Chroniques du pillage de la France – Nouvel épisode : Latécoère – par Antoine Silvestre

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François Asselineau a récemment évoqué, dans son entretien d’actualité n°32 du 21 septembre 2016, les cas d’Alstom ou du Fusil d’assaut des manufactures d’armes de Saint-Étienne (FAMAS). Et il a expliqué comment l’Union européenne (UE) condamnait la France à subir le déclin industriel que chacun constate.

Nouvelle illustration de ce déclin : nous avons appris que Latécoère, l’un des fleurons industriels français, passé sous capitaux étrangers, vient de mettre en place un « plan social ».

Pourquoi ces licenciements en France ? Pourquoi ces délocalisations vers l’Europe orientale ou l’Afrique du Nord ?

L’entreprise serait-elle en difficulté, aurions-nous là une nouvelle victime de la crise économique ?

 

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Un salarié de Latécoère en train de travailler sur un fuselage d’avion.

1°) Latécoère, victime de Wall Street

1.1.) Un fleuron industriel français

Latécoère est un équipementier aéronautique. Il conçoit, réalise et monte des aérostructures (portes, éléments de fuselage…) et des systèmes électroniques embarqués.

Ses clients sont les grands avionneurs mondiaux : Airbus, Boeing, Bombardier ou encore Dassault.

Créé en 1917, Latécoère a particulièrement marqué l’histoire de l’aéronautique avec ses hydravions. Son chiffre d’affaire consolidé au 31 décembre 2015 est de 712,4 millions d’euros. Il s’agit d’une multinationale, avec des filiales tunisienne, espagnole, allemande… Son principal site industriel était, jusque-là, à Toulouse.

Le haut niveau de qualification de la main d’œuvre française et la technologie développée par l’industriel français lui permettent de profiter d’une niche industrielle, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un acteur international incontournable en matière d’aéronautique.

Les syndicats assurent qu’en l’état, son activité serait assurée pour les 20 prochaines années. Et c’est une objection réaliste.

Après consultation des communiqués financiers du groupe , on peut en effet relever :

  • Un carnet de commandes rempli pour les quatre années à venir pour un montant de 2,6 milliards d’euros.
  • Une progression du chiffre d’affaire de +11,5 % (+41 millions d’euros) au premier semestre 2016, et de plus de 7% sur l’exercice 2015.

 

  • Cette augmentation du chiffre d’affaire du groupe concerne tous ses secteurs d’activité.

 

  • De nouveaux contrats avec ses partenaires historiques (les cockpits de l’A400M…).

 

  • Des contrats avec de nouveaux partenaires brésiliens (Novaer Craft, Embraer), le groupe témoignant de sa capacité à élargir son portefeuille clients.

On ne relève pas de difficulté industrielle. Le capital technologique de la multinationale française, son savoir-faire, son portefeuille clients dynamique et ses résultats financiers témoignent de la stabilité et de la viabilité d’un fleuron industriel français.

Pourtant, le Conseil d’administration du groupe a décidé de la mise en œuvre d’un « plan social » au 13 juin 2016. Il a été finalisé au vendredi 30 septembre dans le cadre d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE).

237 emplois sont touchés sur le site toulousain, dont 160 supprimés. Des sites de production seront démantelés et les biens fonciers cédés. Certaines activités de montage seront délocalisées en Bulgarie.

Et la branche Services, la plus dynamique (+28,8% de CA au premier trimestre 2016) devrait être cédée. C’est cette branche qui assure la recherche et développement du groupe, ses études et analyses calcul. Ses principaux clients sont dans les secteurs aéronautique et spatial, ainsi que dans ceux de la défense, de l’énergie et des transports.

Pour un grand groupe industriel, céder une telle branche d’activité semble révéler un cruel manque de vision à long terme.

Plusieurs questions se posent donc :

  • Pourquoi l’industriel français subit-il une restructuration pareille ?
  • Pourquoi supprimer de l’emploi en France et le délocaliser en Europe orientale ?
  • Pourquoi prévoir la cession des activités stratégiques à long terme ?

Tout cela, alors que l’ensemble des branches du groupe paraissent saines et rentables.

 

 

 

 

1.2. ) Latécoère victime de Wall Street

Si cette politique de l’industriel français peut paraître surprenante, c’est qu’il est récemment passé sous capitaux étrangers.

Le groupe industriel français a connu des difficultés d’ordre financier en 2015, sans que la viabilité de son modèle économique ne soit vraiment remise en cause.

Il est alors devenu une cible de choix pour les spéculateurs et les fonds dits de « private equity ».

Deux fonds anglo-saxons, « Monarch Alternative Capital » et « Apollo Global Management », ont en effet profité de la situation pour acquérir les titres de dette de Latécoère, des obligations à faible coût et haut rendement. Ils ont ensuite bénéficié d’une restructuration financière du groupe pour entrer à son capital social grâce aux titres de dette.

Ils en sont aujourd’hui les principaux actionnaires (respectivement 15 et 11,5%), soit 26,5% du capital au total, ce qui fait d’eux les actionnaires de référence de la société.

Ces deux fonds spéculatifs gèrent les capitaux de fonds de pension américains ou de particuliers fortunés.

 

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Monarch Alternative Capital est un fonds d’investissement américain avec des bureaux à Londres et à New York. Fondé en 2002, il s’est spécialisé dans la dette et le rachat d’entreprises en difficulté. La société a été fondée par Andrew Herenstein. Il contrôle des fonds d’un montant de de 6,62 milliards $ et gère, au 30 septembre 2015, environ 4,9 milliards $ d’actif net.

