L’appareil diplomatique français en 2019 : entre la survie de la France et celle de l’UE, il faut choisir.

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En théorie, le ministère des Affaires étrangères défend les intérêts de la France dans le monde.

En apparence ou, du moins, dans l’imaginaire collectif, les diplomates sont des fonctionnaires au sort enviable, dont la mission consiste à enchaîner les mondanités dans des contrées exotiques.

En réalité, qu’il s’agisse de leurs conditions de travail ou de la finalité de leur action, le quotidien des diplomates français est aujourd’hui bien loin de l’image donnée et des objectifs affichés publiquement.

Un ministère critiquable, oui, mais pour des raisons bien plus profondes que cette image superficielle et fallacieuse de parasitisme aux frais du contribuable, et qui touchent à l’ensemble de l’appareil d’État. Des raisons qui dépassent largement cette administration, déjà laminée par les réductions de budget à répétition (suppressions de postes, précarisation des statuts, dépendance vis-à-vis de financements privés…), alors que le réseau diplomatique est de plus en plus colonisé par des amis du pouvoir, cantonnant un nombre croissant de diplomates expérimentés et fins connaisseurs de leurs pays d’affectation à des tâches absurdes et débilitantes.

Un ministère qui devrait pourtant être défendu, sauf à renoncer, pour la France, à toute ambition d’existence autonome et d’indépendance politique sur la scène internationale, c’est-à-dire de souveraineté.

Commençons par détailler quelques-uns des dysfonctionnements les plus évidents du Quai d’Orsay avant de revenir sur les causes de ce naufrage collectif, tant moral qu’intellectuel.

Nous tâcherons ensuite de dessiner quelques pistes de réformes internes, en partant de la situation du ministère des Affaires étrangères, mais en gardant à l’esprit que ces principes pourront utilement s’appliquer à l’ensemble des administrations et, tout particulièrement, à leurs échelons supérieurs, qui sont amenés, par leurs fonctions, à être au contact direct du gouvernement et du personnel politique.

1 – Devenir diplomate n’est pas très difficile, le rester l’est davantage

1.1. – Les rangs décimés des diplomates français : népotisme à tous les niveaux

Comme dans toute administration, l’intégration, les affectations, les promotions et, de manière générale, la gestion des carrières est censée s’inscrire dans un cadre réglementaire, permettant d’assurer l’égalité d’accès et la non-discrimination dans la fonction publique.

En réalité, les intégrations arbitraires dans le corps des conseillers des Affaires étrangères et les nominations dans le réseau diplomatique par le fait du prince sont une pratique courante. Le corps des ministres plénipotentiaires, regroupant les ambassadeurs, directeurs et autres cadres supérieurs du ministère des Affaires étrangères, est malheureusement largement gangrené par les nominations politiques. La nécrose menace les tissus.

En outre, s’alignant sur les mœurs de notre classe politique, la pratique du népotisme se décline à tous les niveaux de la gestion des ressources humaines de ce petit ministère, comme un principe cardinal de l’entre-soi et des échanges de bons services : passe-droits, illisibilité des critères de promotion, opacité des processus d’affectation…

Si bien que les diplomates ayant normalement passé les concours d’entrée (ENA et concours du ministère des Affaires étrangères) risquent d’être bientôt l’exception au sein des postes les plus en vue. Ils se voient supplantés par les courtisans, les amis du pouvoir et les bien nés, qui auront acheté leur charge grâce à leur copinage avec les puissants, comme sous l’Ancien Régime.

1.2. – Un métier dangereux : de la psychiatrie au MAE

Au-delà d’une gestion des carrières erratique et opaque, les diplomates n’ont que très rarement des conditions de travail psychologiquement saines. Les pratiques d’encadrement de nombreux directeurs et ambassadeurs sont déplorables, tant du fait de l’impunité totale dont ils jouissent (le ministère des Affaires étrangères n’a pas d’inspection indépendante, toutes les affaires se réglant entre camarades de promotion de l’ENA[1]) que, bien souvent, de ce qu’il faut bien qualifier de pathologies mentales : narcissisme malveillant, sentiment de toute-puissance, mégalomanie, perte du sens des réalités…

Une fois franchis le seuil et la plaque dorée des ambassades de France, les membres de cette petite coterie, la plupart énarques (on retrouve le ratio moyen de deux diplômés de l’ENA pour un cadre d’Orient[2] dans l’ensemble des postes d’encadrement supérieur du MAE), infligent quotidiennement à leurs subordonnés leur autoritarisme brutal, leurs abus de pouvoir, leurs caprices et lubies fantaisistes, leurs décisions chaotiques, leur désorganisation fébrile, leurs exigences irréalistes, leurs rythmes de travail déments, leur pression psychologique continue.

