L’affaire Peugeot – IRAN

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Courrier du 10 avril 2012 adressé par l’organisme américain “United Against Nuclear Iran” à M. philippe Varin, président de PSA, pour exiger l’arrêt immédiat de toute présence de Peugeot en Iran

1)- PEUGEOT VICTIME DE L’ENTRÉE DE GENERAL MOTORS À SON CAPITAL EN FÉVRIER 2012

2)- LES LETTRES DU 9 MARS ET DU 10 AVRIL 2012 DE L’UANI (ORGANISME PILOTÉ PAR LES SERVICES SECRETS AMÉRICAINS, BRITANNIQUES, ALLEMANDS ET ISRAÉLIENS) POUR FORCER PEUGEOT À SE RETIRER D’IRAN

3)- L’ÉCHEC DE LA MISSION ROCARD EN IRAN EN MAI 2012

Le plan de licenciement massif annoncé par Peugeot le 12 juillet dernier a soudain attiré l’attention de l’opinion publique sur la décision suicidaire prise par Peugeot de se retirer d’Iran, son premier marché à l’exportation.

Pour présenter de façon synthétique le dessous des cartes de cette affaire, je reprends et synthétise plusieurs sources d’information, et notamment l’analyse, très bien documentée, faite par le spécialiste en intelligence économique Benjamin Pelletier sur son site http://gestion-des-risques-interculturels.com/analyses/peugeot-contraint-de-renoncer-au-marche-iranien/

L’ensemble de l’affaire a suivi les stades suivants :

1)- FÉVRIER 2012 : LA PRISE DE CAPITAL DE 7 % DE GENERAL MOTORS

Peugeot a accepté l’entrée de General Motors, société américaine en partie publique à hauteur de 31,9 % depuis son renflouement par l’Etat américain en 2008, qui a acquis 7% du capital de PSA en février dernier :

http://www.lefigaro.fr/societes/2012/02/29/20005-20120229ARTFIG00518-general-motors-prend-7-du-capital-de-peugeot.php

2)- 9 MARS PUIS 10 AVRIL 2012 : LES LETTRES COMMINATOIRES DE L’UANI (“United Against Nuclear Iran”) À PHILIPPE VARIN, PRÉSIDENT DE PSA

Cette entrée de General Motors au capital de Peugeot a ensuite été mise à profit par l’UANI (“United Against Nuclear Iran”), organisme américain de lobbying appelant au boycott de l’Iran, dans deux lettres comminatoires adressées à Philippe Varin, Président de PSA, les 9 mars et 10 avril dernier, pour exiger que Peugeot se retire d’Iran.

Extraits du courrier du 10 avril 2012 (ci-joint en photo) :

« Dear Mr Varin,

[…]

In light of Peugeot’s partnership with GM, a company that was rescued from bankruptcy and is 31.9% owned by U.S. taxpayers, it is imperative that Peugeot add substance and clarity to its recent statements and confirm that it has, inter alia, completely severed its relationships with IRGC-affiliated entities, including IKCO.

Accordingly, UANI calls on Peugeot to immediately confirm that it is not, directly or through legal entities that it controls or through foreign subsidiaries, affiliates or beneficial ownership interests, engaged in any business or providing any goods or services in Iran.

Please also confirm that Peugeot is not engaged in the implementation of any agreement with any Iranian entity or governmental authority including IKCO, and that Peugeot no longer provides platforms or technology to IKCO for the production of Samand, Runna, Dena and/or any other national car’ model. In addition, please explain what steps Peugeot has taken to ensure that Peugeot platforms and technology are no longer utilized by IKCO. UANI also calls on Peugeot to confirm that it has no intention to conduct business in Iran in the future.

Due to the time sensitive nature of this issue, please let us hear from you on or before April 16, 2012 about whether or not Peugeot has terminated all such business activities in Iran.

Thank you for your immediate attention to this matter.

