L’Allemagne achève de verrouiller le futur M.E.S en imposant la nomination de Klaus Regling à sa tête

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SOLIDARITÉ EUROPÉENNE ?
MON ŒIL !

L’ALLEMAGNE ACHÈVE DE VERROUILLER LE FUTUR M.E.S. EN IMPOSANT LA NOMINATION DE KLAUS REGLING À SA TÊTE

Selon certaines informations, le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe pourrait donner une indication, au cours de cette journée du 10 juillet 2012, sur la réponse qu’il entend donner à la saisine qui lui a été faite au sujet de la constitutionnalité du pacte budgétaire (TSCG) et du Mécanisme européen de stabilité (M.E.S.).

[Je renvoie ici à l’article que j’ai déjà écrit sur la question : http://www.upr.fr/actualite/france-europe/coup-de-theatre-en-allemagne-le-mes-et-le-pacte-budgetaire-violent-la-constitution]

3 SOLUTIONS POSSIBLES POUR LES JUGES DE KARLSRUHE

A priori, 3 possibilités s’ouvrent aux juges constitutionnels :

1– soit ils estiment que les deux dispositifs sont purement et simplement conformes à la Constitution de la République fédérale d’Allemagne ; auquel cas le président allemand Joachim Gauck pourra promulguer les deux textes et les européistes pousseront un gros ouf ! de soulagement.

2– soit ils estiment que l’un ou l’autre de ces dispositifs, ou les deux, sont contraires à la Constitution de la République fédérale d’Allemagne ; auquel cas non seulement le président allemand ne promulguera pas le ou les textes retoqués, mais l’onde de choc produite sera planétaire. Les marchés financiers estimeront que c’est l’ensemble du dispositif destiné à sauver l’euro qui s’effondre et les conséquences sur les taux d’intérêt demandés au financement de l’Espagne ou de l’Italie pourraient être cataclysmiques. C’est la survie de l’euro à très court terme qui serait alors en jeu.

3– soit enfin, troisième possibilité, les juges tranchent d’une façon chèvre-chou, en mélangeant un peu les deux solutions précédentes.

Par exemple en annonçant que les deux dispositifs « ne sont pas contraires » à la Constitution de la République fédérale d’Allemagne « à la condition que »…

À la condition que quoi ?

C’est là tout le problème.

Les juges pourraient par exemple fixer comme condition que les décisions du MES doivent être validés par le Bundestag, mais cela pose problème puisque le traité MES précise justement que ce n’est pas le cas. Par une acrobatie juridique, il pourrait peut-être y avoir l’adjonction et le vote d’une déclaration interprétative alambiquée du parlement allemand allant dans ce sens ?

L’HYPOTHÈSE D’UN ARRÊT “CHÈVRE-CHOU”

Cette troisième hypothèse – la réponse “chèvre-chou” – me semble assez vraisemblable, pour plusieurs raisons :

– d’abord parce que le TSCG et le MES présentent des spécificités objectivement ahurissantes au regard du droit commun.

En particulier la mise à l’écart des parlements nationaux, alors qu’il s’agit de décisions prises par des personnes non élues et portant sur des décisions dont l’impact sur les finances publiques pourrait se chiffrer dizaines de milliards d’euros.

Sauf à ce que les juges allemands acceptent de se dédire complètement par rapport à son Arrêt du 30 juin 2009 au sujet de la constitutionnalité du traité de Lisbonne, il me semble probable qu’ils ne pourront pas accepter les deux textes tout de go et sans remarque ni objection.

– d’autre part parce qu’une invalidation pure et simple de l’un ou de l’autre de ces deux textes aurait de telles conséquences financières, économiques, monétaires et politiques mondiales (je viens de le dire), que l’on imagine mal les juges prendre cette responsabilité sur leurs épaules.

– enfin parce que c’est déjà par un arrêt chèvre-chou, contentant un peu tout le monde, que le Tribunal s’était sorti de ce guêpier le 30 juin 2009 : en assortissant leur feu vert de considérations extrêmement importantes et qui imposent, notamment, un contrôle parlementaire beaucoup plus strict qu’en France sur les agissements européistes du gouvernement fédéral.

[cf. de nouveau http://www.upr.fr/actualite/france-europe/coup-de-theatre-en-allemagne-le-mes-et-le-pacte-budgetaire-violent-la-constitution]

Du reste, la déclaration extrêmement peu banale (et en réalité sans précédent connu) faite ce week-end par le président de la République allemande sur cette question irait dans le sens de cette 3ème solution.