Dans un tel contexte, on en vient à bénir l’ambassadeur mesuré, courtois en toutes circonstances, capable de prendre du recul face aux situations de crise, doté d’une autorité naturelle et à l’écoute de ses subordonnés. Ces ambassadeurs existent encore, fort heureusement, mais ils se font peu fréquents et ce sont rarement ceux qui ont les carrières les plus flamboyantes. Trop compétents et désintéressés au goût de nos gouvernements successifs, sans doute.

Ces derniers préfèrent confier les postes de représentation et d’incarnation de la France à l’étranger à des personnalités puériles et sans envergure mais manipulables, dont « devenir ambassadeur » était peut-être un rêve d’enfant et qui, enfin arrivés au faîte de leur carrière et de leur amour-propre, à l’issue d’une vie de compromissions et de reniements, finissent par se vautrer dans l’hubris la plus ridicule au vu de leur dérisoire quotidien.

1.3. – Porter haut l’étendard des micro-causes à travers le monde

C’est que l’activité diplomatique n’a plus aujourd’hui que très lointainement le caractère stratégique qu’elle devrait.

Comme la nature a horreur du vide, le réseau diplomatique français, au lieu d’œuvrer discrètement mais efficacement à la défense de nos intérêts nationaux (comme le font si bien ses homologues américain, chinois ou russe), s’est replié sur diverses missions, allant de l’inutile au franchement nuisible, et qui lui permettent de brasser de l’air tout en faisant croire qu’il agit, à grand renfort de communication.

Parmi celles-ci, la galvaudée « défense des droits de l’Homme » (à géométrie hautement variable !), la propagande agressive en faveur des causes « sociétales », la promotion gratuite des intellectuels de cour, le tout en couvrant les agissements mafieux des grands groupes français à l’étranger (cf. Lafarge en Syrie).

Arrêtons-nous un instant sur les « avancées » sociétales, tant elles constituent, au-delà de notre légendaire hypocrisie sur les droits de l’Homme et du détournement des moyens de l’État à des fins privées, le symptôme le plus emblématique de la déréliction en cours des administrations régaliennes.

Il s’agit en l’occurrence de la dispersion de l’action diplomatique française dans le registre émotionnel – lui aussi à géométrie variable – par le biais d’une multitude de causes dont on peut douter qu’elles aient vraiment leur place dans les relations intergouvernementales.

Est-il juste, normal, efficace et conforme au principe fondamental de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États, que la diplomatie française consacre une telle place à donner des leçons de morale à la planète entière ? N’est-ce pas une trace de néo-colonialisme que d’intimer l’ordre à de nombreux États de conformer leur modèle de société au nôtre, sur des sujets délicats touchant à l’anthropologie sociale et à la foi religieuse (égalité hommes-femmes, peine de mort, droit à l’avortement) et qui ne font parfois pas même consensus au sein de la société française (droits des LGBT, mariage pour tous) ? Avec le risque de nous faire de plus en plus honnir par de nombreux dirigeants du monde, qui relèvent à quel point la France devrait balayer devant sa propre situation politique intérieure avant de prendre la pose du donneur de leçons.

Pendant que les grands sujets touchant aux relations souveraines et stratégiques d’États à États s’effacent de notre agenda diplomatique (construction européenne oblige), cette floraison de missions sociétales assignées à l’appareil diplomatique transforme de plus en plus le ministère des Affaires étrangères en une sorte de vaste ONG se faisant le relais de circonstance de tous les lobbys et de ses bailleurs de fonds du moment.

1.4. – Quand la lune devient carrée : renfermement sur soi et déni au Quai d’Orsay

Si les conséquences n’en étaient pas si dramatiques, on pourrait rire du renfermement sur eux-mêmes de la plupart des diplomates français, c’est-à-dire de leur incapacité à agir en tenant compte de la réalité, et à analyser les impasses de la politique étrangère de la France à l’aune de la situation internationale à laquelle elle est confrontée.

Les échecs – pour ne pas dire les désastres – ont pourtant été nombreux ces dernières années.

