La diplomatie française retiendra-t-elle les leçons des sommets internationaux de Charlevoix et de Qingdao ? par Antoine Carthago

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  1. L’échec du sommet du G7 de Charlevoix : symbole de la fin d’un monde (8-9 juin)

Le sommet du G7 de Charlevoix a offert aux yeux du monde le triste spectacle d’un occident – plus le Japon – incapable de s’unir, ne serait-ce que sur une déclaration commune générale. Il s’est terminé de manière rocambolesque, par le refus de Donald Trump, via Twitter et sur le chemin du retour, d’endosser le communiqué final.

Personne, si ce n’est quelques diplomates français en mal de sensations, n’attendait de grandes avancées de ce sommet, mais il devait a minima être l’occasion de montrer un semblant d’union et de parvenir à un début de compromis sur la guerre commerciale déclarée par Trump au monde et singulièrement à l’Europe. Au lieu de cela, le président américain a menacé ses « alliés » de nouvelles taxes douanières, insultant au passage le Premier ministre canadien dont il n’avait pas apprécié les propos.

Symbole de division, ce sommet fut aussi celui de la fermeture : refusant la proposition de Donald Trump, qui faisait pour une fois preuve d’ouverture, les européens présents au G7 ont unanimement refusé le retour de la Russie, exclue de l’ex-G8 depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. Emmanuel Macron, Angela Merkel, Theresa May et Giuseppe Conte ont même appelé à la « vigilance » face à Moscou dans une déclaration qui ne manque pas de sel, alors même que ces dirigeants subissent les foudres de Washington et assistent, impuissants, au détricotage du droit international et du multilatéralisme par le président américain.

De fait, le G7 est en déclin. Sa part dans la population mondiale n’est que de 10 % et ne va cesser de décroître dans les prochaines années. S’il pèse encore 30 % du PIB mondial, il le doit pour moitié à l’économie américaine vis-à-vis de laquelle sa dépendance est flagrante, comme le sommet de Charlevoix l’a montré. Or, face à ce vieux monde offrant le spectacle de son déclin, un autre monde s’est fait entendre ce même weekend.

  1. Le contraste du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Qingdao (9-10 juin)

L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée en 2001, rassemble les puissances eurasiatiques dont les membres fondateurs que sont la Russie et la Chine. Pékin a tenu à organiser le sommet de l’organisation en même temps que celui du G7, afin de marquer l’affirmation des puissances émergentes indépendamment des décisions occidentales. D’abord centrée sur les questions de sécurité, l’OCS s’est progressivement élargie et affirmée comme un contre-forum international qui donne sa place au monde eurasiatique émergent. Alors que le G7 excluait la Russie, l’OCS accueillait l’Inde et le Pakistan, observateurs depuis 2005 et membres à part entière depuis 2017, en dépit des rivalités qui les séparent. Fait notable, le sommet de Qingdao fut marqué par la participation du président iranien Hassan Rohani, au moment où l’Iran, sous pression américaine, compte ses alliés.

Non seulement l’OCS rivalise en poids économique avec le G7, en parité de pouvoirs d’achat (avec une forte domination de l’économie chinoise), mais elle représente 40 % de la population mondiale, soit quatre fois plus que le G7, ce que le président Poutine ne s’est pas privé de souligner.

Le sommet de Qingdao a ainsi marqué un formidable contraste avec celui de Charlevoix. Bien que divisés sur nombre de questions, les pays eurasiatiques ont su afficher une unité. À rebours des insultes et de la division, le président chinois Xi Jinping a dénoncé les politiques commerciales « égoïstes, à courte vue et d’isolement », ajoutant « nous devons rejeter la mentalité de guerre froide et de confrontation entre les blocs, et nous opposer à la recherche effrénée de sécurité pour soi-même aux dépens des autres ». La Chine, entourée de ses voisins, se pose en championne de l’économie ouverte et de la coopération commerciale, mais aussi du droit international. La présence hautement symbolique du président Rohani, après la remise en cause illégale de l’accord iranien par Donald Trump, sonne comme un camouflet pour Washington qui cherche à isoler l’Iran sur la scène économique et politique. Signe d’un changement d’époque, le flambeau du multilatéralisme est repris par l’OCS face à un occident muselé et replié sur lui-même.

3. Conclusion : la France ne doit pas s’arrimer à un monde en déclin

Le contraste offert par les sommets du G7 et de l’OCS est un signe supplémentaire du déclin de l’Occident, relativement à la montée des puissances émergentes. Il est amplifié par l’hubris de Trump qui, cherchant à retarder ce déclin pour son propre pays, en vient à agir avec une agressivité déconcertante vis-à-vis de ses ennemis comme de ses partenaires.

Or, Emmanuel Macron et ses conseillers semblent incapables de comprendre cette réalité et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Au lieu de chercher, avec le plus grand nombre d’États du monde et les puissances émergentes, à défendre le multilatéralisme, la paix et la coopération, qui garantissent aussi les intérêts de la France, il continue de croire qu’une « offensive de charme » et d’à-plat-ventrisme lui permettra, ainsi qu’à l’Europe, de gagner les faveurs tant convoitées du parrain américain. Imbibé d’un tel esprit d’abandon et de fausse assurance, la diplomatie française risque de ne tirer aucune leçon de ces sommets internationaux.

Au moment où le rééquilibre des puissances bouleverse l’ordre du monde et attise les réflexes dominateurs de son ancien garant, la France doit impérativement sortir des clubs fermés et déclinants de nations occidentales maltraitées par leur fédérateur américain. Cela vaut pour le G7 mais aussi pour l’UE, qui étale de jour en jour son incapacité à répondre aux menaces du moment. En regagnant son indépendance et sa diplomatie de non-alignement, la France pourra défendre ses intérêts et le multilatéralisme autrement qu’avec les mots creux d’un président qui « parle à tout le monde », mais n’est écouté par personne. Elle pourra s’afficher aux côtés de toutes les civilisations du monde pour porter un message de coopération, tout en se donnant les moyens d’assurer un rapport de force face aux tentations hégémoniques.

Antoine CARTHAGO

Antoine CARTHAGO, adhérent à l’UPR, est un de nos experts en géopolitique. Il écrit sous pseudonyme pour des raisons professionnelles.