Réforme des retraites : double jeu des syndicats ? par Hippocrate.

Lecture : 24 min

Les points de vue ici exprimés sont formulés par des sympathisants ou adhérents de l’UPR. Les textes que nous publions sont sélectionnés en fonction de leur contenu technique et de la précision des références évoquées. Pour autant, ils n’engagent pas nécessairement la position officielle de notre mouvement politique.
Hippocrate est le pseudonyme d’un adhérent de l’UPR.

(CGT Paris)

Avant-propos de l’auteur :

À l’attention des travailleurs qui ont mis leur confiance dans les syndicats pour les défendre. À l’attention aussi des militants et même des délégués syndicaux de base, très probablement de bonne foi dans leurs actions. [1]

Ce que vous lirez ci-dessous révèle que les centrales syndicales connaissent parfaitement les origines profondes des réformes que les Français subissent depuis tant d’années. Mais les arrivistes qui sont à leur tête se gardent bien de parler d’elles et encore plus de les dénoncer.

Après cela, une seule alternative s’offre à vous : continuer de vous laisser berner par des traîtres ou leur demander des comptes.

Dédicace particulière à M. Gérard Filoche, qui lui aussi n’a visiblement rien compris, et ne veut surtout rien comprendre.

Retraites : une réforme facile à anticiper

Le mouvement de contestation du peuple français contre le gouvernement Macron a dernièrement franchi un nouveau palier à la suite de l’annonce d’une nouvelle réforme, portant cette fois-ci sur les retraites.

Or cette réforme avait été anticipée par l’UPR dès le 24 mai 2018, parmi tant d’autres.

Il n’était pas nécessaire d’être devin pour cela, puisqu’il suffisait de consulter les grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ) pour la France, publiées le 23 mai 2018 par la Commission européenne.

Comme l’explique l’UPR depuis des années, tous les gouvernements français successifs s’attachent à mettre systématiquement en application les dites « recommandations » contenues dans ces GOPÉ.

Observez ci-après un extrait de ce rapport :

Considérant n° 10 des GOPÉ 2018, p. 4


Recommandation n° 4 des GOPÉ 2018, p. 7


Comme il est facile de le constater, le gouvernement français reprend à son compte tous les motifs et arguments de ce texte bruxellois [2] pour justifier sa réforme des retraites auprès de la population.

Le seul motif sur lequel le gouvernement ne s’étale pas concerne le but final de l’opération : réduire le montant global des retraites de 5 milliards, chaque année. Réduction au nom de l’équité, bien entendu.

Sur la base des GOPÉ 2018, comme il le fait chaque année, le gouvernement a donc établi son Programme national de réforme 2019 (PNR), dans lequel on retrouve explicitement les « mesures » qu’il a prises pour répondre précisément à chacune des « recommandations » de la Commission, et à quelle échéance.

Annexe n° 1 du PNR 2019, p. 124

Le PNR est largement méconnu. Mais il est un fait encore moins connu, et qui ne peut manquer de provoquer la stupéfaction lorsqu’on le découvre : avant sa publication officielle, le PNR est soumis, pour « consultation », aux syndicats (FO, CGT, CFDT, CFE-CGC, UNSA…) et à d’autres institutions telles que le CESE [3] et le CNLE. [4]

Qui sait également que ces consultations conduisent à la publication d’un document intitulé « Contribution des parties prenantes », annexé [5] au PNR sur le site Internet de la Commission européenne ?

Toutes ces opérations sont gérées par le très discret Secrétariat général des affaires européennes, qui tient devant les caméras une langue de bois bien travaillée.

La « Contribution des parties prenantes » : un simulacre bien rodé

Chaque année, les choses se déroulent donc selon un calendrier éprouvé. Cette régularité est importante à retenir pour comprendre le développement qui suit.

À titre d’exemple, voici la chronologie suivie en 2017, d’autant plus intéressante qu’elle a eu lieu juste avant l’élection d’un nouveau président de la République, censé pourtant défendre son propre programme.