On pourrait commencer par le chaos engendré en Libye par l’intervention militaire de 2011 et le renversement de Kadhafi. Cette intervention militaire illégale au regard du droit international a provoqué, entre autres, une immigration massive vers l’Europe et la montée de l’extrême-droite (ou des partis qualifiés comme tels) du fait de leur discours d’opposition à l’extrémisme de l’UE en matière de suppression des frontières et à ses conséquences en termes de criminalité et de dumping social. Cela se vérifie d’ailleurs dans quasiment tous les pays de l’UE (FPÖ en Autriche, Ligue en Italie, DF au Danemark, AfD en Allemagne, etc.).

Nous avons ensuite contribué, à partir de 2011, à alimenter le terrorisme par le soutien aveugle (et armé) accordé aux rebelles islamistes lors des « printemps arabes ». Puis, suite à la proclamation de l’État islamique en Irak et en Syrie en 2014, par la violation répétée du droit international dans ce dernier pays, l’intervention militaire de la « coalition internationale » menée par les États-Unis (de 2014 à 2018) n’ayant jamais eu d’autre but que de renverser le gouvernement légitime de el-Assad. Au-delà de l’effroyable bilan humain des bombardements occidentaux en Syrie, on peut mesurer les résultats tragiques de ces politiques sur notre sol : près de 250 victimes en France d’un terrorisme islamiste devenu endémique depuis 2014.

On peut continuer la liste avec le soutien au coup d’État néo-nazi de 2014 en Ukraine (après le refus du président de ce pays de signer un accord d’association avec l’UE). Avec pour effet un pays durablement plongé dans la guerre civile et un État en faillite, vivant sous perfusion financière de l’UE (2,8 milliards d’euros depuis 2014) et du FMI (8,7 milliards de dollars depuis 2015), etc.

La nullité crasse des capacités prospectives du ministère des Affaires étrangères (sur les printemps arabes, l’élection de Trump, le vote britannique pour le Brexit, le rapprochement inter-coréen, etc.) est d’ailleurs un désolant révélateur de l’emprise de l’idéologie européiste sur les esprits, malgré les signes précurseurs et les rapports de force politiques qui auraient pu et dû être analysés.

Est-il étonnant de constater que le service du MAE dédié à cette activité est avant tout occupé à intoxiquer de propagande ses collègues diplomates pour que jamais ne soient remises en question les politiques doctrinaires et irrationnelles dans lesquelles la France s’enferre, encore et toujours ?

Au-delà du problème d’endoctrinement collectif et du véritable déni dans lequel beaucoup sont enfermés, il ne faut pas méconnaître le rôle du conformisme, de la lâcheté (il ne faut surtout pas dire au Roi qu’il est nu) et, partant, de l’autocensure dans cette absence de bilan critique. Soucieux avant toute chose de faire carrière, la plupart des diplomates s’interdisent de voir, de penser et, a fortiori, de produire les analyses et les interprétations qui pourraient contredire le Palais de l’Élysée. Ce faisant, ils se condamnent eux-mêmes à ne plus être que les propagandistes non convaincants d’une politique étrangère indéfendable.

Le Quai d’Orsay ou les écuries d’Augias

Quelles sont les causes profondes de ce naufrage moral et intellectuel ? Et quelle est la part de responsabilité de la classe politique, évidente, mais aussi des hauts fonctionnaires, dont le statut est pourtant conçu pour les rendre indépendants du pouvoir et les protéger de ses pressions ?

2.1. – Le télégramme diplomatique, c’est la Pravda en plus sournois

Quelqu’un au Quai d’Orsay croit-il encore à ce qu’il écrit  ?

Difficile de faire la part entre le degré d’adhésion sincère à la ligne officielle (les idiots utiles), la simple discipline (les désabusés) et l’ambition professionnelle (les opportunistes), bien que les premiers et les derniers soient de plus en plus souvent les mêmes (là aussi, le niveau baisse). Que ce soit par naïveté, conformisme et lâcheté, ou par cynisme, zèle et carriérisme, la dictature de la majorité s’applique à réduire au silence toute voix dissidente.

Car l’autocensure déjà évoquée ne doit pas masquer la brutale censure que subit le diplomate fraîchement intégré et aux idées un tant soit peu personnelles ou nuancées : sa hiérarchie, terrorisée, fera tout son possible pour broyer l’esprit indépendant ; ses collègues, à la fois offusqués et trop heureux de l’opportunité, rivaliseront d’attaques pour mieux se distinguer ; et, bien vite, il risque de se retrouver isolé et durablement décrédibilisé dans un ministère où la réputation et les relations font tout.

