Que penser et que faire du Pacte de Marrakech, approuvé de façon inconstitutionnelle par Macron seul, dans le dos des parlementaires et des Français ?

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Résultats du vote de l’Assemblée générale des Nations-Unies sur le Pacte sur les migrations sûres, ordonnées et régulières le 19 décembre 2018 à New York. 

1) État de la situation au 26 décembre 2018

Le « Pacte mondial pour les migrations sûres, ordonnées et régulières » a été adopté le 10 décembre 2018 en conférence intergouvernementale à Marrakech. Ce Pacte a été formellement rejeté par dix pays : l’Australie, l’Autriche, la Hongrie, Israël, la Slovaquie, la Pologne, la Lituanie, la République dominicaine, la République tchèque et le Chili.

Puis, comme c’est la coutume pour tout texte entériné hors du siège des Nations unies, ce Pacte a été formellement endossé par un vote de l’Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre à New York.

Sur les 193 États membres de l’ONU :

  • 152 pays ont voté pour, dont la France et l’Allemagne ;
  • 5 pays ont voté contre : États-Unis, Hongrie, Israël, Pologne et République tchèque ;
  • 12 pays, bien que présents, se sont officiellement abstenus, témoignant par là de leur volonté de ne pas endosser le Pacte pour ce qui les concerne : Algérie, Australie, Autriche, Bulgarie, Chili, Italie, Lettonie, Libye, Liechtenstein, Roumanie, Suisse et Singapour ;
  • 24 autres pays n’ont pas assisté au vote : Afghanistan, Antigua-Barbuda, Belize, Benin, Botswana, Brunei Darussalam, Corée du nord, Guinée, Kiribati, Kirghizistan, Micronésie, Panama, Paraguay, République dominicaine, Sao Tome-Principe, Seychelles, Slovaquie, Somalie, Timor-Leste, Tonga, Trinidad-Tobago, Turkménistan, Ukraine et Vanuatu.
  • Enfin, le nouveau président brésilien, M. Bolsonaro, a fait savoir que le Brésil, dont le gouvernement sortant a signé le Pacte, s’en retirerait dès qu’il aura pris ses fonctions en janvier prochain.

Notons qu’au sein de l’Union européenne, la cacophonie a été complète puisque, parmi les 28 États membres :

  • 19 ont voté pour : Allemagne, Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Lituanie, Luxembourg, Irlande, Malte, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Slovénie, Suède;
  • 3 ont voté contre : Hongrie, Pologne et République tchèque;
  • 5 se sont abstenus : Autriche, Bulgarie, Italie, Lettonie et Roumanie;
  • 1 n’a pas pris part au vote : Slovaquie.

Concrètement, cela signifie que, une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne en mars prochain, les 27 États membres restants de l’Union européenne se répartiront en :

  • 18 États de l’UE qui appliqueront le Pacte pour les migrations ;
  • 9 États qui ne l’appliqueront pas.

Comment va-t-il être possible d’appliquer concrètement les contraintes des traités européens sur la libre circulation des personnes (et notamment des « migrants ») dans l’espace de l’UE alors qu’un tiers des États membres de l’UE vont refuser d’appliquer le Pacte en faveur de ces migrants ? Mystère…

 

 

2) Fallait-il que la France signe ce Pacte ?

Il s’agit du premier texte traitant le sujet des migrations de manière exhaustive. Il est donc amené à devenir une référence, dans le cadre du système des Nations Unies, ainsi que dans les enceintes multilatérales régionales.

La signature de ce Pacte par la France soulève deux problèmes majeurs :

  1. Fallait-il que la France le signe ?
  2. Est-il normal que le Parlement n’ait pas été amené à en débattre et à voter ?

De façon étrange, la ligne de défense quasi-unique de M. Macron et de son gouvernement pour justifier leur décision que la France signe le Pacte de Marrakech a consisté à affirmer que ce texte était « non contraignant » juridiquement. Ce qui revient en quelque sorte à dire que la signature de la France n’aurait aucune importance, quel que soit le contenu de ce document. 

Il est extravagant de limiter là le débat.

Le simple bon sens fait dire que, si ce texte ne servait à rien, il n’y aurait eu aucune raison de le signer et il serait incompréhensible qu’une quinzaine d’États dans le monde, et pas des moindres, aient refusé de l’endosser. 

