La remise en cause de la construction européenne s’amplifie au Royaume-Uni

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Alors que la crise de l’euro et de l’Union européenne s’étale désormais au grand jour, c’est désormais au Royaume-Uni que la situation commence à son tour à se déliter.

Le Premier ministre britannique conservateur David Cameron a beau être un parfait atlantiste, complètement sous la coupe des autorités américaines, il n’en est pas moins soumis à la pression croissante des « eurosceptiques » de son propre parti, eux-mêmes inquiets de la popularité grandissante des analyses anti-européennes du UKIP de Nigel Farage.

L’équation se complique par le fait que les partenaires des Conservateurs, les Libéraux-démocrates, sont pro-européens. David Cameron est ainsi tiré à hue et à dia, tout en sachant que Washington mettra évidemment toute la pression pour empêcher le Royaume-Uni de sortir de l’UE.

UN NUMÉRO DE FUNAMBULE DANS LE SUNDAY TELEGRAPH DU DIMANCHE 1er JUILLET 2012

Face à tout ce remue-ménage, le Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté a tenté de rassembler ses propres troupes, en publiant un article de haute voltige, hier 1er juillet, sur le site du Sunday Telegraph.

1°) Le Premier ministre anglais ne veut pas une sortie de l’UE

David Cameron a tout d’abord assuré qu’il ne veut pas que la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne.

Compte tenu des contraintes politiques qui sont les siennes et que je viens de rappeler, il n’y a là rien de très surprenant.

Mais le simple fait que le Premier ministre britannique évoque publiquement cette hypothèse est en soi un événement.

Imagine-t-on en France le Premier ministre français expliquer posément dans un grand média qu’à la différence de certains de ses compatriotes, il ne souhaite pas, lui, que la France sorte de l’UE ?

Preuve de la chape de plomb de nature totalitaire qui s’est abattue sur notre pays, cette simple déclaration, qui serait pourtant si normale et si banale dans n’importe quelle démocratie, est tout simplement impensable chez nous. Car, en France, le principe même de la construction européenne est aussi interdit de contestation que l’était le Dogme de l’Immaculée Conception sous le Second Empire.

La critique de la construction européenne est certes encore autorisée chez nous, dans la mesure où elle reste à l’état de “coup de gueule” superficiel et qu’elle ne soit assortie d’aucune solution crédible.

Mais toute contestation précise et technique de ses origines historiques, de son bien-fondé, de ses objectifs et de sa finalité, constitue un sacrilège aux yeux de l’oligarchie qui verrouille nos médias et notre scène politique. L’idée même que l’on puisse sortir de l’UE a été ainsi diabolisée en France, par un matraquage médiatique effréné depuis trois décennies.

On remarquera donc au passage :

– à quel point la parole est plus libre outre-Manche que chez nous (ce n’est pas nouveau, c’est une constante historique depuis 8 siècles !) ;

– à quel point l’idée même de sortir de l’UE y a progressé ;

– à quel point la différence est saisissante avec la France, où les analyses et les propositions de l’UPR sont purement et simplement interdites dans tous les grands médias et dans tous les débats.

2°) Le Premier ministre anglais dresse néanmoins un bilan accablant de l’UE

Bien qu’il ait assuré qu’il ne voulait pas faire sortir le Royaume -Uni de l’UE, M. Cameron ne s’en livre pas moins ensuite à un véritable réquisitoire contre l’ensemble de la machinerie européenne.

Après avoir affirmé que « Quitter l’UE ne serait pas dans l’intérêt de notre pays » (pourquoi d’ailleurs ?), il lance un premier pavé dans la mare : « Mais le fait est que les Britanniques ne sont pas satisfaits de ce qu’ils ont, et moi non plus. »

Prenant alors le contrepied exact de la rhétorique européiste habituelle, qui assure que tous nos maux viendraient d’une insuffisance d’Europe, le Premier ministre britannique se récrie :

« Il n’y a pas trop peu d’Europe, au contraire, il y en a trop. Trop de coût, trop de bureaucratie, trop d’ingérence dans des sujets qui relèvent des États, de la société civile et des personnes. »

Et il poursuit sa philippique :

« Des pans entiers de la législation (européenne) concernant le social, le temps de travail et les affaires intérieures devraient à mon avis être mis au rebut ».

M. Cameron verse ainsi dans la schizophrénie habituelle des dirigeants européistes :

– d’une part il est contraint par Washington et les forces euro-atlantistes de se proclamer « pour l’Europe »,

– mais d’autre part il est contraint, par la réalité et par la colère qui gronde chez ses électeurs, de prendre ses distances d’avec cette construction ubuesque qui prend l’eau de toute part et qui n’a provoqué que des désastres dans tous les champs de l’activité humaine dont elle s’est emparée.

3°) M. Cameron sait qu’il ne peut pas enfumer les Britanniques en leur proposant une « Autre Europe »

On notera aussi que les critiques incendiaires que formule le Premier ministre britannique visent en réalité directement le traité de Maastricht et tous les traités européens ultérieurs.

