=== LA DROGUE, “VIETNAM” ANNUEL DES ÉTATS-UNIS === La drogue tue plus d’Américains chaque année que pendant les 19 ans de la guerre du Vietnam

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Pendant que les grands médias français saturent le « temps de cerveau disponible » de nos concitoyens sur les prétendus prodiges de Macron et de LREM, le monde continue de tourner. Et pas spécialement en bien du côté des États-Unis, où une enquête du très sérieux New York Times a été publiée le 5 juin pour tirer la sonnette d’alarme sur l’explosion du nombre de morts par « overdose » – « surdose » ou « surdosage de drogue » en bon français – constatée aux États-Unis.

Le grand quotidien new-yorkais révèle en effet qu’il y a eu, en 2016, plus de 59 000 morts par « overdose » aux États-Unis, soit… plus que le nombre total d’Américains morts pendant les 19 ans de la guerre du Vietnam ! Ce qui est encore plus grave, c’est que ce nombre de morts augmente d’année en année de façon quasiment exponentielle, comme le montrent les graphiques illustrant cette enquête.

La mort par surdose de drogue est désormais devenue la première cause de mort chez les Américains de moins de 50 ans.

Révélation non moins alarmante de cette enquête : on estime que plus de deux millions d’Américains dépendent désormais des opiacés et que 95 millions d’autres ont utilisé des analgésiques au cours de l’année 2016, soit près d’un Américain sur trois !

Même si nos dirigeants euro-atlantistes, nos apôtres de la « mondialisation heureuse », et les grands médias qu’ils ont domestiqués, gardent le silence sur cette catastrophe sanitaire d’Outre-Atlantique, il me semble que celle-ci doit être portée à la connaissance du grand public français, auquel on fait croire à longueur d’année que les États-Unis représenteraient le modèle à suivre.

Fixons un ordre de grandeur. Si la France souffrait d’une épidémie de surdoses mortelles comparable à celle des États-Unis, cela signifierait – rapporté à la population française qui est 5 fois moins nombreuse que celle des États-Unis – que nous recenserions quelque 12 000 morts par surdose par an. Or, la dernière donnée disponible en la matière pour la France remonte à 2013, avec 349 cas recensés. Proportionnellement aux populations, il y a donc 34 fois plus de morts par surdose aux États-Unis qu’en France….

Ce décalage n’est sans doute – hélas ! – que provisoire.

Car, dans ce domaine comme dans la plupart des autres, la France et l’Union européenne suivent servilement le prétendu « modèle » américain, avec une ou deux décennies de retard.

Le 6 juin, c’est-à-dire le lendemain même du jour où le New York Times publiait son enquête alarmante, « l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies » (OEDT) a en effet publié son rapport annuel qui révèle – lui aussi – que l’évolution du nombre de morts par surdose de drogue connaît en Europe la même évolution – avec du retard – que celle observée outre-Atlantique.

Comme aux États-Unis – mais avec un rythme moindre -, le nombre de ces morts par surdose est en hausse très nette en Europe. Il a augmenté de 6% entre 2014 et 2015. Le bilan est passé de 7 345 morts en 2013 à 7 950 morts en 2014, et à 8 441 morts en 2015.

Comme aux États-Unis, les cas mortels sont à 81 % dus aux opiacés comme la morphine, l’héroïne ou le fentanyl.

Comme aux États-Unis, la consommation croissante de ces drogues, que ce soit dans un cadre illégal ou prescrit médicalement, conduit certains experts à parler de « niveau épidémique ».

Conclusion

Conjointement avec l’hécatombe des morts par armes à feu et assassinats de masse, l’explosion du nombre de morts par surdose aux États-Unis – et celle qui se profile dans les pays de l’Union européenne – sont les symptômes de sociétés malades, ayant perdu de vue les grandes valeurs de l’humanité.

À force de présenter le culte de l’Argent, du profit à tout prix, et du chacun-pour-soi, comme les objectifs essentiels de toute vie humaine, les dirigeants du monde politique et économique des États-Unis et de l’Union européenne font sombrer leurs populations respectives dans le monde mortifère du cynisme, de la dictature, de la superficialité, du mensonge, de la solitude et du désespoir.

Voilà très exactement à quoi conduisent la « mondialisation inévitable », la destruction du principe de l’État régulateur et protecteur, et la carte blanche laissée dans tous les domaines à la cupidité sans limite des entrepreneurs privés.

François ASSELINEAU

20 juin 2017

Je publie ci-après – avec les réserves d’usage – une traduction de l’enquête du New York Times dont l’orignal peut être consulté ici.

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AUX ÉTATS-UNIS, LES MORTS PAR LA DROGUE AUGMENTENT PLUS RAPIDEMENT QUE JAMAIS

par Josh Katz, New York Times du 5 juin 2017

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Les nouvelles données recueillies auprès de centaines d’organismes de santé révèlent l’ampleur de l’épidémie de surdosage de drogues l’an dernier.