Si l’on veut être sérieux, il convient donc d’examiner la portée juridique précise de ce Pacte, et d’étudier son contenu.

En réalité, ce pacte officiellement « non contraignant » possède un contenu qui n’est pas du tout anodin, et l’expérience historique prouve que ce genre de traités devient rapidement contraignant dans les faits d’abord, en droit ensuite.

Du point de vue juridique étroit, il est exact que ce pacte n’est pas un traité qui supplante le droit interne. Le texte du Pacte précise bien en effet, en préambule, § 7 : « ce Pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant ».

C’est ce que le gouvernement français – et les médias qui le soutiennent – se sont échinés à répéter face aux critiques qui n’ont pas manqué de se faire entendre.

Cependant, le pacte de Marrakech n’est pas un document flou et superficiel. Bien au contraire, c’est un texte très précis, composé de 41 pages dans sa version française, dont il ne faut surtout pas minimiser la portée.

 

a) Le Pacte comporte une série d’affirmations, de recommandations et d’objectifs, qui ne sont ni anodins ni incontestables, donc non consensuels.

La première chose qui frappe le lecteur objectif du Pacte, c’est que le contenu en est bien plus idéologique que juridique.

D’une part, il n’évoque pratiquement pas les causes qui sont à l’origine des grands mouvements de populations comme la misère ou les guerres. Les  responsables de cette misère ou de ces guerres sont totalement passés sous silence.

D’autre part, il insiste lourdement sur le fait que les phénomènes migratoires sont naturels et vont de pair avec la “mondialisation”.

Ainsi, parmi les affirmations tout-à-fait contestables que recèle ce document; figure par exemple celle-ci, qui apparaît dès le Préambule (§8), en ouverture du chapitre “Nos ambitions et principes directeurs”  :

« Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs. »  

 

Ce Pacte s’inscrit donc dans le droit fil de la « mondialisation » et considère les migrations comme un phénomène normal, « régulier », servant fondamentalement d’ajustement international aux besoins de main-d’œuvre émis par les entreprises.

À ce propos, un article intéressant paru dans le numéro 81 du 18 décembre du magazine Ruptures précise (en page 4) que les idées clés du Pacte sur les migrations trouvent leur origine dans les réflexions du Forum économique mondial de Davos, et plus spécialement dans le groupe de travail baptisé “Conseil de l’agenda global sur les migrations”. Celui-ci a élaboré un document très complet, qui a largement inspiré les organes des nations-unies s’inspirant des migrations, et dont les têtes de chapitre portaient des titres évocateurs :  « migration et compétitivité », « migration et opportunités de business », etc.

Cité par le magazine Ruptures, l’économiste allemand Norbert Haering qui avait assisté à la présentation de ce document à Davos a publié une analyse instructive sur son blog sous le titre “Das Migrationsabkommen als letzter Sargnagel für die linken Parteien” (traduction en français : L’accord sur les migrations, dernier clou du cercueil pour les partis de gauche”). Il y rapporte les propos entendus dans le groupe de Davos sur le sujet, à savoir que « le secteur privé a intérêt à attirer les talents du monde entier. Pour leur part, les gouvernements, dans l’intérêt de la compétitivité des entreprises, doivent changer le ton des débats en s’engageant pour les migrations. Pour sa part, la société civile (y compris les syndicats) comme garante de conditions de travail décentes, doit se considérer comme partenaire du secteur privé. »

Norbert Haering se réfère par ailleurs à l’économiste mexicain anti-libéral Raul Delgado Wise, l’un des meilleurs spécialistes du sud en matière migratoire. Après avoir mené de longues études sur la question des migrations sud-nord, l’économiste mexicain conclut que « le scénario soi-disant gagnant-gagnant, notamment martelé par la Banque mondiale, ne bénéficie en réalité qu’aux pays d’accueil, et plus précisément aux employeurs dans ceux-ci. »

De fait, Norbert Haering cite une étude de la Banque centrale allemande de janvier 2018 sur l’impact de l’arrivée en Allemagne de travailleurs venus de l’Est de l’UE : « l’immigration nette en provenance des États membres a été, ces dernières années, un facteur qui a fortement ralenti la hausse des salaires. »

On ne saurait être plus clair sur l’objectif final recherché….

