Alors que la France et les pays asservis de l’UE le refusent, le Nicaragua et le Venezuela accordent l’asile politique à Snowden

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Edward Snowden, ce jeune informaticien à l’origine de révélations fracassantes sur les programmes secrets de surveillance des communications mondiales opérés par la NSA américaine, était plongé dans une situation des plus sombres jusqu’à ce vendredi 5 juillet.

En effet, le gouvernement de Washington ne se contente pas de l’accuser de « traîtrise », de l’avoir déchu de la nationalité américaine sans autre forme de procès, et de l’avoir inculpé sous les chefs d’accusation d’espionnage, vol et utilisation illégale de biens gouvernementaux. Les autorités américaines le poursuivent également d’une vindicte particulière, en exerçant des pressions diplomatiques intenses sur tous les pays du monde pour obtenir son extradition.

Ainsi tous les États membres de l’UE qui avaient été sollicités par Edward Snowden pour y obtenir l’asile l’ont refusé : la France, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et l’Espagne.

Outre qu’ils sont ignominieux du point de vue de la morale, de l’histoire et des valeurs dont se réclament les pays d’Europe, ces refus en cascade fournissent une nouvelle illustration saisissante de mes analyses, à savoir que la prétendue « construction européenne » n’est en fait qu’une gigantesque opération de domestication néo-coloniale du continent européen par les États-Unis d’Amérique et leurs affidés. Dressés comme des chiens de Pavlov, les dirigeants européens ont tous obéi à leur maître américain au premier coup de sifflet.

manifestation-allemagne-snowden4 juillet 2013 à Berlin : des manifestants réclament que l’Allemagne accorde l’asile à Edward Snowden. Sur le panneau au premier plan, on peut lire : « Wer für unsere Freiheit kämpft verdient unser Asyl », soit en français : « Celui qui se bat pour notre liberté mérite notre asile ». Comme les mêmes demandes formulées en France et dans d’autres pays de l’UE, celles-ci resteront lettre morte : le gouvernement de Mme Merkel a refusé l’asile, comme tous les autres pays de l’UE sollicités.  

On notera au passage que, dans tous les pays européens placés sous tutelle étatsunienne par le truchement de la prétendue « Union européenne »,  les responsables des grands partis dits « de gouvernement » et dits « d’opposition » (qu’ils soient de « gauche » ou de « droite ») n’ont pas bronché. Aucun n’a condamné son gouvernement respectif dans les termes appropriés au sujet de cette affaire, alors qu’elle leur offrait une occasion formidable de le faire.

Ainsi en France : non seulement le PS, bien sûr, mais aussi l’UMP et le MODEM, ont été d’une discrétion de violette lorsque la France a décidé de refuser l’asile à Edward Snowden ; ils sont restés muets comme des carpes devant le scandale diplomatique du blocage de l’avion du président bolivien.

Ce n’est certes pas une surprise, mais c’est une confirmation. Irréfutable. Nous avons tous pu voir à l’œil nu que, si Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, François Fillon ou François Bayrou étaient à la place de François Hollande à l’Élysée, la France se serait couchée de la même façon devant les oukases de Washington : tous ces messieurs auraient refusé l’asile à Edward Snowden (François Fillon l’a confirmé explicitement) et auraient refusé le survol du territoire à l’avion du président bolivien, à la demande de la CIA (dont les informations étaient d’ailleurs fausses).

Il faut par ailleurs noter que les pressions américaines sont tellement intenses dans les coulisses que d’autres pays du monde ont refusé l’asile sollicité par Snowden :

  • la Chine a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas l’accorder,
  • la Russie se contente de ne pas livrer le jeune informaticien à Washington, mais elle le bloque depuis 13 jours dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou-Cheremetievo,
  • le Brésil, la Norvège et l’Inde ont dit Non à la demande d’asile.
  • Et en Islande, le parlement de Reykjavik a rejeté une proposition, faite par 6 députés, d’accorder au fugitif la nationalité islandaise, ce qui a renvoyé aux calendes l’éventualité de l’octroi de l’asile.

Du coup, et jusqu’à ce vendredi 5 juillet, la situation du jeune “lanceur d’alertes” se présentait sous le jour le plus inquiétant.

Or cette situation personnelle de l’informaticien américain Edward Snowden vient soudain de connaître une éclaircie. Car deux chefs d’État latino-américains ont eu, eux, la dignité, le sens moral, et le courage de dire Oui.