AKRON, Ohio – Les décès par surdose de drogue en 2016 ont probablement dépassé 59 000, soit la plus forte hausse en un an jamais enregistré aux États-Unis, selon les données préliminaires compilées par le New York Times.

Le nombre de morts est la dernière conséquence d’une crise de santé publique croissante : la dépendance aux opiacés, rendue plus mortelle par un afflux de « fentanyl », fabriqué illicitement, et de médicaments similaires. Les surdoses de drogues sont désormais la première cause de décès chez les moins de 50 ans.

Bien que les données soient préliminaires, la meilleure estimation du Times est que les décès ont augmenté de 19% par rapport aux 52 404 enregistrés en 2015. Et toutes les preuves indiquent que le problème a continué à s’aggraver en 2017.

 

 

Parce que les décès par la drogue prennent beaucoup de temps à attester, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ne pourront pas calculer les chiffres définitifs de 2016 avant décembre 2017. Le Times a compilé des estimations pour 2016 auprès de centaines de services de santé de l’État et de coroners de comté et d’enquêteurs médicaux. Ensemble, ils représentent des données provenant des États et des comtés qui représentaient 76% des décès par surdosage en 2015. Ils fournissent une première estimation de l’ampleur de l’épidémie de surdosage de drogues l’année dernière, comme la comptabilité détaillée d’une peste moderne.

Les données initiales indiquent une forte augmentation des décès par surdose de drogue dans les États situés le long de la côte Est, en particulier le Maryland, la Floride, la Pennsylvanie et le Maine. Dans l’Ohio, qui a déposé une plainte la semaine dernière accusant cinq compagnies pharmaceutiques d’encourager l’épidémie d’opiacés, nous estimons que les décès liés à une surdose ont augmenté de plus de 25% en 2016.

« L’héroïne est la drogue du diable, mec. C’est vraiment ça », a déclaré Cliff Parker, assis sur un banc dans Grace Park à Akron. M. Parker, âgé de 24 ans, est diplômé du collège non loin d’ici, à proximité de Copley, où il était athlète multisport. Au cours de sa dernière année, il a été un lutteur universitaire et a obtenu une bourse à l’Université d’Akron. Comme ses amis et ses coéquipiers, il a commencé à utiliser des analgésiques à prescription chez les fêtes. C’était amusant, a-t-il dit. Au moment où il a cessé d’être amusant, il était trop tard. Les pilules ont rapidement été remplacées par de l’héroïne, et sa vie a commencé à lui filer entre les doigts.

L’histoire de M. Parker est familière dans la région d’Akron. De loin, il serait facile de peindre Akron – “Capitale mondiale du caoutchouc” – comme un exemple stéréotypé de la désintégration de la « Ceinture de Rouille ». Mais c’est loin d’être une image complète. Alors que les emplois manufacturiers ont diminué et que la reprise après la récession de 2008 a été lente, le chômage dans le comté de Summit, où Akron est assis, est à peu près conforme aux États-Unis dans leur ensemble. Les usines de Goodyear ont été regroupées dans des centres de technologie pour la recherche et la science des polymères. La ville a commencé à se reconstruire. Mais les décès dus à une surdose de drogue ont grimpé en flèche.

En 2016, le comté de Summit a eu 312 décès par drogue, selon Gary Guenther, l’enquêteur en chef du médecin légiste du comté, soit une augmentation de 46% par rapport à 2015 et plus du triple des 99 cas qui ont traversé le bureau du médecin légiste il y a deux ans auparavant. Il y en a eu tellement l’année dernière, a déclaré M. Guenther, qu’à trois occasions distinctes, le comté a dû demander des remorques réfrigérées pour stocker les corps parce qu’il n’y avait plus assez de place à la morgue.

Ce n’est pas unique à Akron. Les bureaux de Coroners dans tout l’État sont submergés.

Évolution du nombre de morts par overdose dans six comtés de l’Ohio, de 2010 à 2016.

 

Dans certains comtés de l’Ohio, les décès par l’héroïne ont pratiquement disparu. Au lieu de cela, le coupable est le fentanyl ou l’un de ses nombreux analogues. Dans le comté de Montgomery, patrie de Dayton, sur les 100 décès liés à une surdose de drogue enregistrés en janvier et février, seules trois personnes ont été testées positives à l’héroïne, et 99 ont été testées positives au fentanyl ou à une drogue analogue.

Le fentanyl n’est pas nouveau. Mais au cours des trois dernières années, il a littéralement explosé dans les saisies de drogues à travers le pays.

La plupart du temps, il est vendu dans la rue en tant qu’héroïne, ou les trafiquants de drogue l’utilisent pour fabriquer bon marché des contrefaçons d’opiacés à prescription. Les fentanyls apparaissent également dans la cocaïne, ce qui contribue à une augmentation des surdoses liées à la cocaïne.

La plus mortelle des analogues du fentanyl est le carfentanil, un opiacé conçu pour anesthésier des éléphants qui est 5 000 fois plus puissant que l’héroïne. Une quantité inférieure à quelques grains de sel peut être une dose mortelle.

