UNE COMMÉMORATION OUBLIÉE PAR MACRON ! Il y a 100 ans, le président Paul Deschanel tombait de son train en marche…

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La Une du Petit Journal du mardi 25 mai 1920 –
Il y a 100 ans, le Président Paul Deschanel tombait de son train en marche.
Les Français découvraient alors que leur Président de la République, grand consommateur d’hypnotiques, souffrait de crises d’angoisse et de dépression

À la surprise générale, ce ne fut pas Georges Clemenceau – surnommé le “Père La Victoire” depuis 1918 – qui fut élu président de la République en janvier 1920 pour succéder à Raymond Poincaré.

Les parlementaires de la IIIe République lui préférèrent Paul Deschanel, un personnage fade, figure des Républicains modérés, partisan d’une troisième voie entre libéralisme économique et socialisme.

Cet homme avait déjà été éprouvé par son poste de président de la Chambre des députés pendant la Grande Guerre, puis par les négociations de paix.

Après son élection-surprise, Paul Deschanel se rend compte avec angoisse qu’il n’est pas à la hauteur de la fonction

Mais, rapidement après sa prise de fonctions de président de la République française le 18 février 1920, Paul Deschanel se rendit compte qu’il n’était pas à la hauteur de sa nouvelle fonction.

Plusieurs témoins indiquent qu’il se mit à ressentir, à partir d’avril 1920, des bouffées d’angoisse en réalisant son inexpérience au sommet de l’État, la très faible marge de manœuvre dont il disposait, et les lourdes règles de protocole qui lui étaient imposées.

Son biographe Thierry Billard fait état en ces termes d’une dégradation de son état de santé après son accession à la présidence :

« Il mesure enfin l’étendue de son impuissance. Il ne voulait pas être une potiche, il l’est par la force des habitudes. Son rêve de réformer les institutions en devenant président de la République s’écroule. Paul Deschanel découvre que, sur ce point, il s’est trompé toute sa vie, qu’il est un arbitre sans sifflet ni carton rouge. Il est tragique de constater que son ambition de devenir chef de l’État l’a empêché de voir qu’il ne pourrait rien faire une fois élu. […] Paul Deschanel a l’impression d’être en prison. Il ne peut rien dire, retenu par l’obligation de réserve. Son impuissance l’accable et le déprime. »

Les signes d’anxiété et de dépression, ainsi que les crises d’angoisse qui inquiétaient son entourage, conduisirent Paul Deschanel à prendre de plus en plus de drogues hypnotiques pour faire bonne figure.

C’est alors qu’intervint sa célèbre chute de train.

Une chute de train en marche provoquée par une crise d’angoisse et la consommation d’hypnotiques

Parti de Paris le dimanche 23 mai 1920 pour inaugurer un monument à Montbrison (dans la Loire), et alors que son train circulait à petite vitesse à proximité de Montargis, dans le Loiret, Paul Deschanel éprouve, peu avant minuit, une sensation d’étouffement – sans doute une crise d’angoisse.

Le président de la République ouvre la fenêtre à guillotine de son compartiment… et chute de son train EN MARCHE.

Photographie du train duquel tomba Paul Deschanel ainsi qu’un plan de l’intérieur du wagon présidentiel (Le Petit Parisien, 25 mai 1920).



Il se retrouve alors à côté de la voie ferrée, en pyjama et ensanglanté. Le sang qui coule de ses blessures, certes superficielles, macule son pyjama et lui donne l’aspect d’un aliéné tout droit sorti de l’asile. Ses blessures présentent néanmoins un caractère bénin, le train ne circulant qu’à faible allure lors de sa chute.

Après avoir marché, Paul Deschanel rencontre un ouvrier cheminot – un certain André Radeau – qui surveille la zone de travaux, auprès duquel il se présente comme étant le président de la République.

L’image des personnalités politiques étant à l’époque encore peu diffusée auprès de la population, le cheminot se montre pour le moins dubitatif et moqueur. Il le conduit jusqu’à une maison de garde-barrière, où le blessé est soigné et mis au lit. Le garde-barrière prévient finalement la gendarmerie de Corbeilles, alors que sa femme aurait dit ultérieurement à des journalistes : “J’avais bien vu que c’était un monsieur : il avait les pieds propres.”

Les Français apprennent la nouvelle le 25 mai 1920

La lenteur des communications entre les divers échelons fait que, malgré les faibles distances, le sous-préfet de Montargis n’est prévenu par télégramme que tardivement dans la nuit.

L’incident commence à avoir un retentissement certain le lundi 24 mai 1920 au matin, lorsqu’il est évident, avant l’arrivée du train en gare de Roanne, que le président a disparu. La suite présidentielle — menée par Théodore Steeg, ministre de l’Intérieur — attendant sur le quai de la gare ne reste pas longtemps sans nouvelles : une dépêche, envoyée par la gare de Montargis à celle de Saint-Germain-des-Fossés, dont le contenu explique succinctement le déroulement des événements survenus dans la nuit, lui est rapidement transmise.

La nouvelle de la chute du président de la République de son train en marche sera connue nationalement le surlendemain, et fait la Une des journaux, comme celle du “Petit Journal” du mardi 25 mai 1920, il y a 100 ans jour pour jour. Pendant plusieurs jours, la presse reviendra sur cette affaire qui suscitera les moqueries des chansonniers…

Il est établi par des médecins que la chute du président de la République de son train en marche fut due à une forme de somnambulisme, causée par plusieurs facteurs : – la prise d’un hypnotique, auquel il n’était pas habitué, – la chaleur du compartiment, – le mode d’ouverture particulier des fenêtres à guillotine qui permit le basculement du président lorsqu’il souhaita respirer de l’air frais.

La survenue du « syndrome d’Elpénor », provoquée par la prise de calmants pour dormir, pourrait ainsi avoir créé un état de semi-conscience maladive lors d’un réveil incomplet.

CONCLUSION : Paul Deschanel n’avait pas la carrure de l’emploi

-La dépression du président de la République se poursuivit au fil des mois. Sept mois après son investiture, alors que sa santé ne s’améliorait pas et qu’il faisait l’objet de rumeurs de folie (infondées), il démissionna de l’Élysée en septembre 1920.

S’étant rétabli après une période de convalescence, il effectua son retour en politique quelque temps après, en se faisant élire sénateur puis président de la commission des Affaires étrangères du Sénat. Un poste moins exposé et mieux fait pour cet homme.

Il est dommage que Macron, très porté aux commémorations ces temps-ci, n’ait pas songé à nous gratifier d’une cérémonie au bord du chemin de fer prés de Montargis.

Il aurait pu rendre hommage à Paul Deschanel, son lointain prédécesseur, qui avait été élu, finalement par erreur, à un poste dont il n’avait pas la carrure.

FA
25 mai 2020
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Sources :