Very truly yours,

Ambassador Mark D. Wallace »

Traduction :

« Cher M. Varin,

[…]

À la lumière du partenariat de Peugeot avec General Motors, une entreprise qui a été sauvée de la faillite et qui est détenue à 31,9% par les contribuables américains, il est impératif que Peugeot ajoute de la substance et la clarté à ses récentes déclarations et confirme qu’elle a, entre autres, complètement coupé de son relations avec les entités affiliées aux Gardiens de la Révolution Iranienne [Nota : IRGC = Iranian Revolutionary Guard Corps ], y compris IKCO [Nota : fabricant automobiles Iran Khodro, partenaire de Peugeot en Iran depuis plusieurs décennies].

En conséquence, l’UANI demande à Peugeot de confirmer immédiatement qu’elle n’est pas engagée, directement ou par des personnes morales qu’elle contrôle ou par l’intermédiaire de filiales étrangères, sociétés affiliées ou de titres de participation, dans une quelconque entreprise ou dans la fourniture de biens ou de services en Iran.

Veuillez confirmer également confirmer que Peugeot n’est pas engagée dans la mise en œuvre de tout accord avec une entité iranienne quelconque ou une autorité gouvernementale, y compris IKCO, et que Peugeot ne fournit plus de plates-formes ou de la technologie à IKCO pour la production des modèles de véhicules Samand, Corogne, Dena et / ou tout autre modèle national de voiture. En outre, veuillez expliquer quelles mesures Peugeot a prises pour s’assurer que les plates-formes et la technologie Peugeot ne sont plus utilisés par IKCO. L’UANI demande également à Peugeot de confirmer qu’elle n’a pas l’intention de faire des affaires en Iran à l’avenir.

Compte tenu du calendrier urgent de cette question, je vous remercie de nous faire savoir avant le 16 Avril 2012, si oui ou non Peugeot a mis fin à toutes ses activités commerciales en Iran.

Je vous remercie pour l’attention immédiate que vous porterez à cette question.

Très sincèrement vôtre,

L’ambassadeur Mark D. Wallace »

[source : la lettre est disponible en ligne sur le site même de l’UANI : http://www.unitedagainstnucleariran.com/sites/default/files/IBR%20Correspondence/UANI_Ltr_Peugeot_041012.pdf ]

3)- L’UANI EST UN ORGANISME DE LOBBYING PILOTÉ PAR LES SERVICES SECRETS ATLANTISTES : CIA AMÉRICAINE, MI6 BRITANNIQUE, BND ALLEMAND, MOSSAD ISRAÉLIEN

Comme le révèle son site Internet, l’UANI compte un impressionnant éventail d’anciens responsables gouvernementaux ou membres des services secrets atlantistes :

[source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership ]

Mark Wallace, directeur de l’UANI

C’est lui qui a signé la lettre comminatoire adressée à Philippe Varin présentée ci-dessus.
Il a fondé l’UANI en 2008 :

– avec l’ancien directeur de la CIA James Woolsey, actuellement membre de son comité consultatif,

– Richard Holbrooke (décédé), dernièrement envoyé spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan,

– et Dennis Ross, impliqué dans le processus de paix israélo-palestinien, proche des Démocrates tout comme de George Bush. L’épouse de Mark Wallace a été la directrice de la communication de George Bush et conseillère principale auprès de John McCain lors de sa campagne de 2008.
[source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/mark-wallace]

Kristen Silverberg, présidente de l’UANI

Ancienne ambassadrice des États-Unis pour l’Union européenne, nommée par George Bush en 2008. Elle était donc la courroie de transmission de la Maison Blanche auprès de la Commission européenne.
[source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/kristen-silverberg ]

August Hanning, conseiller principal de l’UANI pour l’Europe

M. Hanning est l’ancien chef du BND, les services secrets allemands (1998 à 2005).[source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/august-hanning ]

Gary Samore, un des fondateurs de l’UANI

Après 17 ans passés au sein du Département d’Etat, M. Samore a travaillé de 1995 à 2001 au sein du Conseil National de Sécurité avant de devenir assistant spécial du président américain.
Il est actuellement vice-président du très puissant CFR (Council on Foreign Relations)[source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/gary-samore ]

