Michel Sapin apporte le soutien de la France au ministre espagnol de l’Économie, un financier de droite ultra-libérale, pour prendre la présidence de l’Eurogroupe

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Michel Sapin apporte le soutien de la France au ministre espagnol de l'Économie, un financier de droite ultra-libérale, pour prendre la présidence de l'Eurogroupe

Le « Socialiste » Michel Sapin apporte le soutien de la France au ministre espagnol de l’Économie, un financier de droite ultra-libérale, pour prendre la présidence de l’Eurogroupe

Le ministre des Finances et des Comptes publics, Michel Sapin, était, ce 22 mai 2015, en visite officielle à Madrid. Il y a rencontré le ministre espagnol de l’Économie et de la Compétitivité, Luis de Guindos : http://www.abc.es/economia/20150522/abci-guindos-sapin-madrid-201505221916.html

Au siège du ministère, ils ont participé à une réunion commune puis à une conférence de presse au cours de laquelle Michel Sapin a défendu l’idée que l’Espagne devrait avoir un poste à haute responsabilité au sein des instances européennes.

Il a donc soutenu à mots couverts la candidature de Luis de Guindos à la présidence de l’Eurogroupe, poste exercé par Jeroen Dijsselbloem, homme politique néerlandais, depuis le 21 janvier 2013.

Bien que ce dernier ait déjà déclaré qu’il serait candidat à sa propre succession (le mandat d’un président de l’Eurogroupe durant deux ans et demi), le nom de Luis de Guindos circule en effet depuis longtemps.

Sa candidature bénéficie évidemment du soutien de son gouvernement, présidé par Mariano Rajoy, mais aussi d’autres pays, dont la France semble-t-il, et plus important encore de l’Allemagne.

Angela Merkel, sans trop se mouiller, a déjà fait comprendre qu’elle donnerait son aval à une nomination de Luis de Guindos à ce poste, notamment lors de son dernier déplacement officiel en Espagne, l’année dernière : http://politica.elpais.com/politica/2014/08/24/actualidad/1408874005_467275.html

L’ami de l’ancien directeur espagnol du FMI inculpé pour corruption…

Il est utile d’expliquer au public français qui est ce Luis de Guindos auquel Michel Sapin vient ainsi d’apporter le soutien implicite de la France, alors que le gouvernement français est censé être opposé politiquement au gouvernement espagnol…

Né en 1960 à Madrid, Luis de Guindos est économiste de formation et il appartient à l’un des grands corps de fonctionnaires en Espagne, le Corps supérieur des Techniciens commerciaux et des Économistes de l’État.

C’est un habitué du passage du public au privé puisqu’il a occupé divers postes au service de l’État au cours des deux gouvernements Aznar (1996-2004). Il a notamment été secrétaire d’État à l’Économie de 2002 à 2004.

Il s’est lié d’amitié avec Rodrigo Rato, ancien vice-président du gouvernement et ministre de l’Économie, également connu pour avoir laissé de très mauvais résultats lorsqu’il était à la tête du Fonds monétaire international, de 2004 à 2007. (Notons au passage que Rodrigo Rato est actuellement inculpé dans deux affaires de corruption en Espagne, et qu’il vient de faire l’objet, voici un mois, d’une nouvelle enquête fiscale pour soupçon de blanchiment d’argent… http://www.romandie.com/news/Espagne-nouvelle-enquete-du-fisc-sur-l039exdirecteur-du/584988.rom)

L’ancien directeur pour l’Espagne de la banque américaine Lehman Brothers tombée en faillite…

Directeur de l’Institut de l’Entreprise depuis 2010, Luis de Guindos a rejoint le monde de l’entreprise en 2004, après la défaite du Parti populaire aux élections générales. Il est en effet devenu membre du conseil d’administration d’Endesa, entreprise espagnole spécialisée dans la production et l’approvisionnement d’électricité et de gaz naturel.

Surtout, le plus savoureux est qu’il a été directeur pour l’Espagne et le Portugal de la banque Lehman Brothers, disparue en 2008 dans le tourbillon de la crise financière.

C’est sans doute pour saluer ce parcours que le nouveau premier ministre espagnol Mariano Rajoy a nommé Luis de Guindos ministre de l’Économie et de la Compétitivité le 22 novembre 2011, lors du retour de la droite au pouvoir à Madrid.

Luis de Guindos y a immédiatement mis en place un plan d’austérité très important et, si ses résultats macro-économiques (retour à la croissance, réduction du chômage, réduction du déficit public) sont relativement satisfaisants aujourd’hui, ils ont été obtenus au prix de coupes sombres et d’une cure d’une sévérité inouïe pour l’Espagne.

Ces résultats ne sont d’ailleurs pas mirobolants puisque, si le nombre de chômeurs a poursuivi son repli en mars, reculant de 60 214 sur un mois, il reste quand même au niveau extrêmement élevé de 4,45 millions. Et s’il est vrai que l’Espagne a renoué avec la croissance après cinq années de récession ou de stagnation, cette croissance du Produit intérieur brut (PIB) n’a jamais atteint que +1,4% en 2014, ce qui n’a rien de flamboyant.

Un banquier ultra-libéral fanatique…

Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter que Luis de Guindos est l’une des rares vraies survivances intellectuelles et idéologiques de l’ère Aznar au sein de la droite espagnole. Mais quelle survivance !

Il n’a jamais caché son admiration pour l’école autrichienne, qui est quand même l’un des courants économiques les plus libéraux de la période contemporaine. Il se revendique, entre autres, de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayek : http://blogs.elconfidencial.com/economia/monetae-mutatione/2011-12-28/un-ministro-de-economia-austriaco_437699

L’on pourrait synthétiser ainsi sa pensée économique : les crises viennent de l’intervention de l’État, qui doit désormais toucher le moins possible à la monnaie et aux taux d’intérêt afin d’éviter tout nouveau problème.

L’objectif de Luis de Guindos était clair en début de législature : opérer des réformes économiques majeures et douloureuses destinées à juguler l’inflation et à favoriser la “liberté économique”. En décembre 2011, lors de la prise de pouvoir de la nouvelle majorité, certains se demandaient s’il pourrait avoir assez d’influence auprès de Mariano Rajoy (modéré et indécis de manière générale) pour imposer ses vues.

L’on sait aujourd’hui que c’est clairement le cas et que c’est bien sa ligne qui a prévalu. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant puisque cette ligne est en parfaite conformité avec les directives européennes…

Au-delà, c’est la ligne de Rodrigo Rato (qui était celle du premier mandat de José María Aznar et qui consistait à appliquer au champ économique le néoconservatisme en vogue dans le Parti populaire à ce moment-là) qui l’a emporté dans la conduite des affaires économiques.

Conclusion : « mon amie, c’est la finance »

Voilà donc qui est ce Luis de Guindos soutenu par Michel Sapin, socialiste autoproclamé : un pur produit des élites euro-atlantistes et de la finance internationale.
Après la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy, il est désormais clair que, pour les socialistes français, « leur amie, c’est la finance ».

N.K