4,05 % du PIB en 1969 à 2,56 % du PIB lorsque Pompidou meurt le 2 avril 1974.

Cette rétraction du budget en % du PIB résulte de plusieurs causes :
– la fin de la guerre d’Algérie (qui avait mobilisé des dizaines de milliers d’appelés du contingent),
– la décolonisation des pays d’Afrique (à partir de 1960), qui conduit à réduire le nombre de militaires français présents sur place,
– le lancement de la politique de détente avec l’URSS (voyage de Charles de Gaulle à Moscou en 1966),
– la modernisation et la rationalisation des armées françaises.

Mais cette rétraction résulte aussi d’un effet d’optique car les années de Gaulle-Pompidou sont marquées par des taux de croissance du PIB élevés, tout spécialement les années 1969-1973. Dès lors, la baisse du budget en % du PIB est supérieure à ce qu’est l’évolution budgétaire en volume.

2e phase : sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), le budget de la Défense remonte assez sensiblement, de 2,56 % à 2,90 % du PIB

Cette remontée du budget en % du PIB résulte de plusieurs causes :

–  la percée soviétique en Afrique avec la décolonisation portugaise de 1974 (Mozambique, Angola,…), la chute des régimes pro-occidentaux dans l’ancienne Indochine française (1975), puis l’intervention soviétique en Afghanistan (1978) font paraître la puissance de l’URSS et du Pacte de Varsovie plus menaçante que jamais, justifiant un réarmement,
– phénomène contraire à celui constaté dans les années 1969-1973, la France est frappée par la Guerre du Kippour (1973) et ses conséquences (renchérissement par 4 des prix du pétrole), ce qui provoque une stagnation économique et même une récession certaines années : dès lors, la hausse du budget en % du PIB peut être supérieure à ce qu’est l’évolution budgétaire en volume.

 

3e phase : sous la double présidence de François Mitterrand (1981-1995), le budget de la Défense retombe de 2,90 % à 2,44 % du PIB

Pendant les deux premières années du double septennat (1981-1983), le budget de la Défense poursuit légèrement la remontée engagée par Valéry Giscard d’Estaing : il passe de 2,90 % à 2,97 % du PIB.

Mais à partir du “tournant de la rigueur” entamée par le gouvernement Fabius à partir de 1984, le budget de la Défense commence à baisser en % du PIB. Il n’a pas cessé de baisser depuis lors, c’est-à-dire depuis 33 ans !

Cette baisse n’est pas seulement due à la politique de rigueur, imposée notamment par nos partenaires européens dans ce qui n’est encore que la “Communauté économique européenne” (CEE). Elle est également due à deux phénomènes structurels :

  • d’une part, la chute de l’URSS et la dislocation du Pacte de Varsovie (1989 – 1991), qui a permis de réduire l’effort de défense (on a parlé alors de “dividendes de la Paix”)

 

  • d’autre part, et à partir de la même époque, la montée en puissance de la “politique de rigueur” nécessaire pour « arrimer le franc au mark » dans la perspective de la monnaie européenne. Le traité de Maastricht, adopté fin 1991, signé début 1992, et ratifié par la France par référendum le 20 septembre 1992, a placé la France dans la zone euro et a forcé François Mitterrand à maintenir cette politique de rigueur jusqu’à son départ de l’Élysée en mai 1995.

 

4e phase : sous les présidences de Jacques Chirac (1995-2007), Nicolas Sarkozy (2007-2012) et François Hollande (2012-2017), le budget de la Défense a dégringolé à des niveaux d’extrême faiblesse : il est passé 2,44 % du PIB en 1995 à 1,35 % du PIB en 2015

On relèvera :

  • que c’est Jacques Chirac qui a le plus taillé dans le budget des Armées : il est passé de 2,44 % du PIB à 1,60 % du PIB pendant ses 12 ans de présidence.

 

  • que Nicolas Sarkozy (sans doute du fait de son engagement en Libye) a maintenu le budget de la Défense à un niveau à peu près étale pendant son quinquennat : de 1,60 % en 2007 à 1,56 % en 2012, après une légère remontée à 1,75 % en milieu de mandat.

