LE BREXIT TOURNE AU BRAS DE FER : Le gouvernement britannique annonce qu’il ne versera pas la « facture de sortie » de 39 milliards £ (43,7 milliards € ) si la Commission européenne n’assouplit pas sa position sur l’accord avec le Royaume-Uni.

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J’ai plusieurs fois expliqué, notamment dans ma conférence sur “le Jour d’après” , que le fait que la France était contributrice nette au budget de l’Union européenne constituait un atout important pour mener à bien les négociations de sortie. Car si la France décidait de sortir, en mettant en œuvre l’article 50 du traité de l’Union européenne (TUE), il lui suffirait alors de suspendre les versements financiers à l’UE pour accélérer les négociations et assouplir la position de la Commission européenne si celle-ci traînait les pieds.
 
Eh bien, cette position est exactement celle que le gouvernement britannique vient d’annoncer pour la première fois le 21 juillet 2018. On est d’ailleurs surpris qu’il n’envisage d’engager cette partie de bras de fer que maintenant.
 
Dans l’édition du grand quotidien britannique Telegraph du 21 juillet 2018, le nouveau ministre du Brexit, Dominic Raab, qui a remplacé David Davis démissionnaire, vient en effet de déclarer explicitement :
 
« L’article 50 exige (…) qu’il y ait un futur accord-cadre pour la relation que nous aurons [avec l’UE] à l’avenir, donc les deux sont liés. […] Vous ne pouvez pas avoir d’un côté une partie remplissant toutes les conditions et de l’autre une partie qui ne les remplit pas, ou qui va doucement, ou qui ne s’engage pas. Donc je pense que nous devons nous assurer d’une certaine conditionnalité entre les deux. […] . Le Royaume-Uni ne paiera la facture du divorce avec l’Union européenne qu’à la condition qu’un accord commercial soit trouvé. »

La “facture très salée” que doit verser le Royaume-Uni à l’UE n’est pas due au Brexit mais à son appartenance à l’UE !

Pour bien comprendre la situation des négociations entre le gouvernement britannique et la Commission européenne, il faut rappeler ce que les grands médias n’expliquent jamais aux Français, à savoir que la Grande-Bretagne est un pays “contributeur net” à l’Union européenne. C’est-à-dire qu’elle verse chaque année beaucoup plus d’argent à l’UE qu’elle n’en reçoit. C’est également le cas de l’Allemagne, de la France ou des Pays-Bas notamment.
Le montant exact des sommes nettes versées à l’UE ou reçues de l’UE pour chaque État est particulièrement compliqué à connaître, car les sources sont fréquemment opaques ou contradictoires. Selon les sources, la contribution nette du Royaume-Uni à l’Union européenne serait ainsi de :

Il faut aussi savoir que les sommes versées par les États à l’Union européenne sont définies tous les 7 ans, dans un cadre budgétaire pluriannuel.

Actuellement, nous sommes dans le cadre du budget pluriannuel septennal 2014-2020, qui fut négocié dans les années 2011-2013.

La définition de ce cadre budgétaire pluriannuel fait traditionnellement l’objet d’intenses tractations, qui virent à un conflit de marchands de tapis, et cela pendant les deux ou trois années précédant son adoption. C’est ainsi que l’on assiste déjà – depuis début 2018 – à une guerre ouverte entre les États pour définir ce que sera le prochain cadre budgétaire pluriannuel 2021-2027 :

Lorsque le peuple britannique a décidé, par le référendum du 23 juin 2016, de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, les dirigeants de l’Union européenne et des autres États-membres se sont empressés de faire savoir à Londres que les engagements financiers pris antérieurement au référendum, dans le cadre du budget pluriannuel 2014-2020, devraient de toute façon être respectés. Or ces engagements avaient été pris par le gouvernement de David Cameron, Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté de 2010 à 2016.
Les calculs sur le reste qui doit ainsi être payé ont fait l’objet de tractations à peu près totalement opaques pour le commun des mortels. On sait seulement que le montant à verser par Londres au jour où le Royaume-Uni sortirait de l’UE serait compris entre 35 et 39 milliards de livres sterling (£), soit entre 39,2 et 43,7 milliards d’euros environ.

Jamais en retard pour diffuser une propagande mensongère, les européistes – et Jean-Claude Juncker au premier rang d’entre eux – n’hésitèrent alors pas à tenter de faire peur aux opinions publiques européennes et britannique, en présentant cette somme à verser par Londres comme étant une “facture très salée”.  Ce qu’ils ne disaient pas, c’est que cette “facture très salée” aurait dû être versée de toute façon par le Royaume-Uni, même si celui-ci était resté dans l’Union européenne, puisqu’elle correspondait à un engagement antérieur !

 

La seule différence était que le Royaume-Uni devait verser les fonds à la date de sortie de l’Union européenne et non pas de façon échelonnée, au cours des années restant à courir dans le cadre budgétaire plurinannuel 2014-2020.

 

UN EXEMPLE DE PROPAGANDE FALLACIEUSE : Le 21 février 2017, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker n’a pas hésité à affirmer que la “facture du Brexit serait très salée”, l’un de ses collaborateurs évoquant même une “facture de sortie atteignant jusqu’à 60 milliards d’euros” :

En d’autres termes, et contrairement à ce qu’ont répété à l’envi les grands médias français, le fait générateur de la “facture très salée” que doit verser le Royaume-Uni à l’UE n’est pas due au Brexit mais à son appartenance à l’UE et à son statut de “contributeur net”. 