DANIEL ORTEGA, PRÉSIDENT DU NICARAGUA, ANNONCE QU’IL DONNERA L’ASILE « AVEC GRAND PLAISIR » À SNOWDEN

ortega-snowdenLe vendredi 5 juillet 2013, le président du Nicaragua, Daniel Ortega (en photo ci-dessus), a annoncé :

  • qu’il avait reçu une demande d’asile d’Edward Snowden : « Nous avons reçu une lettre envoyée par Snowden à l’ambassade du Nicaragua de Moscou dans laquelle il sollicite l’asile au Nicaragua.»
  • et qu’il était disposé à le lui accorder : « Nous, nous sommes ouverts et respectueux du droit d’asile et il est clair que si les circonstances le permettent, nous recevrons Snowden avec grand plaisir et lui donnerons l’asile ici au Nicaragua. »

Ces déclarations ont été faites pendant la commémoration du 34e anniversaire de la révolution au Nicaragua devant des centaines de partisans sandinistes.

Elles doivent être d’autant plus soulignées que le président Ortega est le premier chef d’État au monde à avoir répondu positivement à la demande de Snowden.

Pour bien prendre la mesure de la décision de Daniel Ortega, il faut avoir à l’esprit que le Nicaragua est un tout petit pays. Je crois utile, à ce propos, de présenter à mes lecteurs quelques éléments de comparaison avec la France.

Comparaison Nicaragua – France

Le Nicaragua, qui vient de décider d’accorder l’asile à Edward Snowden :

  • a une superficie équivalente à 1/5e de celle de la France, grand comme 3 fois la région Rhône-Alpes,
  • ne compte que 5,8 millions d’habitants, soit 9 % de la population française, un peu moins que la population de la région Rhône-Alpes.
  • a un PIB nominal de l’ordre de 7 milliards de dollars ( source : FMI, en 2011), alors que le PIB de la France est de l’ordre de 2808 milliards de dollars (même source : FMI, en 2011).

Ce qui signifie que l’économie du Nicaragua représente… 0,2% de l’économie française (et 0,78% si on procède à la comparaison en “parité de pouvoir d’achat”.

  • a des dépenses militaires estimées à 44,1 MUSD en 2010, alors qu’elles étaient la même année de… 61 285 MUSD pour la France.

Ce qui signifie que les dépenses militaires du Nicaragua sont de l’ordre de… 0,072% des dépenses militaires de la France.

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Ces comparaisons entre la puissance et la richesse respective de la France et du Nicaragua sont affreuses quand on les rapproche de l’attitude respective des dirigeants respectifs vis-à-vis du gouvernement de Washington.

Elles me rendent encore plus odieuse la décision de larbin prise par François Hollande et son gouvernement de refuser l’asile à Edward Snowden.

La décision du président Ortega d’accorder « avec grand plaisir l’asile, ici, au Nicaragua » à Edward Snowden a en effet l’immense mérite de démasquer ce qui se cache derrière les réactions cauteleuses de certains esprits finauds, en France ou en Europe. Je pense à tous ceux qui estiment que ce n’est certes pas très joli de se plier aux oukases de Washington, mais qu’il faudrait bien être « réalistes » et admettre que la France, ou que l’Allemagne, ou que l’Italie, ou que l’UE dans son ensemble, seraient trop petites et trop faibles pour pouvoir tenir tête aux États-Unis…

Ce que vient de montrer la décision du Président du Nicaragua, c’est que le prétendu « réalisme » est l’éternel argument des collabos de tous les temps, des lâches et des serviles. Comme le dit le dicton : « Quand on veut, on peut. »

Et ce que montre toute l’histoire du monde, c’est que le seul vrai « réalisme » – celui qui finit toujours par triompher malgré les difficultés – c’est celui qui consiste à agir en fonction de ce que nous dicte la petite voix intérieure que nous avons tous en nous, celle qui nous indique sans coup férir ce qui est bien, honnête et juste.

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Une affiche de propagande sandiniste au Nicaragua, avec le portrait de Daniel Ortega. Perçu en Europe comme une sorte de mouvement révolutionnaire sulfureux, le régime sandiniste apparaît sur place sous un jour bien différent, empreint d’idéaux évangéliques. Il se veut socialiste et chrétien, comme le proclame le slogan visible ici : « cumplirle al pueblo es cumprirle a dios » = « Répondre aux besoins du peuple, c’est satisfaire Dieu ».