 

  • que François Hollande a recommencé le déclin, passant de 1,56 % en 2012 à 1,35 % en 2017

 

  • que « l’effort de défense » de la  France est désormais très inférieur – en % du PIB – à ce qu’il est en Russie (où il atteint 5,0 à 5,4 % du PIB selon les sources) et à ce qu’il est aux États-Unis (où il atteint 3,3 % du PIB après une décroissance notable sous la présidence Obama ; mais le président Trump a décidé de faire de nouveau croître ce budget). Rappelons bien qu’il s’agit ici d’un « effort de défense » – en % du PIB – et non d’un volume de dépenses. En matière de volume net de dépenses (source : ici), le budget militaire américain reste écrasant – avec quelque 611 milliards de dollars en 2015 -, très loin devant la Chine (215 milliards de dollars en 2015), la Russie (69,2 milliards), l’Arabie saoudite (63,7 milliards), l’Inde (55,9 milliards) et la France (estimée à 55,7 milliards par cette même source qui doit englober à la fois les dépenses de gendarmerie et celles des pensions des militaires retraités).

 

C’est dans cette perspective historique qu’il convient de replacer la décision de Macron qui vient de lui aliéner une grande part de l’institution militaire.

Pendant la campagne présidentielle, Macron avait promis qu’il remonterait le budget des Armées à 2 % du PIB, conformément à ce que demandait le chef d’état-major des Armées. Une fois élu, il a pris la décision inverse…

En retirant 850 millions d’euros – ce qui correspond à 0,04 % du PIB -, Macron a donc décidé de faire chuter le budget à 1,30 % du PIB. Il s’inscrit très exactement dans la poursuite des politiques antérieures, dictées par la nécessité  – exigée par la Commission européenne et par la Banque centrale européenne – de faire constamment des coupes budgétaires.

Les Armées sont ainsi devenues la victime privilégiée des coupes budgétaires depuis un tiers de siècle. Cela s’explique notamment par trois choses :

a)- les militaires n’ont pas le droit de se syndiquer, ni d’adhérer à un parti politique, et ont pour quasi-obligation de ne jamais se plaindre : pour un chef d’État et un Premier ministre peu courageux, il est donc plus facile de tailler à la hache dans le budget de la Défense que dans celui des Affaires sociales, de l’Éducation nationale ou de la Culture…

b)- compte-tenu du coût des équipements militaires, les sommes en jeu sont rapidement considérables : repousser une commande d’avions gros porteur pour l’armée économise ainsi beaucoup d’argent et cela se réalise à l’insu du grand public.

c)- enfin, l’idéologie de la “construction européenne” a convaincu de nombreux dirigeants euro-atlantistes que, même s’ils n’osent pas le dire ouvertement, la souveraineté de la France – et partant les armées françaises – ne seraient que des reliquats du passé. En somme, nous devrions passer la main à une “armée européenne” où l’Allemagne prendrait la plus lourde part financière

Il n’est pas impossible que ce soit cette idéologie suicidaire que Macron compte mettre en œuvre au cours de son mandat.

 

CONSÉQUENCES : LES ARMÉES FRANÇAISES PLONGÉES DANS LA MISÈRE ET LA DIFFICULTÉ CROISSANTE À ASSURER LEURS MISSIONS ET À PROTÉGER NOS SOLDATS

Les coupes budgétaires cumulatives constantes depuis un tiers de siècle ne peuvent pas ne pas finir par avoir des effets dévastateurs.

Car même si l’on peut rationaliser la gestion, traquer les effectifs surabondants, choisir des fournisseurs moins onéreux, etc., la baisse continuelle des budgets se traduit immanquablement par une paupérisation de l’institution et la remise en cause de la fiabilité de ses moyens d’action. La rigueur continuelle imposée aux armées s’est progressivement transformée en pénurie, puis la pénurie en misère. Le plus grave de tout étant que c’est maintenant la sécurité même des soldats qui est mise en péril par ces restrictions incessantes.