Alors que le titre de chef de l’État allemand est essentiellement honorifique, Joachim Gauck a en effet demandé au gouvernement de Mme Merkel de “mieux décrire” les conséquences du sommet européen, du MES et du pacte budgétaire. Il a fixé à Angela Merkel « l’obligation de décrire en détail ce que signifie les nouvelles étapes du sauvetage de l’euro, notamment sur le plan budgétaire ». C’est du jamais vu.

[source : http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120708trib000707961/le-president-allemand-fait-la-lecon-a-angela-merkel.html]

QUOI QU’IL EN SOIT, L’ALLEMAGNE VERROUILLE

Quel que soit la décision qui sera finalement prise par le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe, le gouvernement allemand a bien manœuvré pour que rien ne puisse lui échapper.

1 – Verrouillage écrit des prétendues concessions

D’une part, les pseudo-concessions accordées par Mme Merkel ont été consignées dans un document qui, si on le lit attentivement, est extrêmement restrictif. Le passage important est le suivant :

« Lorsqu’un mécanisme de surveillance unique, auquel sera associée la BCE, aura été créé pour les banques de la zone euro, le MES pourrait, à la suite d’une décision ordinaire, avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques. Cette possibilité serait soumise à une conditionnalité appropriée, y compris quant au respect des règles relatives aux aides d’État, qui devrait être spécifique à chaque établissement, à chaque secteur ou concerner l’ensemble de l’économie, et qui serait formalisée dans un mémorandum d’accord. »

Il n’est pas besoin d’être un juriste chevronné pour comprendre que ce texte alambiqué n’engage à peu près à rien : il est truffé de verbes aux modes futur et conditionnel, et il subordonne le dispositif futur au respect impératif de règles qui ne sont pas encore connues et qu’il faudrAIT fixer le moment venu…

2– Verrouillage juridique de la prise de décision au sein du MES

Caractéristique insuffisamment relevée par les observateurs, le MES n’est pas une institution de l’UE car le Royaume-Uni et la Tchéquie ont refusé même de le signer. Il a donc été institué par un véritable traité ad hoc, passé entre les pays membres de l’Eurozone, et obéissant à des règles spécifiques.

En particulier, il distingue les décisions majeures et celles qui ne le sont pas :

a)- Les décisions majeures

Elles devront être prises par les organes du ME à l’unanimité. Ces organes de décision du MES seront le Conseil des Gouverneurs, le Conseil d’administration et le Directeur administratif.

En clair, cela signifie que chacun des États aura un droit de veto sur les décisions capitales.

C’est exactement ce qu’ont rappelé récemment les gouvernements finlandais et néerlandais, pour indiquer qu’ils pourraient bloquer le processus de recapitalisation des banques par le MES.

Cependant, certains autre gouvernements, et notamment le gouvernement italien, a nié cette interprétation. Pour cela, ils ont fait remarquer que le texte de l’accord que j’ai cité précédemment a justement le soin de préciser que « le MES pourrait, à la suite d’une décision ORDINAIRE, avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques. »

Dans ces conditions de décision de type “ordinaire” (ce que conteste donc La Haye et Helsinki), c’est un autre régime qui s’appliquerait, celui des décisions non majeures.

Examinons-le.

b)- Les décisions non “majeures”

Le traité créant le MES précise qu’elles pourront être prises par le Conseil des Gouverneurs à la majorité qualifiée. Il n’y a donc plus d’unanimité, c’est exact.

Mais il faut savoir que cette majorité dite “qualifiée” est beaucoup plus forte dans le MES que pour les décisions du Conseil dans le cadre de l’UE ( où elle est seulement de 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’UE).

Dans le MES, la majorité qualifiée a été fixée par le traité à… 80 % des droits de vote des États.

Or le capital du MES est réparti comme suit entre les 17 États de l’eurozone :

– Allemagne : 27,1464 % (On notera au passage le peu de goût des européistes pour les nombres ronds !)
– France 20,3859 %
– Italie 17,9137 %
– Espagne 11,9037 %
– Pays-Bas 5,717 %
– Belgique 3,4771 %
– Grèce 2.8167 %
– Autriche 2,7834 %
– Portugal 2,5092 %
– Finlande 1,7974 %
– Irlande 1,5922 %
– Slovaquie 0,8240 %
– Slovénie 0,4276 %
– Luxembourg 0,2504 %
– Chypre 0,1962 %
– Estonie 0,1860 %
– Malte 0,0731 %

La conclusion s’impose d’elle-même : puisque l’Allemagne et la France ont chacune plus de 20 % du capital, cela signifie que ces deux pays détiennent chacun un droit de veto à eux seuls.