Quoi qu’il en soit, le document onusien comporte 23 “objectifs” très détaillés (cf Pacte, page 7), parmi lesquels plusieurs soulèveraient sûrement des objections et des polémiques chez de nombreux électeurs français s’ils en étaient informés.

Notamment :

  • Objectif 5 : Faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles et plus souples
  • Objectif 12 : Veiller à l’invariabilité et à la prévisibilité des procédures migratoires pour assurer des contrôles, des évaluations et une orientation appropriés
  • Objectif 13 : Ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et chercher des solutions de rechange
  • Objectif 14 : Renforcer la protection, l’assistance et la coopération consulaires tout au long du cycle migratoire
  • Objectif 15 : Assurer l’accès des migrants aux services de base
  • Objectif 16 : Donner aux migrants et aux sociétés des moyens en faveur de la pleine intégration et de la cohésion sociale
  • Objectif 17 : Éliminer toutes les formes de discrimination et encourager un débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues
  • Objectif 20 : Rendre les envois de fonds plus rapides, plus sûrs et moins coûteux et favoriser l’inclusion financière des migrants
  • Objectif 22 : Mettre en place des mécanismes de portabilité des droits de sécurité sociale et des avantages acquis

 

b) Le Pacte constitue une pression sur les États signataires pour qu’ils endossent ses affirmations et ses recommandations, selon le système, bien connu des diplomates, de « la pression exercée par les pairs ».

En tant que pays signataire, la France devra ainsi, dans les années à venir, démontrer qu’elle agit conformément à son engagement et qu’elle fait évoluer son arsenal législatif dans les directions fixées par les 23 objectifs.

De plus, le pacte de Marrakech pourra être source de jurisprudence pour le juge, national ou européen, qui pourrait s’en inspirer pour dire le droit, et lui donner ainsi un caractère contraignant.

Par ailleurs, il est fort probable que ce Pacte, qui est désormais la principale référence internationale en matière de migration, soit intégré à l’ordre juridique a posteriori (en étant intégré comme référence dans des traités par exemple). Il en fut ainsi de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) du 10 décembre 1948 (dont on fêtait à Marrakech le 70ème anniversaire), comme le précise explicitement le site de l’ONU : 

« Au fil des années, cet engagement [la DUDH – initialement non contraignant] est devenu loi, que ce soit sous la forme de traités, de droit international coutumier, de principes généraux, d’accords régionaux et de législation nationale, grâce auxquels les droits de l’homme peuvent être exprimés et garantis. La DUDH a effectivement inspiré plus de 80 déclarations et traités internationaux relatifs aux droits de l’homme international, un grand nombre de conventions régionales sur les droits de l’homme, des projets de loi nationaux sur les droits de l’homme, et des dispositions constitutionnelles, ce qui constitue un système global juridiquement contraignant pour la promotion et la protection des droits de l’homme. »

Cela est d’autant plus problématique que le Pacte de Marrakech consacre une notion particulièrement floue du « migrant », qui ne pratique aucune différence entre migrants légaux et migrants illégaux, et qui confond volontairement différentes catégories et situations (réfugiés climatiques, demandeurs d’asile, étudiants, regroupement familial, travailleurs…).

Le juge pourrait ainsi s’inspirer de cette notion très imprécise de « migrants » pour créer des droits supplémentaires, très précis quant à eux, applicables à des situations pourtant très diverses.

 

3) Quels sont les arguments des dirigeants étrangers qui ont refusé de voter pour le Pacte ?

Les grands médias français ont contribué à empêcher tout débat public de fond sur la question du Pacte de Marrakech, en assimilant tous ceux qui objectaient à sa signature à des extrémistes et à des diffuseurs de « fake news », en utilisant pour cela les propos parfois excessifs ou erronés de quelques personnalités de droite ou d’extrême-droite.

Mais ces médias n’ont pas rapporté les explications des dirigeants d’États étrangers qui ont refusé d’endosser le Pacte.

Il est quand même intéressant de citer quelques-unes de ces réactions qui témoignent que ce Pacte suscite des interrogations et des critiques chez des gouvernants d’États membres de l’ONU :

 

1.       ALGÉRIE

En s’abstenant volontairement à l’ONU le 19 décembre, l’Algérie a refusé d’endosser le Pacte pour ce qui la concerne.  