Plusieurs médias se sont fait l’écho de la colère sourde croissante des Armées, malgré leur obligation de réserve.
Je crois utile d’en dresser un échantillon car les témoignages, en l’espèce, valent mieux que de longs discours :

 

  • Novembre 2013 : des militaires rompent le silence sur l’indigence de leurs conditions de travail

Dans un reportage diffusé le 12 novembre 2013 sur BFM-TV, des militaires rompent le silence que leur impose le devoir de réserve pour rapporter qu’ils sont obligés de s’acheter eux-mêmes une partie de leur habillement et de leur équipement.

Quelques exemples de la misère dans laquelle sont réduits les soldats sont alors portés à la connaissance du grand public par cette émission. Ils ont ensuite été repris par le site Armée-Média qui dépend de l’association des Forces armées réunies :

 

C’est sur ses deniers que ce militaire se procure un sac de couchage, car celui fourni par l’armée ne protège pas du froid. « Utiliser le sac de couchage de dotation est fou » , dit-il.

 

Ce tankiste finance personnellement une deuxième tenue, un duvet, des maillots de corps… alors que sa paie est très maigre.

 

Cet autre soldat raconte – en se cachant le visage – que les officiers les encouragent à acheter sur leur propre paie des équipements. C’est ainsi qu’il dépense annuellement 500 euros alors qu’il est payé environ le SMIC.

 

Ce soldat d’élite, spécialiste de l’infiltration et du camouflage présente ses achats de matériel et d’équipement militaire. Sur sa solde, inférieure à 2000 euros, il a dernièrement dépensé 400 euros pour parfaire son équipement en préparation de sa dernière mission en Afrique….

 

On manque de matériel, s’indigne le colonel Jacques Bessy, président de l’Association de Défense des Droits des Militaires. Il rappelle qu’au Mali, un nombre considérable de nos soldats se retrouvaient en opération sans chaussures car les semelles fondaient à la chaleur…

 

Le porte parole du ministère de la Défense reconnait qu’au Mali, les semelles des chaussures se décollaient à cause de la chaleur … , mais il croit utile de préciser : « on n’envoie personne sans le matériel adéquat »…

 

Un quart des effectifs sera supprimé d’ici 2019. La Défense à elle seule assure 60% de la suppression des postes de toute la fonction publique. Le personnel administratif est remplacé par des logiciels tels “Louvois” qui multiplie les erreurs de paiement des soldes. Angélique Le Garrec, épouse de militaire, rapporte qu’il y a 2 ans, son mari fut payé … zéro euro. Il a fallu qu’elle demande de l’argent à ses parents pour faire vivre son foyer.

 

  • Mars 2015 : le magazine Paris Match révèle les « graves lacunes de notre outil de défense » au Mali, « usé par des années de réduction d’effectifs et de moyens ».

 

Dans cet article paru le 17 mars 2015, le journaliste de Paris Match note :

« Le succès de l’opération Serval contre les djihadistes au Mali est un des plus brillants faits d’armes de l’armée française, justement salué par tous les experts militaires. Le journal de guerre de cette victoire par le commandant du groupement d’hélicoptères de la brigade sur le terrain révèle aussi les graves lacunes de notre outil de défense, usé par des années de réduction d’effectifs et de moyens ».

« La France souffre d’une pénurie criante d’avion gros-porteurs, et ce malgré l’appui de l’allié américain et la location d’avions de transport Antonov ukrainien pour pallier les déficiences de l’armée de l’air. [Le colonel] Frédéric Gout raconte qu’à son arrivée il a dû attendre plusieurs jours ses munitions, alors que l’état-major parisien réclamait à corps et à cri des « reconnaissances offensives » pour localiser et détruire les djihadistes infiltrés près de la capitale malienne. Des ordres que le colonel recevait parfois sur son téléphone portable personnel, faute de matériel de communication suffisant… »

« Plus prosaïquement, il n’y a qu’un lit pour deux hommes et aucun WC de campagne, le système D français étant chargé de pallier ces manques criants. Pendant une bonne partie des opérations, l’approvisionnement en kérosène est une épine dans le pied du colonel Gout qui se demandera parfois s’il aura les moyens de faire voler ses hélicos. Le salut viendra finalement de l’armée algérienne qui mettra à disposition des citernes de carburant.