Comment s’exerce cette censure ? Par le rejet systématique et sans justification des analyses politiques transmises dès lors qu’elles ne sont pas parfaitement conformes à la vérité officielle. Par le malaise suscité par tout échange contradictoire. Par le soin apporté à éluder toute délibération des décisions prises, même lorsque ces décisions sont tellement contraires au bon sens et à l’intérêt national qu’elles sont accueillies avec un silence consterné par les diplomates sur le terrain.

En définitive, le diplomate évolue dans un système intellectuellement carcéral, où l’autorité hiérarchique se double d’une autorité morale, permettant aux échelons supérieurs et intermédiaires d’imposer une vision idéologique des événements.

Dans cette tyrannie de la servilité, aucune expertise n’est reconnue aux diplomates par les échelons hiérarchiques supérieurs, lesquels exercent une pression implicite sur leurs subordonnés pour qu’ils produisent les analyses biaisées permettant de flatter le pouvoir.

Cette pratique est désormais officielle avec la récente éviction par Macron de l’ambassadeur de France en Hongrie, Eric Fournier, à l’été 2018, après transmission d’une analyse de la politique d’Orban jugée trop peu alignée avec les prises de position du chef de l’État. Les dernières “brebis galeuses” (car non macronistes) du Quai d’Orsay n’ont qu’à bien se tenir.

2.2. – Le diplomate français aujourd’hui, entre commissaire politique et faux-monnayeur

Il faut dire que la notion de neutralité du service public est relativement étrangère au Quai d’Orsay, qui semble se concevoir comme le siège du parti politique au pouvoir. Le parti-pris européiste, néolibéral et atlantiste est omniprésent dans les correspondances diplomatiques et notes internes. Et le manque de modération et de retenue des diplomates, qui affichent ouvertement leurs appartenances et amitiés politiques, y compris à l’étranger lorsqu’ils représentent la France, est monnaie courante (cf. le tweet de déception rageuse de l’ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, au lendemain de l’élection de Trump, en janvier 2017).

En l’absence de toute déontologie professionnelle, la plupart des diplomates français agissent comme de véritables commissaires politiques du gouvernement, et tous les coups semblent permis.

La manipulation et la malhonnêteté intellectuelles dans les analyses politiques transmises sont récurrentes (ex : dialogue des diplomates en poste avec les seules personnalités étrangères dont les analyses concordent avec la position du gouvernement français sur les pays concernés : libéraux, partisans inconditionnels de l’UE et de la mondialisation, opposants politiques et think tanks critiques dans les pays jugés trop « socialistes », trop « nationalistes » ou encore trop « populistes » par Paris, etc.).

La porosité au lobby pro-israélien et à ses méthodes de propagande est de plus en plus visible et assumée, avec les insinuations diffamatoires à l’encontre de tout courant critique de la politique internationale de Tel-Aviv.

L’absence de toute analyse objective, l’interprétation idéologique des faits, voire le mensonge éhonté, sont en outre élevés au rang de critères de compétence professionnelle, et sont rétribués par la promotion rapide des fidèles serviteurs, toujours d’accord avec le pouvoir, aussi instables et réversibles que puissent être les positions gouvernementales (cf. Macron et l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien après le retrait des États-Unis).

2.3. – Je pérore, je collabore, j’obéis, je trahis.

Une telle conception de l’éthique professionnelle est naturellement peu à même de constituer un garde-fou efficace contre les dérives de l’exécutif qui, de plus en plus décomplexé, trahit désormais ouvertement les intérêts fondamentaux de la nation : destruction de l’outil productif (cf. ventes à la sauvette d’Alstom Energie à General Electric et de l’aéroport de Toulouse à un consortium chinois en 2015), destruction des systèmes de protection sociale hérités de l’après-guerre, mépris de la culture française, négation de son identité, démantèlement de l’appareil d’État et, en priorité, des outils de projection de la puissance française dans le monde : armée, diplomatie, réseau culturel et d’enseignement du français.

La double aliénation de la souveraineté du peuple français à l’Allemagne (par l’intermédiaire de l’UE et de l’euro) et aux États-Unis (par l’intermédiaire de l’OTAN) constitue, de la part de nos gouvernements, la marque claire d’une soumission à des intérêts étrangers. La suppression en 2007 de toute référence explicite à la haute trahison dans la Constitution est une heureuse coïncidence.