Par l’intermédiaire de M. Hassen Kacimi, directeur du département des migrations du ministère de l’Intérieur, le gouvernement algérien a fait part de ses « sérieuses réserves » concernant les points du Pacte que l’Algérie juge « inappropriés ».

Estimant que le phénomène migratoire « menace la sécurité et la stabilité de notre pays », Hassen Kacimi a demandé à ce que « le droit de définir les politiques publiques migratoires revienne à l’État concerné. C’est également à l’État de définir les concepts juridiques de migration régulière et travailler ».

Le responsable algérien a également déploré l’absence de distinction entre migrants économiques et migrants humanitaires et a précisé : « On ne doit absolument pas mettre sur un pied d’égalité les États et les ONG, de même que le dossier migratoire ne doit pas être instrumentalisé et constituer un moyen de pression ou d’ingérence, au nom du droit humanitaire. Nous ne voulons pas non plus que les mécanismes d’évaluation et de mise en œuvre de ce Pacte évoluent vers une forme devant transformer ce Pacte en instrument juridiquement contraignant.»

L’Algérie a aussi critiqué le fait que le Pacte « élude les grands défis liés aux évolutions climatologiques et démographiques et ne prévoit aucune mesure pour le règlement des crises et des conflits dans les espaces sahélo-sahariens, pour stabiliser ces territoires. Il ne met pas l’accent sur le développement durable et les mécanismes à mettre en place au niveau des pays pourvoyeurs de migration ».

 

2.       AUSTRALIE 

Le Premier ministre Scott Morrison a déclaré le 8 décembre 2018 que l’accord pourrait « saper les solides lois et pratiques de protection des frontières de l’Australie » et qu’il ne le signerait pas.

De fait, l’Australie s’est volontairement abstenue à l’ONU le 19 décembre.

 

3.       CHILI

Le gouvernement chilien a annoncé le 9 décembre 2018 qu’il ne signerait pas le Pacte.

Le sous-secrétaire du ministère chilien de l’Intérieur, Rodrigo Ubilla, a déclaré le 9 décembre que les représentants de son pays n’assisteraient pas à l’événement à Marrakech et il a précisé : « Nous avons déclaré que la migration n’est pas un droit de l’homme. Les pays ont le droit de déterminer les conditions d’entrée pour les citoyens étrangers ».  

Tout comme l’Algérie et l’Australie, le Chili s’est volontairement abstenu à l’ONU le 19 décembre.

 

4.       ÉTATS-UNIS  D’AMÉRIQUE
Les États-Unis ont dénoncé ce Pacte le 7 décembre 2018 car il concourt, selon eux, à l’établissement d’une gouvernance mondiale aux dépens du droit souverain des pays à gérer leur système d’immigration.

Dans un communiqué diffusé par la mission diplomatique américaine aux Nations unies, Washington a rappelé qu’il avait quitté les négociations sur ce Pacte parce que les objectifs du document étaient incompatibles avec la loi et la politique américaines, avec les intérêts du peuple américain. Ce communiqué ajoute : « Nos décisions en matière de politique d’immigration doivent toujours être prises par les Américains et les Américains uniquement. Nous déciderons de la meilleure manière de contrôler nos frontières et qui sera autorisé à entrer dans notre pays ».

Washington a indiqué qu’il n’était pas question que ces décisions fassent l’objet « de négociations, d’un examen dans un cadre international » tout en reconnaissant « l’apport de nombreux immigrants à la construction [des États-Unis] ».

De son côté, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, Nikki Haley, a enfoncé le clou : « L’approche globale de la Déclaration de New York n’est tout simplement pas compatible avec la souveraineté américaine ».

 

5.       ISRAËL

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a annoncé qu’il ne signerait pas le Pacte et a déclaré le 20 novembre 2018  : « Nous avons le devoir de protéger nos frontières contre les infiltrés illégaux. C’est ce que nous avons fait et c’est ce que nous continuerons de faire. » 

De fait, Israël a voté contre le Pacte à l’ONU le 19 décembre.

 

6.       POLOGNE

Le 9 octobre 2018, le ministre polonais de l’Intérieur et de l’Administration, Joachim Brudziński, s’est prononcé contre le Pacte, en affirmant qu’il « allait à l’encontre des priorités de la Pologne, à savoir la sécurité et le contrôle de ses frontières ». Le 20 novembre 2018, le gouvernement polonais a officiellement annoncé qu’il ne signerait pas le pacte.

