Roselyne Bachelot et la diversion des « débats de société »

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“La ministre des Solidarités, Roselyne Bachelot, a annoncé mardi avoir demandé au Premier ministre François Fillon que le terme de “mademoiselle” disparaisse des documents administratifs au profit du seul “madame”, au nom de l’égalité entre les sexes.”

http://www.francesoir.fr/actualite/societe/madame-ou-mademoiselle-bachelot-s-en-mele-157246.html

Il y a quelque chose de très incomplet – et donc de très révélateur – dans la “réflexion” de Mme Bachelot.

1)- D’une part, Mme Bachelot oublie que “Monsieur” signifie “Mon Sieur” ou “Messire”, c’est-à-dire “Mon Seigneur” et que “Madame” signifie “Ma Dame”, c’est-à-dire “ma maîtresse” = “la femme de mon maître”, du latin “domina”.

Ces dénominations remontent au Moyen Âge où elles étaient utilisées par les paysans ou manants lorsqu’ils s’adressaient au seigneur possesseur de la terre où ils travaillaient.

A l’âge classique, elles furent étendues plus globalement à l’ensemble des nobles et le titre de “Monsieur” fut spécifiquement utilisé pour désigner le frère aîné du roi. Puis, tout au long du XVIIIe siècle, le titre de “Monsieur” et “Madame” fut utilisé de plus en plus largement dans la bourgeoisie, afin de copier les usages de l’aristocratie.

Il y a donc dans ces dénominations de “Monsieur” et “Madame” une origine servile qui n’avait pas échappé aux révolutionnaires de 1789 qui voulurent en interdire l’usage et leur substituer les appellations de “citoyen” et “citoyenne”. Utilisé aussi en opposition au titre de “sujet” (du roi), ce terme de “citoyen” retirait aux civilités toute idée de soumission ou de hiérarchie. La “Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen” adoptée le 26 août 1789 ne connaît ainsi que des “hommes libres et égaux en droits” appelés “citoyens” et non pas “messieurs dames”.

2)- D’autre part , Mme Bachelot feint de croire que les formulaires administratifs portant la case “Mademoiselle” seraient des formulaires inquisitoriaux sur la vie privée.

C’est évidemment faux puisque les mêmes formulaires demandent, si nécessaire, le statut matrimonial (marié, célibataire, divorcé) dans des cases à la suite. D’ailleurs, toute femme est libre, dans ce genre de formulaire, de cocher la case “Madame”, même si elle n’est pas mariée.

En outre, la société française est beaucoup plus attentatoire à la vie privée dans des domaines bien plus sérieux : prolifération des caméras de surveillance, intrusions dans la vie privée avec Internet, les paiements des cartes bancaires, etc.

Ce que ne voit pas Mme Bachelot, c’est que la case “Mademoiselle” des formulaires est un reste de galanterie qui remonte au XVe siècle : le terme apparut à l’époque comme un titre donné à des femmes de haute condition, et spécifiquement à la fille aînée des frères ou des oncles du roi (on se rappelle la fameuse “Grande Mademoiselle” Anne Marie d’Orléans, petite-fille d’Henri IV, cousine germaine de Louis XIV et princesse la plus riche de toute l’Europe).

Tout comme la civilité “Madame”, la civilité “Mademoiselle” fut ensuite étendue à des femmes nobles non titrées puis à des bourgeoises, et l’opposition entre “madame” (= femme mariée) et “mademoiselle” (=femme non mariée) n’apparut qu’à la fin du XVIIe siècle.

En d’autres termes, l’emploi de “Mademoiselle” dans les documents administratifs n’est qu’une courtoisie, que certaines femmes trouvent ridicule, c’est exact, mais que d’autres femmes apprécient encore (il semble que ce soit le cas de Martine Dumay-Griesner). Pourquoi faudrait-il absolument priver ces dernières de cette tradition ?

3)- Enfin, Mme Bachelot oublie que le fait qu’une femme se fasse appeler du patronyme de son mari n’est qu’un usage, qui ne correspond pas à un changement juridique puisque le patronyme d’un bébé de sexe féminin lui reste juridiquement lié de la naissance au décès, sauf décision de justice spécifique (demande de changement de nom).

Notons que cet usage est aussi contestable que celui de “Mademoiselle” puisque l’on ne voit pratiquement jamais de mari se faire appeler du patronyme de leur femme.

Dès lors, puisque Mme Bachelot s’offusque que la dénomination de “Mademoiselle” serait une atteinte à la vie privée, nous sommes fondés quant à nous à nous offusquer qu’elle nous impose de savoir que Roselyne Narquin, née le 24 décembre 1946 à Nevers, se soit mariée avec un M. Bachelot. C’est sa vie privée et nous n’avons aucune envie de la connaître.

CONCLUSION

Pour détourner l’attention du peuple français de la gravité de la crise tous azimuts dans laquelle la France s’enfonce, Mme Bachelot lance un débat polémique artificiel sur un prétendu sujet de société.

C’est sans doute un “ballon d’essai”, pas pas si anecdotique que cela : comme le Système va tout faire pour empêcher, une nouvelle fois, les Français de s’intéresser au fond des choses lors de l’élection présidentielle de 2012, il est à prévoir que les ténors de l’UMP et du PS, d’un commun accord, vont s’ingénier à lancer des débats de diversion, dits de “société”.

Parmi ceux-ci, on peut d’ores et déjà prévoir que la suppression de la case “Mademoiselle” dans les formulaires administratifs va rejoindre la liste des “sujets de société” déjà très utilisés à cette fin lors des élections précédentes : féminisation des mots “ministre”, “ambassadeur”, etc. ; euthanasie ; mariage gay et homoparentalité ; vote des immigrés aux élections locales ; port du foulard islamique dans la rue ; etc..

Tous ces sujets ne sont pas tous sans intérêt, bien sûr. Mais s’ils sont mis sous le feu des projecteurs avant chaque élection, c’est parce qu’il s’agit de débats-leurres, dans lequel tous les partis admis sur les grands médias se complairont avec avidité. Le rôle de ces débats n’est pas de résoudre les problèmes abordés mais de diviser férocement les Français, au point qu’ils en oublient de s’intéresser à la dictature rampante qui s’installe en Europe et au pillage en cours de leur patrimoine national par une oligarchie menée par Goldman Sachs.

Bien joué, n’est-ce pas ?

S’agissant de Mme Bachelot, il faut simplement lui répondre que sa remise en cause d’une tradition aimable, qui remonte à “l’amour courtois” du Moyen Âge, ne saurait s’arrêter en chemin.

Sauf à ce qu’elle se contente d’une protestation très “petite-bourgeoise”, Mme Bachelot doit aller au bout de ce qu’elle dénonce au nom d’une analyse étymologique et d’usages qu’elle réprouve.

Si Madame Bachelot exige de supprimer la case “Mademoiselle”, il faut alors logiquement :
– qu’elle exige aussi l’interdiction des civilités “Monsieur” et “Madame”,
– qu’elle exige leur remplacement par les termes “Citoyen” et “Citoyenne”,
– qu’elle exige aussi l’interdiction de l’usage qu’une femme porte le nom de son mari,
– qu’elle exige en conséquence de se faire appeler “Citoyenne Narquin”,
– et qu’elle se mette en charge d’appeler les occupants de l’Elysée “Citoyen Sarközy de Nagy Bocsa” et “Citoyenne Bruni”.

Citoyen ASSELINEAU