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L’équipe de direction de Apollo Global Management en photo à la Bourse de New York à Wall street. Apollo Global Management, LLC est une société américaine de « private equity », fondé en 1990 par Leon Noir, un ancien banquier de Drexel Burnham Lambert. AGM s’est spécialisé dans les transactions et les achats de titres en difficulté par LBO, avec restructuration des entreprises. Apollo a son siège social à New York, et a également des bureaux à Purchase, New York, Los Angeles, Houston, Londres, Francfort, Luxembourg, Singapour, Hong Kong et Mumbai. En Août 2016, Apollo gérait plus de 186,3 milliards $ d’engagements à travers son « private equity », le crédit et les fonds immobiliers, et d’autres véhicules d’investissement, ce qui en fait une des plus grandes sociétés de gestion de placements alternatifs à l’échelle mondiale.

 

Monarch Alternative Capital et Apollo Global Management sont des institutions financières connues pour leurs « Leverage Buy Out » (LBO) .

Ces « LBO » sont des montages juridico-financiers parfois très complexes, qui peuvent être résumés en ce qu’ils sont des acquisitions réalisées au moyen d’un effet de levier, c’est-à-dire par l’endettement.

La stratégie commune de ces fonds est celle dite de « value » (« valeur »), c’est-à-dire qu’ils sont spécialisés dans l’acquisition de sociétés en difficulté financière ponctuelle, sous-évaluées sur les marchés financiers.

L’idée de base est de s’endetter de façon massive pour se porter acquéreur de ces sociétés temporairement sous-évaluées. Puis d’en réduire les « coûts » en taillant à la hache dans le personnel (les salariés du site toulousain pour ce qui concerne l’affaire Latécoère), en organisant la cession des branches les moins rentables à court terme, en vendant certains actifs, afin d’augmenter les liquidités et de les traduire en dividendes.

On sacrifie ainsi l’avenir industriel d’un grand groupe au profit de gains boursiers à court terme.

Les « hedge funds » concrétisent leurs gains une fois leurs actions revendues et une plus-value réalisée.

L’endettement finançant ces acquisitions leur permet de maximiser leurs gains sur ce type d’opération (on parle « d’effet de levier »).

Pierre Gardonneix, PDG de Latécoère depuis 2010, sera remplacé en novembre 2016 par Yannick Assouad.

Ce changement de gouvernance initié par les nouveaux propriétaires de l’industriel français entérine le changement de stratégie.

 

2° L’État français impuissant dans le cadre de l’UE

La stratégie des « hedge funds » américains est donc de faire monter coûte que coûte la valeur boursière du groupe industriel français pour le revendre rapidement. Sans considération pour son développement à long terme.

La cession de certaines branches d’activité du groupe ou de biens fonciers vise à dégager des liquidités, probablement pour augmenter les dividendes dans ce but.

Les suppressions d’emplois en France et leur délocalisation en Bulgarie, ou la cession des activités les plus innovantes du groupe, sont des aberrations du point de vue de la gouvernance économique.

Les fleurons industriels français ont une autre vocation que d’être sacrifiés en devenant d’éphémères « Cash machines » au profit de capitalistes étrangers.

Il s’agit typiquement du genre d’affaire où les politiciens français aiment à discourir. Nous n’échapperons sans doute pas au discours d’Arnaud Montebourg d’ici quelques jours, qui alors serait largement relayé dans les médias nationaux, déplorant la situation.

Mais que proposerait-il de faire, concrètement ?

L’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dispose que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. »

Autrement dit, il est impossible de s’opposer à certaines acquisitions en France de « Hedge funds » étrangers.

Et une fois ces acquisitions réalisées, au nom du droit de propriété, les marges de négociation de l’État comme des syndicats sont très faibles. C’est le passage de fleurons industriels français sous capitaux étrangers qu’il faudrait parfois être en mesure d’éviter. Mais c’est impossible.

Il est juridiquement impossible de s’opposer à ces pratiques boursières agressives.

Et donc juridiquement impossible, dans le cadre des traités européens, d’agir pour la préservation de l’emploi industriel en France, ou en faveur des stratégies de développement de nos grands groupes industriels.

 

CONCLUSION

Les médias parlent souvent de l’acquisition de notre patrimoine national par les Chinois ou les Qataris.

Beaucoup moins souvent de celles, beaucoup plus importantes, d’entreprises ou d’institutions financières américaines (29% des fusions-acquisitions en France en 2014, contre 2% environ pour celles chinoises) [ 4 ].

Les médias parlent aussi de délocalisations en Chine, ou plus généralement en Asie et en Afrique.

Mais beaucoup moins souvent de celles à destination d’Europe orientale.

Pourtant, les délocalisations en Chine représentent 18% des délocalisations. Celles dans les autres pays de l’UE, 55% selon l’Insee [ 5 ].

Cette déformation de la réalité vise à ne pas nous faire identifier la construction européenne comme le problème, mais comme la solution (face aux Chinois et autres dangers exotiques).

Alors qu’en réalité la construction européenne organise juridiquement le démantèlement de l’industrie et de l’emploi en France.

La France ne pourra mettre de terme à son pillage qu’avec la sortie de l’UE et de l’euro.

En terme de politique économique, pour éviter ces situations précipitant la France vers une désindustrialisation totale, nous proposons également dans notre programme présidentiel de favoriser l’ actionnariat salarié, une solution d’autofinancement pour les sociétés grâce à l’épargne des salariés, et réciproquement une manière d’intéresser les salariés à la réussite de leur société.

 

 

Sources :

 

[ 4 ] http://www.journaldunet.com/economie/magazine/1154566-rachats-d-entreprises-francaises/1154768-acheteurs

 

[ 5 ] http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?id=3975&reg_id=0