L’Instruction en famille : tous concernés ?

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Vendredi 2 octobre Macron a prononcé un discours aux Mureaux (1) dans lequel il appelait au « réveil républicain » face au « séparatisme islamiste ». Fustigeant les « comportements de certains » et leur opposant les « valeurs de la République », il a entre autres rappelé l’importance de l’école comme « creuset républicain », « cœur de l’espace de la laïcité », et lieu où former « les consciences pour que les enfants deviennent des citoyens libres, rationnels, pouvant choisir leur vie ».

À ce titre, outre le renforcement de l’encadrement des écoles hors contrat et la suppression des “ELCO”, ces “Enseignements en langues et culture d’origine” faits par des ressortissants contractuels des pays concernés dépendant des ambassades (mais remplacés par des contrats de même type, simplement plus encadrés), l’instruction en famille se retrouve dans le collimateur du gouvernement qui souhaite l’interdire, sauf raisons médicales.

Cette mesure ne passe évidemment pas auprès des associations et des parents des quelque 50 000 enfants qui bénéficient de cette possibilité d’instruction en famille.

Cette annonce, faite du jour au lendemain et devant prendre effet, après le vote de la loi, dès la rentrée de 2021, est vécue extrêmement mal par des familles qui pour beaucoup n’ont pas d’autre choix. (2)

Cette possibilité est pourtant très encadrée par les inspecteurs de l’Éducation Nationale et par les mairies. Les contrôles sont réguliers, et les sanctions, avec retour des enfants dans le cadre scolaire, tombent si une suspicion de conditions de vie et d’apprentissage non conformes est soulevée. (3)

Quant à la menace de radicalisation des enfants scolarisés à la maison, nombreux sont ceux qui font remarquer que les terroristes qui ont agi ces derniers temps, soient avaient usé leurs culottes sur les bancs de l’école publique, soit n’avaient pas fait leur scolarité en France !

Le premier rapport annuel publié en 2003 par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a fait le constat que la « suspicion de dérive sectaire n’est apparue que très rarement lors [des] contrôles [pédagogiques] » menés par les inspecteurs d’académie. En 2006, l’agence gouvernementale rappelait à nouveau qu’« il faut se garder de considérer que les parents qui éduquent leurs enfants à domicile ou les établissements privés hors contrat relèvent de la sphère des activités de nature sectaire ». (4)

La mesure annoncée par Macron semble donc être soit un effet d’annonce, soit une utilisation d’un problème réel pour faire – enfin – passer une suppression que la majorité des politiques essaie d’imposer depuis longtemps déjà. On peut ressortir par exemple un projet de loi de 2013, « visant à limiter la possibilité d’instruction obligatoire donnée par la famille à domicile aux seuls cas d’incapacité » (5).

Qui sont donc les parents d’élèves non scolarisés à l’école ?
Pour quelle raison font-ils ce choix ?
Et pourquoi devrions-nous tous nous sentir concernés par cette perte de liberté, même si nous n’envisageons pas ce mode d’apprentissage pour nos propres enfants ?

L’instruction en famille ?

« L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. » (6)

Traduite en ces termes dans le Code de l’Éducation, l’obligation d’instruction décidée par Jules Ferry en 1882 a toujours respecté, en France, la liberté de choix des parents. Si l’instruction est obligatoire, l’école ne l’est pas.

On retrouve la même liberté dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » (7) (article 26-3)

Si de nombreux pays interdisent l’instruction en famille, comme par exemple l’Allemagne depuis une loi du IIIe Reich du 6 juillet 1938 sur laquelle les Allemands ne sont pas revenus, cette liberté de choix n’avait pas été remise en cause en France jusqu’en 1998.

Depuis la loi du 18 Décembre 1998, sous le gouvernement Jospin avec le ministre Claude Allègre, le fameux « dégraisseur de mammouth », comme ministre de l’Éducation Nationale, les attaques contre cette liberté de choix se sont intensifiées.

En 1998 fut imposée la priorité à l’instruction à l’école et les contrôles des familles devinrent systématiques.

Puis, des mesures ont été introduites régulièrement pour renforcer les contrôles et imposer aux familles de suivre strictement le programme de l’Éducation nationale, ou dernièrement le « socle commun de connaissance et de culture ». La liberté pédagogique est diminuée au maximum, les enfants lors des contrôles sont soumis à des exercices écrits et oraux, dans un climat souvent très mal vécu par les familles.