Est-il encore nécessaire de détailler les politiques qui minent le pays depuis le tournant libéral de 1983 ? Voici quelques grands marqueurs :

  • la soumission politique à l’Allemagne découlant de l’idéal niais d’une Union européenne qui nous en protégerait (et que l’on n’hésitera pas à imposer aux peuples ne partageant pas l’hypocrite candeur de leurs élites, comme les « non » français et néerlandais de 2005 au projet de Constitution pour l’Europe),
  • la participation active à la destruction de l’économie française – désindustrialisation massive et chômage à 10 % – par idéologie libre-échangiste et abandon monétaire (quand comprendra-t-on que la compétitivité des entreprises françaises à l’international est structurellement minée par la surévaluation de l’euro ? La France n’ayant plus connu une seule année d’excédent commercial depuis la mise en circulation en 2002 de cette monnaie taillée pour et contrôlée par l’Allemagne…),
  • l’alignement systématique de la France, dans toute crise internationale, sur les positions américaines (cf. le risible suivisme français sur le Venezuela après la reconnaissance par Trump de l’auto-proclamé « président par intérim », Juan Guaido, fin janvier 2019) et l’inféodation de l’armée française aux objectifs militaires de Washington (cf. Syrie),
  • la diabolisation dans l’opinion publique d’ennemis présumés (Iran, Russie, Chine…) désignés par les États-Unis, au mépris des alliances stratégiques et des intérêts économiques de la France, etc.

Comment se manifeste cet esprit de collaboration, d’intelligence avec l’ennemi, au sein du corps diplomatique ?

  • par la rédaction de télégrammes conjoints entre ambassadeurs de France et d’Allemagne, alimentant l’illusion d’une superposition systématique des intérêts français et allemands ;
  • par le soutien enthousiaste à la politique libre-échangiste de la Commission européenne (et ce, en dépit du rôle marginal tenu par les diplomates français dans la négociation des accords de libre-échange de l’UE, puisque les instances européennes qui se sont par ailleurs affranchies de la ratification par les parlements nationaux en 2017, jugent à peine utile d’en informer les gouvernements des États membres) ;
  • par l’appui systématique du réseau diplomatique aux multinationales “françaises” dans leur quête de parts de marché à l’étranger alors que ces groupes ne participent nullement à la richesse nationale (délocalisation et destruction d’emplois en France, évasion fiscale) et sont pour la plupart contrôlés par des actionnaires étrangers.
  • Et la liste pourrait être encore longue…

Nous en sommes donc arrivés à un tel point de perversion de la mission du diplomate que celui-ci agit désormais bien souvent en contradiction frontale avec les intérêts de la France et des Français (le concept d’intérêt national étant, il est vrai, banni depuis que nous baignons dans la « mondialisation heureuse »).

L’abandon à l’Allemagne de la force de dissuasion nucléaire française et du siège permanent de la France au Conseil de sécurité de Nations unies (sous couvert d’ « européanisation ») sont désormais des options qui sont discutées, et dans le sens desquelles va le lamentable traité d’Aix-la-Chapelle signé par Macron et Merkel le 22 janvier 2019.

À ce niveau de trahison, et alors que le caractère démocratique de nos institutions est de plus en plus contesté, est-il juste, est-il concevable d’exonérer de toute responsabilité les hauts fonctionnaires français qui, rappelons-le, ne sont pas tenus à l’obéissance en cas d’ordre illégal ou contraire à l’intérêt public[3] ?

Position à confronter au passé vichyste d’une grande partie de la haute fonction publique française. Trahison un jour, trahison toujours…

Macron ridiculisé par Trump devant le monde entier à la Maison Blanche le 24 avril 2018.

3. Dépolitiser la haute administration : un objectif de salubrité publique

Que faire face à cette situation dramatique ?

Certes, la réponse est avant tout politique. Néanmoins, certaines mesures relevant de l’organisation de la haute fonction publique sont esquissées ici. Ces pistes mériteront sûrement d’être approfondies, mais les principes sur lesquels elles s’appuient nous paraissent pouvoir contribuer à assainir le marais dans lequel nous pataugeons.

Nous pourrions les résumer par l’objectif de « dépolitisation de la fonction publique », soit lui rendre sa neutralité et son indépendance par rapport au gouvernement et au personnel politique (membres de cabinets ministériels, parlementaires, etc.). Au-delà de mesures de séparation et de cloisonnement entre haute administration et classe politique, qui relèvent du bon sens, l’accent sera mis d’une part sur la gestion des carrières et le contrôle de l’action des hauts fonctionnaires, que l’on souhaitera plus normés tout en y introduisant une forme de contrôle démocratique, et d’autre part sur la nécessité d’un renforcement de la spécificité du corps diplomatique.

