Précisions sur les opérations de stérilisation inventées par Jean Claude Trichet

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PRÉCISIONS SUR LES « OPÉRATIONS DE STÉRILISATION » INVENTÉES PAR M. TRICHET POUR NEUTRALISER L’EFFET POTENTIELLEMENT INFLATIONNISTE DES RACHATS D’OBLIGATIONS SOUVERAINES PAR LA BCE 

Suite à une consultation avec un expert de la question, je reviens sur mon article d’hier soir au sujet des déclarations de M. Draghi car mon texte comporte une présentation approximative, et en partie erronée, sur un point précis. Cela découle de ma reprise un peu hâtive de l’analyse, elle-même en partie erronée, d’Olivier Berruyer.

À savoir que ce dernier a tort d’affirmer que ce qu’il appelle les “reprises de liquidités à blanc” sont des emprunts à terme qui procureraient un bénéfice aux banques ayant vendu à la BCE des obligations pourries.

Le schéma est complexe et assez nettement différent du résumé qu’en fait Olivier Berruyer.

La présentation correcte de la situation est la suivante.

LE VRAI SCHÉMA DES « OPÉRATIONS DE STÉRILISATION »

Il est exact que, pour éviter l’effet potentiellement inflationniste des rachats d’obligations souveraines par la BCE du programme dit “SMP” ((Securities Markets Programme), celle-ci a en effet décidé, sous la présidence de M. Trichet en 2010, d’opérations officiellement dites « de stérilisation », qui correspondent à ce qu’Olivier Berruyer appelle les “reprises de liquidités à blanc”.

Mais, contrairement à la présentation faite par Olivier Berruyer, ces opérations ne sont que l’ouverture d’une possibilité nouvelle et complémentaire de dépôts à terme (d’une semaine) des banques auprès de l’Eurosystème.

Cela mérite une explication, certes très technique, mais qui permettra aux lecteurs intéressés de ne pas raisonner sur des idées approximatives ou fausses :

1)- Point de départ : la rémunération des dépôts et des prêts est la règle absolument générale de la vie financière.

1.1.- l’activité numéro 1 de l’Eurosystème consiste à accorder des opérations de refinancement aux banques :

– à moins d’une semaine pour les MRO (Main Refinancing Operation)
– et entre 3 mois et 3 ans pour les LTRO (Long Term Refinancing Operation).

Ce sont des prêts d’argent, facturés aux banques au fameux “taux d’intervention” de la BCE. Depuis le 5 juillet 2012, la BCE a abaissé ce taux à un niveau historiquement très bas de 0,75%.

Les banques privées versent donc des intérêts à l’Eurosystème pour ces prêts.

1.2.- les banques doivent a contrario placer des sommes en comptes courants auprès de la BCE, au nom du principe des “réserves obligatoires”.

Ces sommes sont rémunérées jusqu’au montant des réserves obligatoires. Ce qui est déposé en excès ne l’est pas.

À l’inverse du cas précédent, c’est donc la BCE qui verse des intérêts aux banques privées pour ces sommes.

1.3.- les banques peuvent aussi déposer leurs excès de liquidités à la BCE, sur des comptes dits de « facilité de dépôt » (deposit facility).

Ces autres comptes sont, en temps ordinaire, rémunérés.

Cependant, leur rémunération a été abaissée, le 5 juillet 2012, au taux de 0 % , ce qui correspond donc à une non-rémunération. La BCE a affirmé avoir agi de la sorte pour inciter les banques à réinjecter ces liquidités dans l’économie plutôt que de les laisser “au chaud” à la BCE. Mais cette tactique n’a pas donné de résultats (cf. ci-infra).

2)- les opérations dites « de stérilisation » consistent en l’ouverture d’une nouvelle facilité de dépôts rémunérés

L’innovation décidée par M. Trichet en 2010 a consisté à ouvrir la possibilité d’un nouveau type de dépôts en compte courant, pour une durée d’1 semaine, également rémunéré selon le principe général que je viens de rappeler, et cela dans le but de neutraliser l’effet inflationniste des rachats d’obligations souveraines. Le placement par les banques commerciales (autrement dit l’emprunt de cet argent par la BCE) constitue ce que l’on appelle une “FTO” (“Fine Tuning Operation”) pour reprendre le jargon de la BCE.

La rémunération est fixée pour des montants et à un taux mis aux enchères entre les banques.