Ainsi, dans le courant de mars 2017, les parties prenantes ont été consultées sur le projet de PNR 2017 qui répondait aux GOPÉ 2016, puis ce PNR a été présenté aux députés par le gouvernement dès le 12 avril, avant d’être finalement rendu public le 28 avril. Public, mais sans pour autant être porté à la connaissance du public.

Qui peut croire qu’un document aussi dense, structuré et détaillé que l’est le PNR (186 pages pour le PNR 2017), intégrant des mesures planifiées pour certaines sur plusieurs années, puisse dans des délais aussi courts (17 jours) être révisé sur la base de ces « contributions » ? 

D’ailleurs, les parties prenantes sont bien conscientes de ce problème récurrent :

Contribution du CESE au PNR 2016, p. 6. (Source : p. 10)

Contribution du CESE au PNR 2016, p. 5. (Source : p. 9)

Contribution de la Confédération des PME au PNR 2017 (Source : p. 74)


En d’autres termes, ces « contributions » n’ont aucunement pour objectif d’amender un programme déjà rédigé. Elles ne servent à rien d’autre qu’à simuler le débat démocratique et à neutraliser les « parties prenantes » en les impliquant dans le processus.

De toute façon, ces « contributions » ne sont lues par personne, ce qui arrange bien les syndicats, comme nous allons le voir.

La mascarade des syndicats

Le contenu des GOPÉ, tout comme leur nocivité et la servilité des gouvernements à leur égard, est un secret de polichinelle pour les syndicats. Les extraits suivants se passent de tout commentaire.

Contribution de la CGT au PNR 2013 (source : p. 99)

Contribution de la CFDT au PNR 2016 (source : p. 58)

Contribution de la CGT au PNR 2017 (source : p. 105) [6]

Contribution du CESE au PNR 2017, p. 5-6 (source, p. 9-10)

Contribution du CNLE au PNR 2017 (source : p. 50)

Conclusion

Les syndicats ont une parfaite connaissance de la mécanique des GOPÉ et du PNR, puisqu’ils  l’ont eux-mêmes commentée et critiquée abondamment au fil des ans. Ils étaient donc en capacité d’anticiper, tout comme l’a fait l’UPR, l’arrivée et la teneur de cette réforme des retraites 2019.

Et il en fut de même pour bon nombre d’autres réformes antérieures : loi Rebsamen, loi El Khomri, réforme des retraites 2014, loi Macron, réforme des retraites 2010, loi de « sécurisation » de l’emploi 2013, libéralisation de la SNCF, privatisation d’ADP [7], etc. À chaque fois, les syndicats savaient pertinemment ce qui allait s’abattre sur les Français, et en connaissaient les origines profondes et les implications.

Et pourtant, à chaque fois, ils ne font rien d’autre que des gesticulations. Pourquoi ?

Exemple-type de caution idéologique donnée à l’oligarchie par les syndicats durant les élections européennes 2019.

Une première explication réside dans la croyance au dogme européiste, que beaucoup s’interdisent de critiquer, malgré l’évidence des faits.

Une seconde explication, pas exclusive de la première, est que la quasi-totalité des syndicats est affiliée à la Confédération européenne des syndicats (CES), et par conséquent :

« Il semblerait d’après des spécialistes qui ont écrit un article que la CES toucherait 70 % de son budget de l’Union européenne, même si ces informations résident dans une opacité totale. Donc nous avons des syndicats qui sont subventionnés par la Commission européenne pour se mobiliser et mobiliser leurs syndiqués contre des réformes ordonnées par les grandes orientations des politiques économiques fixées par la Commission européenne. Cela expliquerait pas mal de contradictions, le fait qu’ils échouent, qu’ils incitent leurs syndiqués ainsi que les autres salariés à manifester contre le président et son monde mais pas contre Bruxelles ni la Commission européenne. La CES a apporté son soutien au “oui” du référendum sur le 3e mémorandum d’austérité imposé par l’Union européenne à la Grèce, au côté de la troïka. Elle a également milité pour le “oui” au traité constitutionnel européen et au traité de Lisbonne… » (source)

Selon vous, si les syndicats ne défendent même pas les travailleurs face à ce système tyrannique, qui va le faire ?