3.1. – Pour une séparation entre haute administration et classe politique

Que ce soit par sincère adhésion idéologique, par collusion de classe, par conformisme, par intérêt carriériste ou par pressions et menaces directes du gouvernement et du personnel politique, les hauts fonctionnaires français ne sont aujourd’hui plus en mesure de respecter leurs obligations statutaires de neutralité et d’indépendance. Nous avons longuement décrit le cas des diplomates, que nous connaissons de près, mais il va sans dire que l’ensemble de l’appareil d’État, tous départements ministériels confondus, est concerné.

Partout où il y a contact entre le politique et le haut fonctionnaire, le politique abuse de son pouvoir, nie la compétence du haut fonctionnaire et manipule la réalité dans son intérêt, ses agissements se trouvant systématiquement couverts par l’acception très extensive par ce même haut fonctionnaire de ses devoirs d’obéissance et de réserve.

Nous proposons de clarifier les relations entre personnel politique et haute administration dans le sens d’une étanchéité aussi parfaite que possible, en encadrant et limitant très strictement les passages de l’un à l’autre et, surtout, en retirant au politique tout contrôle sur la gestion des carrières des hauts fonctionnaires (avancement, affectation, décoration…).

En ce qui concerne le MAE, il s’agira ainsi de mettre fin :

– aux nominations et intégrations arbitraires du corps des conseillers des Affaires étrangères, sur décision politique ;

– aux nominations et affectations arbitraires à des postes d’ambassadeurs, de consuls généraux et autres postes prestigieux dans le réseau diplomatique et consulaire, sur décision politique[4];

– à la promotion par passage en cabinet ministériel, qui récompense la corruption et la servilité face au gouvernement. Le travail en cabinet ministériel, qui doit être ouvert – mais sans exclusivité – à tout haut fonctionnaire en fonction de ses convictions politiques, ne doit donner droit à aucun privilège ni préséance pour le poste suivant (avancement, affectation prestigieuse, obtention de postes rémunérateurs, etc.), contrairement à la pratique ouvertement en vigueur aujourd’hui[5].

3.2. – Gestion des carrières et contrôle des hauts fonctionnaires : faire primer le droit et la transparence sur l’arbitraire

Ôter au gouvernement et au personnel politique tout pouvoir d’influence sur la carrière des hauts fonctionnaires a pour corollaire naturel et nécessaire le renforcement de l’indépendance des services de ressources humaines et d’inspection auxquels ces missions sont confiées.

Pour ce qui est de la gestion des carrières, il s’agira de rendre à la DRH le monopole de cette fonction dans tous ses aspects : avancement, nomination et affectation, promotion, contrôle et sanction, etc. Dans tous ces domaines, les règles en vigueur devront être codifiées précisément (postes accessibles en fonction de l’ancienneté, obligations d’expérience et de compétences – notamment linguistiques – pour certaines affectations, etc.) avec une volonté d’harmonisation entre les différents départements ministériels (échelle de rémunération commune entre les différents corps d’État à qualification, ancienneté et responsabilité égales…).

Le bon respect de ces règles par l’administration pourra être assuré par la participation systématique et tournante aux réunions d’affectation et autres instances décisionnelles d’un échantillon d’agents du MAE tirés au sort, et qui sera chargé d’en diffuser ensuite le compte-rendu en interne. La procédure annuelle de candidature aux postes en renouvellement, « orwellement » nommée « Transparence », pourra peut-être ainsi se révéler un peu plus fidèle à son appellation.

Pour ce qui est du contrôle de l’action des plus hauts fonctionnaires (directeurs d’administration, ambassadeurs et consuls généraux), la mise en place d’une inspection indépendante du gouvernement mais aussi de son administration d’origine serait un premier progrès pour le MAE. Car le corps d’inspecteurs des Affaires étrangères étant totalement endogène, il est par-là même hautement influençable et corruptible, puisqu’il est chargé de contrôler ses collègues directs, anciens camarades d’école, d’ancienneté et de parcours équivalents, et régulièrement côtoyés depuis plusieurs décennies dans le perpétuel chassé-croisé des affectations en administration centrale et à l’étranger.

Dans cette configuration, tout dysfonctionnement sérieux, sans parler des scandales susceptibles de perturber la reproduction du même, est soigneusement étouffé. D’autant plus que les inspecteurs des Affaires étrangères d’aujourd’hui sont les ambassadeurs de demain, qui se verront à leur tour contrôlés par les anciens ambassadeurs devenus entre-temps inspecteurs. Avec un tel mécanisme du contrôle par soi-même, il est d’ailleurs étonnant qu’il n’y ait pas davantage de dérives et d’abus au MAE.