3– Verrouillage managérial de la prise de décision au sein du MES

Enfin, et c’est ce à quoi est parvenu le gouvernement allemand hier, il a été décidé que le futur MES sera dirigé par.. M. Klaus Regling, fonctionnaire allemand.

http://www.romandie.com/news/n/_Zone_euro_l_Allemand_Regling_nomme_a_la_tete_du_fonds_
de_secours_MES_34100720120154.asp

Les auditeurs de mes conférences me rendront cette justice que je leur ai très souvent parlé de M. Regling, cette éminence grise qui a été, pendant de nombreuses années au cours des années 2000, le directeur général des affaires économiques et financières à la Commission de Bruxelles.

Comme je l’ai souvent dit, M. Regling (ici en photo) est l’une des personnes essentielles qui a fixé POUR DE VRAI la politique économique et sociale de la France depuis une dizaine d’années.

Avec les fonctionnaires de sa direction de la Commission européenen, il fut notamment l’auteur des « Recommandations spécifiques à la France » faites par la Commission dans son Rapport COM (2003) du 8 avril 2003 concernant les Grandes orientations des politiques économiques des États-membres (période 2003-2005).

Je rappelle que cette politique fixée à la France en 2003 par M. Regling, consistait notamment dans les points suivants :

– abaisser le déficit public sous la barre de 3 % du PIB en 2004 au plus tard,
– réduire le coût de la main d’œuvre, notamment pour les bas salaires,
– réformer le marché du travail en « simplifiant » la protection de l’emploi et en imposant des schémas d’emploi et de carrière « plus flexibles »,
– réformer complètement notre système de retraite,
– élever l’âge effectif de la retraite,
– enrayer la spirale des dépenses dans le secteur de la santé,
– mettre en concurrence les marchés de l’énergie, notamment gaz et électricité.

On remarquera que ces directives ont bien été la ligne directrice de tous les gouvernements français depuis les 9 ans écoulés.

Et que cela n’est pas prêt de cesser avec M. Hollande à l’Élysée.

Depuis le printemps 2010, M. Regling était devenu le patron du fonds de secours temporaire de la zone euro, le FESF.

Depuis hier, nous savons donc qu’il prendra la tête du futur Mécanisme européen de stabilité (MES)….

Bravo Berlin !

CONCLUSION : DERRIÈRE LA FAÇADE D’ACCORDS-BIDONS, L’ALLEMAGNE VEILLE AU GRAIN, AVEC BEAUCOUP DE PRÉCISION

En résumé, on notera que le gouvernement allemand, et sa diplomatie, sont parvenus à verrouiller entièrement le dispositif du futur MES :

a)- par un verrouillage minutieux des prétendues concessions faites aux innombrables “Sommets-européens-de-la-dernière-chance” : les textes sont savamment écrits pour n’engager à presque rien ;

b)- par un verrouillage juridique implacable du processus de décision au sein du futur MES : qu’elles soient prises à l’unanimité ou à la majorité qualifiée, l’Allemagne y détient un droit de veto (la France aussi d’ailleurs) ;

c)- par un verrouillage managérial, en plaçant la structure sous l’autorité d’un haut fonctionnaire allemand très chevronné et parfaitement en phase avec son propre gouvernement et, au-delà, avec les intérêts nationaux de son propre pays.

Ajoutons à tout cela que la décision du Tribunal de Karlsruhe pourrait fort bien renforcer encore la position des autorités allemandes.

Car, sauf à ce que les juges constitutionnels allemands avalisent sans broncher tout le dispositif, les critiques, les garde-fous ou les restrictions qu’ils lui apporteraient ne pourraient qu’apporter de l’eau au gouvernement allemand.

Mme Merkel aurait en effet beau jeu de se retrancher derrière les injonctions de la plus haute juridiction allemande pour renforcer, encore et encore, le caractère draconien de la surveillance et des réformes qu’exigerait le MES des pays du sud.

Quelles meilleures preuves peut-on trouver du sérieux et de la ténacité des Allemands d’une part, et du bobard que constitue la propagande sur la “solidarité européenne” d’autre part ?

François ASSELINEAU