La loi « pour une école de la confiance » votée l’année dernière, en plus d’étendre l’obligation d’instruction de 3 à 16 ans et d’imposer une obligation de formation de 16 à 18 ans, a achevé de donner un carcan à l’instruction en famille.

Pourquoi des familles choisissent-elles l’instruction en famille ?

Même s’il est en augmentation, ce choix reste peu utilisé en France. Il est en revanche en plein essor dans les pays anglo-saxons, où il a fait l’objet de bien plus d’études qu’en France. On peut les utiliser pour comprendre ce qui peut motiver les familles, même si le cadre sociologique français n’est pas le même.

Les motivations des familles, qui ressortent lors du recensement, en Amérique, et qui sont le plus avancées, sont :

  • la supériorité de l’éducation des parents à la maison (50,8 %)  ;
  • les motivations religieuses (33,0 %) ;
  • la mauvaise qualité de l’environnement scolaire (29,8 %) ;
  • l’objection au contenu des programmes scolaires (14,4 %) ;
  • le niveau insuffisant de l’enseignement scolaire (11,5 %).

On peut y ajouter les motivations liées à la santé et au handicap, au mode de vie familial (itinérance, éloignement géographique des établissements…), ou liées au vécu des parents de leur propre scolarité.

Dans « Instruction(s) en famille, Explorations sociologiques d’un phénomène émergent »(8)  Philippe Bongrand et Dominique Glasman expliquent que malheureusement en France ces motivations sont passées sous silence, et que les médias mettent surtout en avant soit des profils particuliers prônant l’épanouissement de l’enfant avant tout, soit des discours inquiets de la « radicalisation » à l’œuvre au sein de ménages non scolarisants.

            Ils regrettent que si ces profils, certes, existent, ils détournent l’attention du reste des familles qui ont fait ce choix, alors même que souvent de grandes souffrances se cachent derrière cette décision, vécue comme le recours de la dernière chance.

            Et pour détourner encore un peu l’opinion publique de cette liberté d’instruction chez soi, sont également mis en avant les problèmes de sociabilisation, qui ne pourrait se faire que dans le cadre scolaire, ce que réfutent les partisans de l’école à la maison. Des études anglo saxones montrent au contraire que les résultats de la scolarisation à la maison en terme de socialisation sont très positifs. (9)

Et le niveau scolaire ?

            Toutes les catégories socio-professionnelles utilisent l’instruction en famille, de nombreuses aides existant, depuis la scolarisation par le CNED en France, ou les réseaux d’entraide entre parents. Cette possibilité n’est pas réservée, dans les faits, même si c’est une contrainte, aux classes les plus aisées. Il semblerait de plus que l’implication des parents dans l’instruction des enfants gomme les inégalités sociales et qu’elles n’aient pas d’impact négatif sur les résultats des enfants.

            Des études faites aux Etats Unis montrent que les enfants non scolarisés ayant passé des tests standardisés donnés habituellement aux enfants scolarisés ont des scores en général plus élevés. Et si globalement, le sentiment des parents pratiquant l’IEF est que leurs enfants s’en sortent mieux, également lors de leurs études supérieures ou une fois de retour dans un cadre scolaire, en tout cas les injonctions à retourner dans le système scolaire faites lors des contrôles sont rares, et rarement à cause du niveau.

            Une chose est sûre, si pour l’instant seulement 0,3% des enfants n’est pas sur les bancs de l’école, ce nombre augment de plus en plus en France ces dernières années (10) et le niveau de l’école publique est de plus en plus montré du doigt, inquiétant de plus en plus les familles.