Ce principe d’une inspection indépendante du gouvernement et de l’administration, qui plaide pour un corps interministériel doté de prérogatives importantes (l’actuelle inspection générale de l’administration ne semble pas répondre à toutes ces préoccupations), appelle par ricochet la possibilité de recours en cas de litige sur une décision ainsi que l’introduction d’un certain contrôle démocratique, qui pourrait, là aussi, prendre la forme d’une participation de citoyens tirés au sort aux instances décisionnelles concernées. Donner un droit de regard à la population sur l’activité des hauts fonctionnaires nous semble de bonne politique, a fortiori en matière diplomatique et de politique étrangère, domaines par définition éloignés du quotidien des Français.

3.3. – Pour une spécificité accrue du corps diplomatique

La compétence professionnelle étant le véritable rempart des hauts fonctionnaires face au  parasitisme des amis du pouvoir et à la crispation corporatiste, toute mesure permettant de garantir et accroître celle-ci va dans le sens de leur indépendance et, partant, de leur efficacité.

À cette fin, et en ce qui concerne le corps diplomatique, on pourrait envisager de :

  • donner au concours d’Orient le monopole du recrutement des membres du corps diplomatique, en mettant fin à l’intégration en sortie d’ENA ;
  • préserver la spécificité linguistique (maîtrise d’au moins une langue rare en plus de l’anglais) et géographique (connaissances civilisationnelles approfondies de leur zone de spécialisation) des membres du corps diplomatique, en maintenant le niveau d’exigence des épreuves dédiées du concours d’Orient et en renforçant considérablement le programme de formation continue en langues étrangères, afin que les diplomates français non seulement conservent la maîtrise des langues qu’ils connaissent déjà mais en acquièrent de nouvelles, en fonction de leur pays d’affectation[6] ;
  • enrichir considérablement le contenu de la formation initiale dispensée annuellement en interne aux lauréats du concours (questions politiques en administration centrale et en ambassade, questions consulaires et service aux Français de l’étranger, coopération et action culturelle de la France à l’étranger, etc.). Là encore, si la France souhaite se maintenir au niveau de ses principaux partenaires et concurrents étrangers, il ne suffit pas de mimer les pratiques (créer un pompeux « Institut diplomatique et consulaire » restant une coquille vide) mais de se donner les moyens de sa crédibilité (étendre la formation à un an, la rendre plus opérationnelle et technique, impliquer les agents dans l’acquisition des savoirs et savoir-faire nécessaires, etc.)

Conclusion : entre la survie de la France et celle de l’UE, il faut choisir

La classe politique française, depuis 50 ans, a abdiqué. Les loups sont dans Paris. Au lieu d’agir, le pouvoir singe l’action et fait la publicité de ces singeries pour donner l’illusion d’une politique. Mais le dépeçage s’accélère, les joyaux de la Couronne sont bradés au plus offrant, le pays est livré tout entier à la prédation agressive de classes dirigeantes traîtresses à la nation. Le nihilisme atteint son apogée. « Après moi, le déluge ! »

Nous sommes en guerre. En guerre contre les autres nations européennes dans le grand espace de mise en concurrence forcenée de nos modèles sociaux, de nos régimes fiscaux et de nos systèmes de production qu’est l’Union européenne ; en guerre contre notre classe politique qui, comme toujours, préfère détruire la France et violenter son peuple plutôt que de remettre en cause ses intérêts de classe.

Dans cette guerre, les premières batailles ont été perdues, par naïveté, par paresse, par bêtise peu importe, et nous sommes aujourd’hui sous occupation, dirigés par des collaborationnistes notoires.

Nous aurions pu écrire il y a encore six mois qu’il est important que les Français le sachent, mais l’Histoire a cela de beau qu’elle nous réserve parfois de belles surprises : le mouvement des gilets jaunes a prouvé qu’aujourd’hui, les Français savent, qu’ils ne sont pas dupes et qu’ils ne joueront plus selon les règles viciées d’un jeu dont ils sont toujours les perdants.

Pendant ce temps, les diplomates français restent les forçats de la vacuité quotidienne de notre politique étrangère. Le réseau diplomatique est ouvertement capté par des intérêts privés et instrumentalisé au profit d’objectifs politiciens. On aura beau jeu bientôt de dire qu’il faut le démanteler définitivement et confier ses missions à l’impuissant et désincarné « service européen d’action extérieure ».