Le 19  décembre à New York, le représentant de la Pologne à l’ONU a voté contre le Pacte.

 

4) Est-il normal que le Parlement français n’ait pas été amené à débattre du Pacte et à voter ?

Macron avait prévu de se rendre en personne à Marrakech le 10 décembre pour l’adoption du Pacte pour les migrations. Sous la pression de la crise des Gilets jaunes, il y a renoncé in extremis et a décidé d’y envoyer le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne. Le représentant de la France à l’ONU a par ailleurs voté en faveur du Pacte lors de l’Assemblée générale du 19 décembre.

Toute cette procédure expéditive et opaque a déclenché une seconde polémique, à savoir que ce Pacte n’a jamais été débattu ni voté par les parlementaires, ce qui a suscité une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition, notamment de droite.

Selon le constitutionnaliste Didier Maus, interrogé le 7 décembre 2018 par le journal Libération, une telle procédure serait normale puisque « en France, c’est le contenu d’un engagement et non sa forme qui compte. » Pour Didier Maus, il serait « évident » qu’au regard du contenu du Pacte sur les migrations, il n’y avait pas d’obligation pour l’exécutif de passer par l’Assemblée et le Sénat car le texte « n’est pas contraignant, il n’y a pas création d’institution ou autre. »

Tel n’est pas du tout l’avis de l’UPR.

L’article 53 de la Constitution de la Ve République pose que « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. »

Ainsi, et contrairement aux affirmations de M. Maus, l’article 53 ne pose nulle part le principe qu’un Pacte prétendu « non contraignant » serait par nature exempté d’un débat à l’Assemblée et au Sénat, suivi d’un vote.

Par ailleurs, et toujours contrairement aux affirmations de M. Maus, le Pacte crée bien une institution :  celle du « Forum d’examen des migrations internationales », qui « se tiendra tous les quatre ans, à compter de 2022 », qui « offrira l’occasion d’examiner l’état d’avancement de l’application du Pacte mondial aux niveaux local, national, régional et mondial », et dont « chaque édition […] donnera lieu à l’adoption d’une déclaration intergouvernementale sur les progrès réalisés » (cf. Texte page 40, § 49)

Enfin, et tout au contraire de ce qu’affirme M. Maus, l’article 53 force ô combien le Pacte à être débattu et ratifié à l’Assemblée nationale puisque le moins que l’on puisse dire, c’est (en suivant la typologie de l’article 53) :

  • qu’il est « relatif à l’organisation internationale » : c’est un Pacte de l’ONU qui concerne chacun des 193 États membres;
  • qu’il « engage les finances de l’État » : il suffit de lire les 23 objectifs pour se convaincre des fonds publics importants que sa mise en œuvre – par ailleurs vérifiée tous les 4 ans par le « Forum d’examen des migrations internationales » – va occasionner à la France;
  • qu’il « modifie des dispositions de nature législative » : la lecture des 23 objectifs regorge d’engagements de nature législative ;
  • qu’il est relatif à « l’état des personnes » : par définition même, puisque c’est un Pacte qui entend traiter du sort des centaines de millions de personnes à travers le monde et en France chaque année !

Il faut regretter ici que les avis de M. Maus semblent être considérés par les médias – et aussi par bien des parlementaires ! –  comme plus importants que la lettre même de la Constitution. On le regrette d’autant plus que M. Maus n’est pas seulement un professeur de droit constitutionnel mais qu’il est aussi un homme engagé politiquement… en faveur de M. Macron. Membre depuis longtemps du Parti radical valoisien (PRV intégré dans l’UDI), il est aujourd’hui président de la Commission des statuts du Mouvement Radical social et libéral (MRSL), résultat de la fusion à l’automne 2017 du PRV et du Parti radical de gauche (PRG), qui a compté deux membres au gouvernement Philippe (Annick Girardin et Jacques Mézard) et dont la plupart des députés ont rejoint LREM !

L’avis de M. Maus, qui est donc celui d’un juge et partie, ne résiste pas une seconde à l’examen de la lettre de l’article 53 de notre Constitution : il fallait bien consulter et faire voter le Parlement.