Saisies de drogue contenant du fentanyl. Ce nombre a doublé en 2016 par rapport à 2015.

 

« 5 juillet 2016 : c’est le jour où le carfentanil a frappé les rues d’Akron », a déclaré le capitaine Michael Shearer, commandant de l’Unité des stupéfiants du département de police d’Akron. Ce jour-là, en l’espace de neuf heures, 17 personnes ont été victimes de surdose et une est décédée. Au cours des six mois suivants, le médecin légiste du comté a enregistré 140 décès par surdose de personnes testées positives au carfentanil. Trois ans auparavant, il y avait eu moins d’une centaine de décès par surdose de drogue de toute nature pour toute l’année.

Cette croissance exponentielle des décès par surdose en 2016 ne s’est pas étendue à toutes les régions du pays. Dans certains États de la moitié ouest des États-Unis, nos données indiquent que les décès peuvent se stabiliser ou même diminuer. Selon le Dr Dan Ciccarone, professeur de médecine familiale et communautaire à l’Université de Californie, à San Francisco, et expert sur l’usage de l’héroïne aux États-Unis, cette variation géographique peut refléter la fracture historique qui existe sur le marché de l’héroïne aux États-Unis, entre l’héroïne en poudre généralement vendue à l’est du Mississippi et l’héroïne au goudron noir mexicain trouvée à l’ouest de ce fleuve.

Cette frontière géographique a peut-être contribué à ce qu’il y ait moins de décès dans l’Ouest américain, mais selon le Dr Ciccarone, il existe peu de signes montrant une différence de gravité dans la dépendance aux opiacés ou dans l’utilisation d’héroïne. Dans l’Ouest, si les trafiquants de drogue commencent à augmenter la production et la distribution de l’héroïne en poudre en grandes quantités à la place du goudron noir, le fentanyl l’accompagnera très probablement et les décès augmenteront.

Évolution du nombre de morts par surdose à Philadelphie et à San Francisco de 1980 à 2016 – Les morts par surdose ont explosé à Philadelphie – où l’héroïne est principalement vendue en poudre -, en dépit d’une population en déclin. Ce nombre est resté relativement égal à San Francisco, où l’héroïne est principalement vendue sous forme de goudron noir.

 

Les premiers intervenants ont constaté qu’avec le fentanyl et le carfentanil, les surdoses peuvent être si graves que des injections multiples de doses de naloxone – le médicament anti-surdose qui est souvent commercialisé sous la marque Narcan – sont nécessaires pour sauver les malades. Dans le comté de Warren en Ohio, Doyle Burke, enquêteur en chef au bureau du coroner du comté, a vu le nombre de décès de drogue augmenter à mesure que l’efficacité de Narcan chute. « Les personnels de santé font jusqu’à 12, 13, 14 injections de Narcan sans effet », a déclaré M. Burke, en comparant une injection de Narcan à « un coup de fusil dans une maison en feu ».

Les premières données de 2017 donnent à penser que les décès par surdosage de drogue vont continuer à augmenter cette année. C’est le seul volet de la santé américaine, a déclaré le Dr Tom Frieden, ancien directeur de la C.D.C, qui s’aggrave considérablement. On estime que plus de deux millions d’Américains dépendent des opiacés et que 95 millions d’autres ont utilisé des analgésiques au cours de l’année écoulée – plus que de consommateurs de tabac. « Cette épidémie, elle n’a pas de visage », a déclaré Chris Eisele, président de l’association des chefs des pompiers du Comté de Warren et chef-pompier de Deerfield Township. Les réunions des « Narcotiques Anonymes » sont remplies d’avocats, de comptables, de jeunes adultes et d’adolescents qui ont été élevés dans des conditions confortables de la classe moyenne.

De retour à Akron, M. Parker est désintoxiqué depuis sept mois, même s’il vit toujours dans la rue. Le terrain du parc est rempli d’aiguilles mises au rebut, et de nombreux sans abri sont des utilisateurs d’héroïne actuels ou anciens. Comme la plupart de ceux qui sont sortis de la dépendance, M. Parker a eu besoin de plusieurs tentatives pour y parvenir – six, selon son décompte. La sévérité du retrait des opioïdes signifie que les utilisateurs se désintoxiquent rarement, à moins qu’ils ne soient déterminés et que le traitement soit facilement disponible. « Personne ne veut que sa famille les trouve face contre terre avec une aiguille dans le bras », a déclaré M. Parker. « Mais personne ne s’arrête jusqu’à ce qu’ils soient prêts ».

 

NOTA – La fin de l’article, qui détaille la méthodologie de l’enquête – n’a pas été traduite. Les lecteurs peuvent la retrouver à la fin de l’article enligne en anglais : https://www.nytimes.com/interactive/2017/06/05/upshot/opioid-epidemic-drug-overdose-deaths-are-rising-faster-than-ever.html?mcubz=0&_r=0 

 

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