Meir Dagan, membre du comité consultatif de l’UANI

M. Dagan est un militaire israélien, ancien directeur du Mossad (services de renseignement israélien) de 2002 à 2010. Il milite pour une approche progressive de la question iranienne, par des sanctions, et invite à la prudence avant d’envisager une attaque militaire.
[sources : http://en.wikipedia.org/wiki/Meir_Dagan
et http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/meir-dagan ]

Frances Townsend, membre du comité consultatif de l’UANI

Mme Townsend est l’ancienne conseillère pour la Sécurité Intérieure du président George Bush de 2004 à 2007.
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/frances-fragos-townsend ]

Sir Richard Dearlove, membre du comité consultatif de l’UANI

M. Dearlove est l’ancien directeur du MI6, les services secrets britanniques, de 1999 à 2004.
Il a travaillé pour les services secrets britanniques SIS pendant 38 ans et a notamment été en poste à Nairobi, Prague, Paris, Genève et Washington.
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/richard-dearlove ]

Charles Guthrie, membre du comité consultatif de l’UANI

Général britannique, M. Guthrie a notamment été Chef d’Etat-Major de la Défense de 1997 à 2001.
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/charles-guthrie ]

Henry Sokolski, membre du comité consultatif de l’UANI

M. Sokolski est un spécialiste des questions liées à la prolifération nucléaire. Il a conseillé la CIA en 1995-1996.
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/henry-sokolski ]

Wolfgang Schüssel, membre du comité consultatif de l’UANI

Ancien Chancelier d’Autriche (2000 à 2007).
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/wolfgang-schussel ]

Pauline Neville-Jones, membre du comité consultatif de l’UANI

Ancienne ministre britannique de la Sécurité (2010-2011).
[ source : http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/baroness-pauline-nevilee-jones ]

Ana Palacio, membre du comité consultatif de l’UANI

Ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères (2002 à 2006). En 2003, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Mme Palacio s’est totalement alignée sur la position américaine, en affirmant que la présence d’armes de destruction massive était avérée en Irak et en demandant une intervention militaire.

Elle a également fait partie de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali.

Depuis le 1er juin 2008, elle occupe le poste de directrice internationale et marketing de la société Areva.
[ source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ana_Palacio et http://www.unitedagainstnucleariran.com/about/leadership/ana-palacio ]

Etc.

On notera, dans la liste de la page d’accueil du site, que l’équipe dirigeante de l’UANI ne comporte pas de personnalité française.

4)- MAI 2012 L’ÉCHEC DE LA MISSION ROCARD EN IRAN

Le site d’intelligence économique Benjamin Pelletier cité en préambule rappelle qu’une semaine à peine après l’élection de François Hollande une polémique a éclaté en France au sujet d’un voyage effectué en Iran par Michel Rocard.

Ce dernier avait alors déclaré qu’il s’agissait d’une visite « privée » et d’une « initiative personnelle ». Les journaux ont indiqué que l’ancien premier ministre avait rencontré le chef de la diplomatie iranienne, Ali Akbar Salehi, le négociateur pour le dossier nucléaire, Saïd Jalili, ainsi que le président de la commission des affaires étrangères du Parlement, Alaeddin Boroujerdi.

Michel Rocard aurait donc effectué cette visite pour discuter de la situation géopolitique et du dossier nucléaire. Pourtant, si l’on consulte le site internet d’Iran Khodro, on découvre un article rendant compte de la réunion que Michel Rocard a tenue avec le partenaire local de Peugeot, rencontre qui a d’ailleurs été photographiée :

http://www.ikcopress.com/en/news.aspx?docID=14731

Tribune officielle, drapeaux des pays, responsables d’Iran Khodro, voilà qui donne un caractère particulier à cette visite « privée ». Selon le site internet d’Iran Khodro (IKCO), Michel Rocard aurait déclaré :

« Je ne crois pas que les 7% de participation dans Peugeot acquis par GM vont affecter les relations d’affaires entre Peugeot et IKCO. »

Comme s’interroge justement Benjamin Pelletier, qui a eu l’idée de cette démarche de Michel Rocard ?