            On peut se rendre compte de ce problème de niveau de notre système scolaire public simplement en étudiant le rapport de 2018 sur la journée défense et citoyenneté : près de 20% des jeunes ne maîtrisent pas des fondamentaux de la langue française et pour près de 10%, la lecture est non maîtrisée, au point de s’apparenter à un handicap pour 5% des jeunes ayant passé la journée d’appel. (11)

            Et si le classement PISA nous met toujours dans la moyenne des pays de l’OCDE, le niveau des élèves restant sable ces dernières années (mais peut on s’en féliciter, quand notre système scolaire était envié, dans les décennies après guerre?), il est relevé que nous sommes champions… en inégalités, ainsi que sur un point très inquiétant pour l’avenir de notre pays : seuls 9% des élèves testés par PISA sont encore capables de faire la différence entre un fait et une opinion ! (12)

            Comment Macron peut il vanter l’école de la République, formant «  les consciences pour que les enfants deviennent des citoyens libres, rationnels, pouvant choisir leur vie », quand le résultat que l’on obtient c’est qu’une écrasante majorité ne peut distinguer fait et opinion, n’étant par là même plus capables de garder une pensée libre ?

            Comment ne peut on voir que ce n’est pas la « radicalisation » supposée des familles qui pousse à l’augmentation du nombre d’enfants instruits en famille, mais cette inquiétude pour nos enfants, liée au niveau de l’école, et aux difficultés rencontrées par certains, harcèlement, difficultés de scolarisation, désert scolaire dans certains lieux ?

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            La première des solutions si l’on veut maintenir le maximum d’enfants à l’école, c’est de faire en sorte que ce ne soit pas un lieu qui renforce les inégalités, que ce ne soit pas un lieu qui nivelle le niveau des élèves par le bas et rogne leur capacité à penser, que ce ne soit pas un lieu qui maintienne les élèves dans un carcan où ils n’auront d’autre choix que de suivre la voie imposée même si leurs aspirations sont autres. Que ce ne soit pas un lieu situé trop loin de la maison, parce que l’on a décidé de faire des regroupements d’écoles trop petites et jugées non rentables. Ou que les choix de matières ne soient pas imposés par les restrictions budgétaires. (13)

            Il faut que l’école soit un réel lieu d’instruction, qui respecte l’envie d’apprendre des enfants, qui croit en leurs capacités et leur donne envie de réussir, qui leur donne des bases solides sur lesquelles ils pourront bâtir leur libre arbitre, et leur vie.

            Actuellement malgré les efforts et l’implication admirables des enseignants qui pour beaucoup se battent contre des moulins à vent, le « creuset républicain » ne forge plus l’élite de demain, mais la main d’oeuvre soumise qui créera la richesse des actionnaires de leurs futures entreprises.

            Dans ces conditions, l’instruction en famille devient une nécessité, un droit absolu pour tous ceux qui veulent une alternative autre qu’une école privée.

            C’est une liberté qui permet à de nombreux enfants de trouver un moyen de continuer à s’instruire.

            C’est un droit que chacun peut être amené à utiliser un jour, même pour une courte durée, pour passer un cap difficile.

            A l’UPR nous nous battrons toujours dans ce but, car comme l’écrivait Condorcet il y a plus de 200 ans,

L’inégalité d’instruction est une des principales sources de tyrannie (14)

Sources :

(1) : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes

https://www.lefigaro.fr/politique/lutte-contre-les-separatismes-le-verbatim-integral-du-discours-d-emmanuel-macron-20201002

(2) : https://www.liberation.fr/france/2020/10/04/ecole-obligatoire-des-3-ans-on-se-battra-pour-que-nos-enfants-restent-a-la-maison_1801302

(3) : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Actualites/30/6/VDM_IEF_1338306.pdf

(4) : https://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/rapports-annuels/rapport-annuel-2003

https://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/rapports-annuels/rapport-annuel-2006

(5) : https://www.senat.fr/leg/ppl13-245.html

(6) : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000027682649/2018-02-13

(7) : https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html

(8) : https://journals.openedition.org/rfp/8566

(9) : http://www.rama.1901.org/vens/jen/res-search.htm

(10) : https://laia-asso.fr/chiffres-etudes/

(11) : https://www.education.gouv.fr/journee-defense-et-citoyennete-2018-plus-d-un-jeune-francais-sur-dix-en-difficulte-de-lecture-9998

(12) : http://www.slate.fr/story/184872/classement-pisa-jeunes-15-ans-difference-fait-opinion

(13) : https://www.upr.fr/france/suppression-doptions-de-postes-de-classes-decoles-necessite-financiere-ou-mutation-imposee-un-article-danne-limoge-responsable-nationale-pour-leducation/