Tous les syndiqués, qui luttent au quotidien pour préserver et améliorer le droit des travailleurs, doivent ouvrir les yeux devant la compromission de leur syndicat.  Il leur appartient désormais de demander des comptes à leur hiérarchie, en la mettant face à ses contradictions coupables.

Hippocrate, adhérent de l’UPR

L’UPR dénonce depuis longtemps le double jeu auquel se livrent les syndicats européistes, qui refusent mordicus de remettre en question la soumission de la France à l’Union européenne, condamnant de fait leurs syndiqués à épuiser en pure perte leurs forces et leur patience.

Afin d’éviter qu’un tel dévoiement du syndicalisme ne se reproduise un jour, l’UPR se propose de reconstituer un syndicalisme indépendant et efficace en (point 68 du programme de libération nationale de 2017) :

— interdisant toute subvention aux syndicats qui ne seraient pas d’origine française,

— assurant aux syndicats un financement public suffisant pour leur permettre de jouer leur rôle naturel de vrais représentants des salariés.


Sources et références

[1] Ainsi, par exemple, cette analyse émise par le « comité de mobilisation de la direction générale de l’INSEE, soutenue par les sections CGT, FO, SUD », a pour ambition que les citoyens se saisissent des chiffres avancés pour comprendre « l’enjeu d’un refus collectif de la réforme régressive en cours ». Or tout au long de leur analyse, très documentée et sourcée, il n’est jamais fait mention des origines européennes de cette réforme. Pourtant, avant d’être publiée, cette analyse est très probablement passée entre les mains de leur centrale syndicale.

[2] Les recommandations de la Commission européenne sont dans un premier temps adressées au Conseil de l’Union européenne (Conseil des ministres de l’UE). Ce dernier les transmet quelques semaines plus tard au pays concerné, habituellement sans en modifier un seul mot. Une exception s’est produite cependant pour les GOPÉ 2018 puisque le Conseil a cru bon dans sa publication de préciser l’origine de l’« étude récente » évoquée par la Commission dans la sienne. Voici cet ajout :

« Selon une étude récente de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), l’alignement de différents régimes de retraite des secteurs public et privé pourrait réduire de plus de 5 milliards d’EUR les dépenses publiques d’ici 2022. »

Précision utile : l’IFRAP est un faux institut de recherche, officiellement identifié en tant que lobby, et financé par des donations d’entreprises.

[3] Le Conseil économique social et environnemental permet prétendument la représentation au niveau national des organisations professionnelles et est censé faciliter la communication entre les différents acteurs de l’économie. Chaque syndicat y est représenté par un nombre important de membres désignés, ce qui implique que les contributions du CESE aux PNR sont forcément connues de chacun des syndicats. Le silence absolu de ceux-ci sur ce sujet capital ne peut s’expliquer qu’en supposant que leurs représentants au CESE ont ordre de se taire une fois qu’ils en sont sortis.

[4] Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale compte lui-même parmi ses membres des représentants des principaux syndicats. Cet organisme dépend du Premier ministre, et les avis très critiques qu’il porte sur le PNR, document qui émane lui-même directement des services du Premier ministre, soulignent la duplicité et l’inconséquence scandaleuses de notre État.

[5] Curieusement, le PNR est publié sur le site du gouvernement français sans cette annexe. Le gouvernement aurait-il quelque chose à cacher ?

[6] Il est à noter qu’au-delà de 2017, c’est-à-dire pour 2018 et 2019, la CGT a cessé d’apporter sa contribution au PNR. Serait-elle lassée de la mascarade, ou craindrait-elle que l’évidence de sa compromission et de son double jeu n’éclate au grand jour ?

[7] PNR 2015, p. 9 : « La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques [loi no 2015-990 du 6 août 2015 dite loi Macron] vise notamment à améliorer le fonctionnement des transports (ouverture du marché des autocars, transfert sous conditions d’aéroports au secteur privé)… »