Compte tenu de l’âge et des problèmes de santé de l’ancien Premier ministre socialiste, on peut légitimement douter qu’il se soit agi d’une simple « initiative personnelle » comme il l’a expliqué.

Bien plus probablement a-t-il agi sur instruction ; mon expérience des cabinets ministériels m’incite à souscrire à cette hypothèse de l’expert en intelligence économique.

Sur instruction de qui ? Probablement par un mandat officieux du président nouvellement élu, ou du groupe Peugeot lui-même, ou plus probablement encore par un mandat concerté entre Peugeot et l’Élysée.

Quoi qu’il en soit, les décisions annoncées par Peugeot le 12 juillet donnent à penser que la mission de Michel Rocard n’a pas obtenu les résultats escomptés.

QUEL EST L’IMPACT RÉEL DE LA PERTE DU MARCHÉ IRANIEN ?

Si la soumission de Peugeot aux manœuvres d’intimidation de l’UANI est désormais avérée, la question n’est pas tout-à-fait claire de savoir quel est l’impact réel de cette décision sur le plan annoncé par Philippe Varin le 12 juillet.

Selon le délégué CGT du site Peugeot d’Aulnay, Jean-Pierre Mercier, c’est bien cet arrêt des activités du groupe en Iran qui serait responsable de ce désastre :

« Pour le premier semestre 2012, on constate une baisse des ventes de 240 000 véhicules par rapport à 2011. Or, ce chiffre comprend les 200 000 véhicules que Peugeot aurait dû vendre en Iran. »

Mais la direction de PSA, si elle reconnaît avoir décidé de cesser ses opérations en Iran, réfute tout lien avec la fermeture d’Aulnay. Elle précise que les opérations avec l’Iran ne touchaient directement que 115 salariés de Vesoul, qui seront tous reclassés en interne.

Pour justifier son plan social, l’entreprise met en avant une toute autre cause : la baisse des ventes en Europe, ce qui ne comprend donc pas l’arrêt de l’activité en Iran.

Selon le porte-parole de PSA, « un tsunami commercial s’est abattu sur le marché européen. Depuis 2007, les ventes de PSA sur le Vieux Continent ont en effet diminué de 23 %. Et cela ne s’est pas arrangé en 2012, avec une baisse de 8 % enregistrée depuis le début de l’année. Notre problème est que 60 % de nos ventes sont concentrées en Europe du Sud, dans des pays frappés de plein fouet par la crise. Le résultat direct est que nos usines en Europe sont sous-utilisées. »

(cf. détails dans l’article http://www.lepoint.fr/economie/l-iran-peut-il-sauver-psa-16-07-2012-1486125_28.php

CONCLUSION : LA FRANCE PRISE AU PIÈGE

En définitive, la cause première des déboires de Peugeot est donc à rechercher, selon la CGT ou selon la direction :

– soit dans la perte du marché iranien, du fait de l’alignement complet de la France sur la ligne politique et diplomatique américano-euro-israélienne en la matière ;

– soit dans l’effondrement du marché européen sous l’effet des politiques démentes de la « construction européenne » (démantèlement des réglementations aux échanges, euro non-viable et surévalué, politiques récessionnistes constantes).

Ainsi donc, que soit l’angle sous lequel on regarde le problème, on en revient au fait que Peugeot – et toute l’industrie française avec elle – sont bien prises au piège de la « mondialisation inévitable » et de la « construction européenne ».

Ayant perdu sa souveraineté et son indépendance, notre pays n’est même plus en mesure de défendre les intérêts de son industrie, et n’est donc plus en mesure de protéger les intérêts de dizaines de milliers de salariés.

Plus que jamais, il est de la plus haute urgence de se rassembler pour faire sortir collectivement la France de l’Union européenne, de l’euro et de l’OTAN. Seule l’UPR le propose.

François ASSELINEAU

RAPPEL : Il est urgent d’adhérer à l’UPR !
Pour le faire immédiatement et en ligne, c’est ici : http://www.upr.fr/aider/adherer