Bien qu’émouvant comme une parabole évangélique, ce slogan sandiniste n’a jamais été du goût des dirigeants américains. C’est ce que montre la couverture du magazine américain Time du 31 mars 1986 ci-dessous. Son titre : « The Man Who Makes Reagan See Red Nicaragua’s President Daniel Ortega »  signifie : « L’Homme qui fait voir rouge à Reagan : le Président du Nicaragua Daniel Ortega »

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NICOLAS MADURO, PRÉSIDENT DU VENEZUELA, ANNONCE À SON TOUR QU’IL ACCORDE L’ASILE À SNOWDEN

maduro-snowdenLe vendredi 5 juillet 2013, quelques instants après son homologue du Nicaragua, le président vénézuélien Nicolas Maduro (en photo ci-dessus), a annoncé à son tour qu’il offrait l’asile humanitaire à l’informaticien américain.

Le successeur d’Hugo Chavez au pouvoir à Caracas a saisi l’occasion – ô combien symbolique ! – de la  célébration de l’indépendance du Venezuela pour faire cette déclaration publique, aussi impressionnante que digne et poignante :

« En tant que chef de l’État et du gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela, j’ai décidé d’offrir l’asile humanitaire au jeune Snowden pour le protéger de la persécution de l’empire le plus puissant du monde qui s’est déchaînée sur lui. »

Quelle phrase terrible et belle, et si profondément juste : protéger le jeune Snowden de la persécution de l’empire le plus puissant du monde qui s’est déchaînée sur lui…..  Protéger David contre Goliath en somme.

Que dire en lisant cela ?

Rien. Rien sinon que cette déclaration poignante, que l’on croirait sortie tout droit, dans son esprit, des grands moments de l’histoire de France, n’a pas été, hélas, prononcée par le Président de la République française.

En lisant cette déclaration du président Maduro, au plus profond de moi, j’ai honte de mon propre pays. Et je suis encore plus révolté par la situation de servitude à laquelle nous ont collectivement conduits les responsables politiques européistes de tous bords.

CONCLUSION : MOBILISONS-NOUS POUR QUE SNOWDEN ET ASSANGE FASSENT DES ÉMULES DANS LE MONDE ENTIER

Si les autorités américaines poursuivent Edward Snowden d’une vindicte particulière, s’ils intimident la planète entière pour qu’on leur « livre » cet homme jeune, c’est probablement parce qu’ils ont peur, avant toute autre chose, que son geste fasse des émules parmi toute une génération de nouveaux Edward Snowden en puissance.

C’est la raison pour laquelle il est si important, au-delà du cas personnel de l’intéressé bien sûr, que des pays se dressent contre la tyrannie et osent affronter les foudres de Washington. On doit noter, d’ailleurs, qu’au Nicaragua comme au Venezuela, c’est dans les deux cas à l’occasion d’une fête nationale que les deux chefs d’État ont annoncé leur décision en faveur d’Edward Snowden. Tant il est vrai que c’est uniquement l’amour de la patrie et la solidarité nationale qui permettent à un peuple et à ses dirigeants de braver avec courage les empires les plus menaçants.

Il faut que Snowden et Assange aient la liberté et la vie sauves, pour que leur exemple puisse être suivi par d’autres citoyens courageux, pas seulement aux  États-Unis d’ailleurs mais aussi dans le monde entier.

C’est aussi à cette fin que nous avons lancé, le 4 juillet, une grande pétition pour demander au Comité Nobel de Norvège l’attribution du Prix Nobel de la Paix à Edward Snowden et à Julian Assange. 24 heures après son lancement, notre pétition a déjà recueilli plus de 1600 signatures, ce qui constitue un excellent démarrage. Car il faut qu’ils soient protégés de façon plus sûre et définitive que par un simple asile politique, lequel pourrait toujours leur être retiré en cas de changement de régime. Seul le Prix Nobel de la Paix leur assurera une immunité de facto et leur rendra une liberté de mouvement mondiale.

Je prie donc chacun de mes lecteurs de bien vouloir signer cette pétition, si cela n’est pas déjà fait, et de la faire connaître au maximum à tous ses amis, collègues et connaissances, y compris à des amis ou collègues américains ou latino-américains en leur transmettant les versions en anglais et en espagnol.

L’enjeu n’est pas seulement très important. Il est fondamental.

François ASSELINEAU