« Le déploiement des hélicoptères de combat Tigre, les plus modernes et les plus redoutables des appareils du groupement aéromobile (GAM) ont également représenté un casse-tête pour le groupement. Il n’y a dans l’armée française que trois lots de déploiement comprenant les outils et les pièces de rechange nécessaires à leur maintenance. Au moment du lancement de Serval, l’un se trouve en Afghanistan, le deuxième au large de la Somalie où les forces spéciales viennent de tenter de délivrer un agent de la DGSE et le troisième au Burkina-Faso où sont basées des forces spéciales pour les opérations dans le nord du Mali. Frédéric Gout doit donc baser ses Tigre au Burkina, entre 500 et 1000 kilomètres des premières opérations.»

« Autre élément révélateur de la grande misère de l’armée française, la recherche permanente d’économies dans l’utilisation du matériel. Si le nombre d’heures de vol au Mali n’est pas restreint, en contrepartie, les régiments d’hélicoptères restés en France doivent limiter drastiquement les vols afin d’éviter d’user le matériel pour rester dans le cadre étriqué du budget affecté à la maintenance et à l’entraînement des équipages.»

Etc.

Commentant ce témoignage du colonel Gout publié dans un livre, le journaliste de Match conclut : « Même si on peut regretter que ce récit ne s’accompagne pas d’une mise en perspective de l’opération Serval dans son ensemble, ce journal de guerre est riche d’enseignements, sur l’excellence de nos soldats et de ceux qui les commandent ; mais surtout il en dit long sur le triste état de l’armée française laminée par les coupes budgétaires des derniers gouvernements de gauche comme de droite.»

 

  • juillet 2017 : Un témoignage indigné du père de deux militaires.

Le différend public entre Macron et le chef d’état-major des armées suscite beaucoup de commentaires. Parmi ceux-ci, il est intéressant de lire ce témoignage, posté en ligne le 16 juillet 2017 sur le Forum de l’Express, par le père de deux militaires : il écrit son indignation devant la situation matérielle et morale dans laquelle ont sombré les armées françaises. Cet homme, qui a voté Macron à la présidentielle, se rend compte tristement qu’il a été berné par des promesses électorales non tenues.

 

 

CONCLUSION

Parmi les 11 candidats à l’élection présidentielle, j’ai été le seul :

  • à expliquer que le travail de sape budgétaire de nos armées découle très directement de l’appartenance de la France à l’euro (c’est-à-dire à une zone-Mark qui ne dit pas son nom et qui n’est pas soutenable sur long terme). Cette appartenance à une monnaie surévaluée (et de plus en plus) par rapport à la compétitivité de l’économie française nous contraint à une rigueur budgétaire sans fin, qui s’exerce d’abord et par prédilection à l’encontre du budget des Armées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la baisse de ce budget est constante depuis un tiers de siècle et qu’elle a été réalisée à tour de rôle par la droite et la gauche, preuve au passage que ce clivage droite-gauche ne correspond plus à rien.

 

  • à proposer aux Français de sortir de l’UE, de l’euro et de l’Otan afin de redonner à la France sa liberté et son indépendance et aux Armées françaises le budget minimal pour assurer leur bon fonctionnement et leur crédibilité au niveau mondial.

 

  • à prendre l’engagement de remonter le budget des Armées à 3,0 % du PIB à la fin du quinquennat (et non à 2,0 %). Comme l’a montré le dossier qui précède, je n’ai pas sorti ce pourcentage d’un chapeau mais d’un examen objectif du formidable rattrapage nécessaire après des années de pénurie. Avec un budget militaire de l’ordre de 3,0 % du PIB, nous retrouverions à peu près le niveau qui était celui de nos armées sous les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing. Au niveau international, nous retrouverions notre crédibilité, même si nous resterions loin derrière la Russie (5,4 % du PIB) et les États-Unis (3,3 % du PIB).

Les événements survenus depuis l’élection présidentielle – et notamment la trahison des promesses de Macron – me confirment dans la conviction que mes analyses et mon programme présidentiel étaient les bons.

François Asselineau

18 juillet 2017