Ce taux ne peut en aucun cas être supérieur au taux d’intervention de la BCE auquel les banques peuvent se procurer des refinancements. Cette contrainte obéit à une logique évidente car il suffirait, sinon, aux banques privées d’emprunter de l’argent à l’Eurosystème d’un côté pour le replacer à un taux supérieur à la BCE de l’autre côté pour gagner indûment leur vie.

3)- il n’y a pas de relation mécanique et obligatoire entre la vente d’obligations pourries à la BCE et le dépôt de fonds sur un compte « de stérilisation ».

Les dépôts dits « de stérilisation » dont je viens de parler sont une nouvelle facilité de dépôt qui a, certes, été conçue pour remédier à la création monétaire induite par le rachat d’obligations souveraines par la BCE.

Cependant, il n’y a pas (et il n’y a jamais eu) de relation mécanique et obligatoire entre les deux, contrairement à la présentation erronée qu’en fait Olivier Berruyer, et que j’ai reprise à tort sans vérification technique approfondie.

En réalité, une banque qui vend 100 d’obligations pourries à la BCE peut fort bien ne pas redéposer cette somme à la BCE sur ces nouveaux comptes. En revanche, une banque qui n’a rien vendu pourra fort bien déposer des sommes sur ceux-ci, si elle remporte l’enchère.

4)- le rachat d’obligations souveraines par la BCE procure un avantage indéniable pour les États en grande difficulté financière, mais un avantage plus relatif pour les banques

Comme je l’ai expliqué hier, le rachat d’obligations souveraines par la BCE a pour conséquence de faire monter le prix des obligations sur le marché secondaire et de faire concomitamment baisser le taux d’intérêt demandé par les marchés pour les nouvelles obligations.

C’est évidemment un avantage très important pour les États en grande difficulté financière pris à la gorge par la montée des taux d’intérêt, comme cela était le cas ces derniers jours avec l’Espagne et l’Italie. D’un coup, la pression des taux à la hausse s’estompe et c’est ce qui s’était produit lors du lancement du programme SMP en 2010 sur les taux des obligations irlandaises, portugaises et grecques.

Cependant, cet avantage est plus relatif pour les banques elles-mêmes puisque, par principe même de l’existence d’un marché secondaire (revente de titres), elles conservent toujours la faculté de vendre les obligations souveraines qu’elles possèdent à tout acheteur sur ce marché.

L’avantage que le programme SMP procure aux banques est donc d’avoir pour effet d’augmenter le prix de revente des obligations qu’elles détiennent en portefeuille.

5)- les FTO « de stérilisation » proposés par la BCE intéressent beaucoup moins les banques pour la maigre rémunération proposée que pour la sûreté offerte

Il faut savoir que les banques qui disposent de liquidités peuvent en permanence les placer :

– soit à ultra court-terme, au jour le jour, au taux “overnight”, dont le fixing constitue l’EONIA (Euro OverNight Index Average) : c’est le taux de référence quotidien des dépôts interbancaires dits « en blanc » (c’est-à-dire sans être gagés par des titres), qui sont effectués au jour-le-jour dans la zone euro.

– soit à court-moyen terme, « en blanc » au taux dont le fixing s’appelle EURIBOR (Euro interbank offered rate), ou « contre collatéral » au taux dont le fixing s’appelle EUREPO, qui couvrent l’un et l’autre des durées allant d’une semaine à un an.

Ces taux EURIBOR et EUREPO sont cependant largement virtuels puisque le marché interbancaire « en blanc » est devenu quasi-inexistant depuis la crise de 2008 et le marché interbancaire « contre collatéral » ne se porte qu’à peine mieux.

Cette absence de marché interbancaire réel découle de la méfiance généralisée entre les banques et constitue d’ailleurs l’un des très graves problèmes de la zone euro (comme du dollar), mais qui sort du champ du présent article.

Or les conditions de rémunération des comptes courants, des facilités de dépôt, et des comptes de stérilisation offertes par la BCE peuvent être moins attractives que celles qu’une banque peut obtenir, de façon composée, en plaçant ses liquidités au jour-le-jour au taux overnight sous-jacent à l’EONIA (ou éventuellement sur une plus longue maturité au taux EURIBOR ou EUREPO). Et elles sont par construction moins attractives que le taux d’intervention de la BCE sur les MRO.

Dès lors, si seule la rémunération entrait en considération, la logique financière voudrait que les facilités de dépôt soient vides, que les comptes de stérilisation soient peu garnis, et que les comptes courants ne soient remplis qu’à due proportion du montant des réserves obligatoires imposées aux banques par l’Eurosystème.