On notera au passage que si c’était un État “bénéficiaire net” qui décidait de quitter l’UE, le même raisonnement – fonctionnant alors en sens inverse – devrait conduire les européistes et les grands médias à parler de “facture très salée à la charge… de l’UE”.  Si la Pologne, par exemple, décidait de sortir de l’UE, alors qu’elle a été bénéficiaire nette de 7,1 milliards € en 2016 , elle serait probablement en droit de réclamer un versement de l’ordre de 25 à 30 milliards d’euros comme “cadeau de sortie”…

On notera enfin que les Britanniques, qui quitteront l’UE en mars 2019, n’auront plus de “facture très salée” à payer ensuite, à la différence des autres grands pays contributeurs nets qui ont entamé les négociations du futur cadre budgétaire pluriannuel 2021-2027. Si les Français ne sortent pas de l’UE au plus vite et s’ils laissent Macron engager la France dans ce nouveau cadre, ils devront payer une “facture très salée” pendant 7 ans supplémentaires, jusqu’en 2027 !

La mollesse de Theresa May et de Philip Hammond pour engager le bras de fer avec Bruxelles

Comme dit précédemment, le calcul du montant dû par le Royaume-Uni à l’UE (44 milliards d’euros quand même !!) n’a pas fait l’objet de beaucoup d’explications ni de transparence.

Pour bien comprendre également la situation, il faut rappeler ici que la Première ministre Theresa May ainsi que son chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) Philip Hammond – qui sont l’un et l’autre en première ligne sur ces questions financières vis-à-vis de l’Union européenne – n’avaient été, ni l’un ni l’autre, partisans du Brexit ! Ils avaient tous deux milité pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, Mme May et M. Hammond comptent parmi les acteurs décisifs du gouvernement chargé par le peuple britannique de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne alors qu’ils ne sont pas d’accord, au fond, sur ce choix stratégique !

Il ne faut dès lors pas s’étonner si, par mollesse, pusillanimité ou trahison inconsciente, ils se sont refusés jusqu’à présent à utiliser le formidable moyen de pression budgétaire dont dispose le Royaume-Uni vis-à-vis de la Commission européenne :

  • La Première ministre Theresa May a accepté en décembre 2017 un accord financier d’un montant total de 35 à 39 milliards de livres sterling (entre 39,2 et 43,7 milliards d’euros) dont le montant final dépendait, selon les ministres, de l’établissement des futures relations commerciales (source : AFP / 22 juillet 2018 12h43 )

 

  • Le ministre des Finances, Philip Hammond, un des porte-voix des milieux d’affaires au sein du gouvernement et qui avait milité contre le Brexit , avait quant à lui tiré contre son propre camp en considérant comme “inconcevable” le fait que Londres n’honore pas ses engagements financiers envers l’UE même en l’absence d’accord commercial, et en soulignant – sans autre explication – que ce n’était “pas un scénario crédible”. (source : AFP / 22 juillet 2018 12h43 )
Cet accord financier avec l’UE sans contrepartie avait rapidement été remis en cause par des membres du gouvernement, favorables au Brexit, qui estimaient que Londres se privait d’un argument essentiel dans la négociation.

Conclusion : le retour de l’adage : “he who pays the piper calls the tune”

C’est justement cet accord financier sans contrepartie qui vient d’être publiquement remis en cause par Dominic Raab dans son entretien au Telegraph du 21 juillet 2018 rappelé en introduction au présent dossier.
Désormais, peut-être aiguillonné par ce jeune ministre qui était favorable au Brexit, le gouvernement britannique renoue avec un de ses adages favoris :“he who pays the piper calls the tune”, c’est-à-dire : “c’est celui qui paye le joueur de cornemuse qui choisit la musique”.  Adage que l’on traduit en français par : “Qui paye commande”.
Maintenant, le commissaire européen Michel Barnier et ses équipes, en charge des négociations du Brexit, vont probablement baisser leurs prétentions de deux octaves. Car si le Royaume-Uni décidait de quitter l’UE sans accord, et en laissant un manque à gagner colossal de quelque 44 milliards d’euros, nul doute qu’un vent de panique soufflerait dans les allées du pouvoir européiste, la Commission européenne et les différentes institutions risquant d’être placées en situation de faillite au bout de quelques semaines !
C’est exactement ce qu’a dit, cette semaine, Dominic Raab à Michel Barnier, avec un sens délicieux de l’understatement britannique : « Il serait “franchement irrationnel” pour l’UE d’opter pour “le pire des scénarios”, celui d’une absence d’accord à l’issue des négociations »….
Ainsi, l’histoire du Brexit est un feuilleton à rebondissements. Mais cette information venue de Londres montre que le gouvernement britannique ne semble pas du tout envisager de renoncer au Brexit – quelle qu’en soit la forme finale –, lequel a d’ailleurs été définitivement et solennellement acté par un “Royal Assent” de la reine Elizabeth II le 26 juin dernier

N’en déplaise aux grands médias français qui leur accordent une place démesurée, les européistes, tel Anthony Blair, qui rêvent de voir le Royaume-Uni organiser un nouveau référendum sur le Brexit et regagner sagement la prison des peuples dirigée par Bruxelles, sont encore loin d’avoir le vent en poupe.

 

François Asselineau
22 juillet 2018