Cette situation constitue d’autant plus un scandaleux gâchis que le Quai d’Orsay compte encore, et malgré tout, de brillantes individualités.

Certains cadres sont de réels spécialistes, qui connaissent merveilleusement bien le pays qu’ils suivent depuis Paris ou dans lequel ils sont accrédités, qui en parlent la langue – parfois difficile -, qui en connaissent la civilisation sous toutes ses facettes, qui perçoivent avec acuité le rôle éminent que pourrait y jouer la France si elle n’était pas lancée dans son autodestruction européiste.

Mais ces authentiques professionnels-là n’ont aucune marge de manœuvre pour produire les analyses que leur dictent leurs connaissances et leurs convictions les plus profondes, ils en sont réduits à opposer une résistance passive aux ordres insensés venus d’en haut.

Dans l’ensemble, l’appareil diplomatique français donne la curieuse impression de ne plus fonctionner que par inertie, comme un appareil réglé sur pilotage automatique. Au lieu de mettre en œuvre une politique étrangère, les diplomates ne traitent plus que de « technique », c’est-à-dire de complexité administrative, et ne sont plus, comme les autres fonctionnaires, que les technocrates interchangeables d’un appareil d’État qui tourne à vide.

Dans le monde, la voix de la France est devenue inaudible, noyée dans l’impuissant maelstrom européen. Il a rarement été aussi urgent dans notre histoire de reprendre le contrôle de notre destin : entre la survie de la France et celle de l’UE, le choix s’impose. Maintenant.

Charles GRAVIER
21 avril 2019

Charles GRAVIER est un pseudonyme sous lequel écrivent deux diplomates français en activité, l’un et l’autre adhérents de l’UPR.
Ce pseudonyme est repris de Charles Gravier, comte de Vergennes, qui fut secrétaire d’État des Affaires étrangères de Louis XVI pendant près de treize ans – de juillet 1774 à sa mort en février 1787. Charles Gravier fut, selon le jugement de l’historien Albert Sorel, « le plus sage ministre que la France eût rencontré depuis longtemps, et le plus habile qui se trouvât aux affaires en Europe ». Son nom reste particulièrement attaché à cette fonction puisque l’on dit traditionnellement des ministres français des Affaires étrangères qu’ils s’assoient dans le « fauteuil de Vergennes ».


[1]              En moyenne, l’inspection générale des Affaires étrangères est composée à 50 % de diplômés de l’ENA.

[2]              Spécialistes géographiques recrutés sur concours spécifique, les cadres d’Orient maîtrisent au moins l’une des langues de leur zone de prédilection (russe, persan ou turc pour la zone Europe orientale et Asie centrale ; chinois, hindi ou japonais pour  la zone Asie méridionale et Extrême-Orient ; arabe littéral, hébreu ou swahili pour la zone Maghreb, Moyen-Orient, Afrique) et ont une très bonne connaissance de l’histoire, de la culture et des relations qu’entretiennent les pays qui la composent.

[3]              « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés. » Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors. – Article 28

[4]              Cf. la nomination par Macron de l’un de ses proches, auteur d’un livre hagiographique à son sujet, au poste de Consul général à Los Angeles et le décret 2018-694 du 4 août 2018 qui ajoute 22 postes de consuls généraux à la liste des emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du gouvernement – autant d’occasions pour Macron de récompenser ses nombreux amis aux frais du contribuable français.

[5]              Chaque année, toutes les décisions d’affectation préparées par la DRH collégialement avec les directions géographiques et techniques concernées sont, en dernier ressort, transmises au cabinet du ministre, dont les membres – la plupart jeunes et peu expérimentés – ont toute liberté pour choisir leur prochain poste, en toute fantaisie par rapport à leurs aptitudes – et en évincer le collègue compétent et expérimenté mais moins proche du pouvoir. Le rôle de la DRH s’en trouve ainsi réduit à une simple chambre d’enregistrement des desiderata du personnel politique.

[6]              Les pratiques du MAE ne souffrent pas la comparaison avec celles de ses homologues britannique, américain ou même allemand, qui donnent les moyens à leurs agents d’être véritablement efficaces sur le terrain, notamment par des programmes de stages linguistiques intensifs (à temps plein) et de longue durée (plusieurs mois) avant leur prise de poste à l’étranger, là où les diplomates français sont directement envoyés dans des pays dont ils ne maîtrisent pas la langue avec comme seul recours de prendre, à leurs frais, des cours du soir après leur journée de travail…