Pour tenter de résoudre cette schizophrénie, habituelle chez tous les européistes, M. Cameron ne propose pas le bobard habituel de tous les pseudo-opposants de ce côté-ci de la Manche. Chez nous, les prétendus opposants se prononcent tous pour une « Autre Europe », en tablant sur le goût des Français pour les belles phrases et les grands programmes, fussent-ils inapplicables, afin de mieux enfumer nos concitoyens.

Le Premier ministre Cameron ne se hasarde donc pas à proposer à nos voisins d’outre-Manche une « Autre Europe », à la sauce anglaise, car il sait bien que ses électeurs ne s’en laisseraient pas conter. Sachant que l’on ne peut pas décider pour autrui et que tout projet d’Autre Europe est une mystification, ils repèreraient aussitôt, eux, la supercherie.

C’est pourquoi le Premier ministre, en bon Britannique qu’il est, se veut éminemment pragmatique et concret : il se déclare favorable, non pas à une énième réforme impossible de l’Union européenne, mais à la tenue d’un referendum en vue de renégocier les liens de la Grande-Bretagne avec l’Union européenne.

« Pour moi, les deux termes ‘Europe’ et ‘referendum’ peuvent aller ensemble » écrit-il ainsi sur le site du Sunday Telegraph. « Ce que je souhaite, et ce que, je le pense, la grande majorité des Britanniques souhaitent, ce sont des modifications dans notre relation avec l’Union européenne ».

4°) M. Cameron envisage un référendum pour que le Royaume-Uni ne reste que dans ce qui l’arrange dans l’UE

En d’autres termes, le Premier ministre conservateur, qui a déjà prévenu que Londres ne s’associerait pas aux mesures destinées à renforcer l’intégration de l’UE pour tenter de résoudre la crise de l’euro (il n’est pas fou…) , envisage maintenant de proposer aux Britanniques un référendum pour adopter « une position différente, plus souple et moins pesante pour la Grande-Bretagne au sein de l’UE ».

De fait, la Grande-Bretagne, qui a déjà refusé d’adopter l’euro, qui a refusé d’entrer dans l’Espace Schengen, et qui a refusé plus récemment encore de signer le Pacte budgétaire (TSCG), envisage donc de prendre de plus en plus ses distances d’avec le Titanic européen, en ayant recours à un référendum pour cela.

Le Premier ministre britannique joue ainsi sur du velours : selon un sondage publié le 11 juin dernier par le journal The Times, 81% des Britanniques pensent qu’un référendum pour redéfinir les liens entre leur pays et l’UE devrait être organisé dans les prochaines années, et la moitié des sondés veulent même que cette consultation ait lieu dès maintenant.

Le gouvernement britannique n’envisage donc pas encore le divorce d’avec l’Union européenne, car le divorce est interdit par les autorités suprêmes de la Sainte Église européiste, dont le Vatican est à Washington.

Mais Londres, après avoir commencé à faire chambre à part, envisage désormais de quitter le domicile conjugal.

CONCLUSION : LES LIMITES DU NUMÉRO DE FUNAMBULE

Reste à savoir ce que diront les 26 conjoints !

Car, dans son article à sensation fait pour flatter ses électeurs, M. Cameron passe carrément sous silence la question fondamentale : pour que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, tout en se soustrayant à un nombre de plus en plus important de contraintes, il faut absolument renégocier les traités européens pour qu’ils prévoient semblable clause. Le gouvernement britannique n’en a tout simplement pas le pouvoir par lui-même.

Or l’on peut douter sérieusement que les 26 autres États membres acceptent de remodifier une énième fois les traités, pour satisfaire cette fois-ci les volontés d’indépendance de Londres.

D’une part, une telle réouverture d’un débat sur les traités provoquerait un déballage de toutes les rancœurs, et cela en pleine crise. Mais, d’autre part, beaucoup d’autres États voudraient obtenir, eux aussi, des dérogations, pour rester dans une Europe dont ils ne prendraient que ce qui les arrange. Pourquoi se gêneraient-ils ?

Au bout du compte, c’est l’ensemble de l’édifice européen qui s’effondrerait à coup sûr.

En d’autres termes, nous pouvons souhaiter bien du plaisir à M. Cameron, s’il entend réellement mettre en œuvre son idée de référendum (ce qui n’est pas certain, loin de là).

Car les faits et les contraintes politico-juridiques de l’usine à gaz européenne sont tels qu’il n’y a pas d’autre alternative que celle que décrit l’UPR depuis sa création :

– soit l’on reste dans l’UE, telle qu’elle avance, de compromis bancals en oxymores absurdes, jusqu’au désastre final, sous l’effet des contraintes contradictoires de ses 27 États-membres,

– soit l’on en sort, par l’application de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, comme le propose l’UPR.

François ASSELINEAU