Du reste, c’est ce que font toutes les démocraties européennes : Belgique, Italie, Allemagne, Suisse, Pays-Bas, etc. ont soumis le Pacte de Marrakech au débat et au vote de leurs parlementaires. La France fait exception.

En outre, et étant donné l’ampleur prise par le sujet du Pacte de Marrakech, relayé notamment par les « Gilets jaunes », un débat suivi d’un vote devant la représentation nationale n’était pas seulement requis d’un point de vue constitutionnel : c’était aussi un devoir moral et de légitimité politique. Car, en dépit de certaines fake news partagées, les « Gilets jaunes » traduisaient une préoccupation légitime et un désir de laisser le peuple se prononcer sur un sujet aussi important.

 

Conclusion : La nécessité de demander aux Français de trancher

Ceci nous amène au cœur du sujet, car sur les questions migratoires, qui touchent aux hommes et aux femmes dans des situations parfois difficiles, mais également à la cohésion des sociétés, le débat ne doit pas être juridique, mais politique.

Il s’agit fondamentalement de l’avenir de la nation, et c’est pourquoi certains principes posés par le Pacte de Marrakech sont remis en question par un nombre croissants d’États.

Comme on vient de le dire, la plupart des pays qui ont refusé d’endosser le Pacte (comme l’Italie, la Belgique ou la Suisse), ont fait le choix de s’en remettre à leur Parlement (ce qui a suscité une crise politique en Belgique avec la démission du gouvernement).  

Tel n’a pas été le cas en France, ce qui représente à notre sens une violation éhontée de l’article 53 de la Constitution, n’en déplaise à M. Didier Maus. Une violation de la Constitution dont l’UPR estime par ailleurs que le président de la République doit rendre compte devant la représentation nationale.

La volte-face de M. Macron, qui a décidé au dernier moment de ne pas aller à Marrakech pour endosser le pacte, mais d’y envoyer un Secrétaire d’Etat, Jean-Baptiste Lemoyne, prouve d’ailleurs bien que le chef de l’État n’ignore pas la sensibilité politique du sujet et, pire encore, qu’il sait bien que cette signature de la France serait sans doute massivement rejetée par le peuple français s’il le consultait.

Fidèle à lui-même, M. Macron n’a donc pas cherché à se conformer au mieux à la volonté nationale, mais à décider seul en vertu de considérations opaques, le tout en protégeant sa personne et en évitant soigneusement de susciter un débat, à l’Assemblée ou par un autre biais, sur la question.

Certes, le Pacte de Marrakech contient beaucoup de principes louables, comme le renforcement de la coopération internationale en matière migratoire, la lutte contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine ou encore la lutte contre le trafic de migrants.

Cependant, dès son préambule, le Pacte explique que les migrations sont « facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs », confondant là encore volontairement tout type de migration et toute sorte de situation.

Cette vision d’ensemble, qui traverse le texte, est un parti pris idéologique, qui est celui de la « mondialisation inévitable », qui veut que les mouvements, toujours plus fluides et rapides des capitaux, des marchandises, et des hommes soient le seul destin de l’humanité.

Cette logique est d’abord celle d’un capitalisme débridé, qui se joue des frontières pour mieux exploiter les différences de salaires et maximiser les profits de ses actionnaires. C’est évidemment celle de l’Union européenne, fondée sur la sacro-sainte liberté de mouvement, qui ouvre la voie à l’optimisation fiscale et aux travailleurs détachés.

Mais cette logique, c’est aussi celle que refusent de plus en plus de peuples du monde, qui en voient les limites et qui demandent un minimum de protection de leurs modèles nationaux, économiques, sociaux et culturels.

Fidèle à ses convictions démocratiques, et confiante dans la capacité du peuple français à décider de son destin, l’UPR :

  • souligne qu’il reste toujours possible au peuple français de revenir sur la décision prise par Macron, de façon inconstitutionnelle, de signer le Pacte au nom de la France : le cas du Brésil prouve qu’un État peut aussi bien sortir de ce Pacte qu’y entrer ;

 

  • appelle à un grand débat national sur le pacte de Marrakech et la politique migratoire en général, qui devra être suivi d’un référendum. Ce grand débat et ce référendum faisaient d’ailleurs explicitement partie de mon programme présidentiel de 2017.

 

François ASSELINEAU

26 décembre 2018