Or, tel est loin d’être le cas. Comme je l’ai déjà mentionné, l’abaissement à 0 % de la rémunération des facilités de dépôt (donc la non-rémunération pure et simple) a entraîné une légère baisse du montant total des sommes qui y sont déposées, mais pas du tout leur disparition.

C’est la preuve que les banques de la zone euro continuent à éprouver une très grande défiance vis-à-vis du marché interbancaire et de la solidité des autres banques.

Quant aux quelque 1000 milliards d’euros que la BCE a injectés dans la zone euro par les opérations de refinancement des banques, celles-ci préfèrent les placer massivement… à la BCE plutôt que de les injecter dans l’économie réelle.

C’est la preuve que l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif et que les perspectives récessives des économies de la zone euro n’incitent nullement les banques à accorder des prêts.

En bref, la rémunération des comptes de stérilisation ne constitue pas vraiment l’avantage indu décrit par M. Berruyer sur son blog.

Si des banques cherchent à déposer des fonds sur ces comptes de stérilisation, c’est parce qu’elles sont en quête de sûreté, bien plus que de rémunération.

CONCLUSION : LES TROIS VRAIS PROBLÈMES : L’ABSENCE DE RÉELLE « STÉRILISATION »,L’EXCÈS DE LIQUIDITÉS, ET TARGET 2

En conclusion, je reviens donc sur le passage de mon texte d’hier inspiré d’Olivier Berruyer pour le corriger.

S’il est exact que les opérations de rachat d’obligations souveraines ont pour effet de dégrader le bilan de la BCE, qui se charge indûment de créances pourries, c’est une présentation polémique et assez largement erronée de dire que les comptes de stérilisation créés dans la foulée constituent une rémunération des banques pour ce service qu’on leur rend.

En revanche, ces opérations posent trois autres types de problèmes qui méritent d’être soulignés :

1°) L’absence de vraie « stérilisation »

La qualification d’« opérations de stérilisation » présentées comme telles par la BCE est totalement fallacieuse, puisque :

– d’une part, les banques placent (ou ne placent pas) ce qu’elles veulent sur ces prétendus dépôts dits « de stérilisation »,

– d’autre part, le problème de manque de liquidités est devenu tellement aigu dans certains pays que la BCE et l’Eurosystème en sont venus à accorder des opérations de refinancement quasiment à guichets ouverts, fondées sur des garanties (les “collatéraux”) dont la qualité est de plus en plus voisine de zéro, et cela d’ailleurs à la grande fureur de la Bundesbank allemande.

En dépit du nom dont la BCE les a affublées, les opérations de

« stérilisation » ne stérilisent rien du tout puisque ce sont au fond les banques qui décident du volume de la masse de liquidités.

2°) L’excès de liquidités

Or, comme je l’ai souligné dans mon article d’hier, cette augmentation constante des liquidités au bilan de la BCE est potentiellement très grave.

S’il arrivait que les banques, perdant leur frilosité, réinjectent ces masses dans l’économie, une flambée d’inflation en découlerait.

3°) Target 2

Cette question est par ailleurs suspendue au problème structurel posé par la zone euro, qui tient au fait que toutes les injections de liquidités dans un pays de la périphérie se traduisent très rapidement par un transfert vers l’Allemagne (et aussi les Pays Bas

ou le Luxembourg) et par un nouvel assèchement des liquidités dans les pays de la périphérie.

Il s’agit ici de la “bombe nucléaire” dénommée Target 2 que j’ai déjà expliquée plusieurs fois et qui constitue l’une des raisons essentielles de l’explosion à venir de la zone euro. La défiance vis-à-vis des pays du sud et les écarts croissants de compétitivité entre les pays ont pour effet de transformer en cercle vicieux fatal le système de transferts automatiques et sans contrôle de fonds entre les États de la zone euro.

Les rachats d’obligations souveraines des pays du sud par la BCE ne peuvent que repousser les échéances mais ils ne règlent strictement en rien la mécanique fatale qui condamne l’euro à l’explosion.

C’est pourquoi les agissements de M. Draghi, et des autres dirigeants européistes qui l’entourent, sont proprement insensés puisque, comme je l’expliquais hier, la seule conclusion qui en découlera à terme est la ruine des contribuables, un chômage intenable et des économies exsangues, sans pour autant empêcher l’inéluctable explosion de l’euro.

François ASSELINEAU