L’Espagne s’enfonce dans la crise sociale

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LES SYNDICATS ORGANISENT DES MANIFESTATIONS DANS 80 VILLES DU PAYS ET UNE MARÉE HUMAINE À MADRID CONTRE LE “HOLD-UP” DU GOUVERNEMENT RAJOY…. MAIS NE REMETTENT EN CAUSE NI L’EURO NI L’OLIGARCHIE EURO-ATLANTISTE !

Ce 19 juillet au soir, une énorme marée humaine a envahi le centre de Madrid lors d’une manifestation contre le nouveau plan de rigueur annoncé la veille par le gouvernement Rajoy.

Les syndicats avaient en effet appelé à manifester dans la capitale, ainsi que dans 80 villes d’Espagne sous le mot d’ordre :

« Ils veulent ruiner le pays. Il faut l’empêcher. »

La foule, noyée dans une forêt de drapeaux multicolores, a envahi les grandes avenues de la capitale espagnole, se déplaçant très lentement, et hurlant : « Mains en l’air, c’est un hold-up ! »

Les pancartes proclamaient : « Si tu veux gagner, lutte sans relâche », « Rajoy nous vole », « Je veux un Noël », ou bien portaient le seul mot « NO », illustré d’une paire de ciseaux, symbole des nouvelles coupes budgétaires effarantes qui ont déclenché la colère de tout le pays.

[ http://www.romandie.com/news/n/_Manifestation_contre_la_rigueur_une_enorme_maree
_humaine_a_Madrid96190720122133.asp
? ]

UN PLAN DE RIGUEUR QUI VA AGGRAVER LA SITUATION AU LIEU DE LA RÉSOUDRE

Ces manifestations monstres sont destinées à combattre le nouveau plan de rigueur extraordinaire du gouvernement espagnol, de 65 milliards d’euros, annoncé mercredi par le chef du gouvernement Mariano Rajoy.

Parmi les mesures les plus critiquées par la population, figurent :

a)- l’augmentation de la TVA normale, comme l’exigeait l’UE, qui passe de 18% à 21%,

b)- l’augmentation de la TVA réduite – concernant notamment les produits les plus courants, la restauration et le tourisme – qui passe de 8% à 10%,

c)- la réduction des prestations chômage,

d)- et la suppression de la prime de Noël, cette année, pour les fonctionnaires.

Ce train de mesures a été vivement critiqué également par de nombreux économistes, qui soulignent :

1)- qu’elles s’attaquent aux secteurs les plus fragiles et les plus pauvres de la population (chômeurs, produits de première nécessité, primes de Noël…)

2)- qu’elles “oublient” en revanche de taxer les Sicav, les revenus du capital et les grandes fortunes….

3)- et enfin, comble du comble, qu’elles risquent d’avoir le contraire de l’objectif recherché (la diminution des déficits) puisque leur effet le plus immédiat va être de plonger l’Espagne dans une récession encore plus sévère.

Les experts anticipent désormais que cette récession, déjà prévue pour 2013, devrait désormais s’étendre au moins jusqu’en 2014.

[cf. notamment http://www.20minutes.fr/economie/970413-espagne-severe-plan-rigueur-devrait-aggraver-recession]

L’OPPOSITION ET LES SYNDICATS, QUI LIMITENT COMME EN FRANCE LEURS CRITIQUES AU SEUL GOUVERNEMENT ESPAGNOL SONT EN RÉALITÉ COMPLICES DE LA SITUATION.

Il serait illusoire, me semble-t-il, de faire dire à ces manifestations plus qu’elles ne disent. Car si l’on examine bien les revendications et les slogans, on comprend que la plus grande partie du peuple espagnol est autant manipulée par la prétendue opposition et par les syndicats que l’est le peuple français par les leurs.

L’opposition “socialiste”, qui était au pouvoir jusqu’en décembre dernier, et les syndicats lancent en effet les slogans virulents qui sont repris par la foule.

Mais ces slogans et ces attaques ne sont virulents qu’en apparence : ils prennent toujours un très grand soin à limiter strictement les critiques aux seuls fantoches qui dirigent l’Espagne pour le compte de l’oligarchie euro-atlantiste. Ils ne n’en prennent jamais ni à celle-ci, ni à l’euro, ni à la construction européenne.

Ainsi, tout observateur avisé comprend aisément que faire hurler par la foule des slogans comme « Si tu veux gagner, lutte sans relâche », « Rajoy nous vole », « Je veux un Noël », ou « NO », sont au fond des slogans gentillets et d’aucune portée structurelle. Cela n’a rien à voir avec les slogans bien plus pertinents que seraient : « Sortons de l’euro », « Ne remboursons pas les dettes odieuses », ou « Sortons de l’UE »

En agissant de la sorte, les syndicats espagnols agissent exactement comme les syndicats français en 2010, lorsque ceux-ci ont fait manifester nos compatriotes pendant des mois contre la réforme des retraites. Rappelons-nous en effet que nos syndicats ont pris un soin vigilant d’attribuer la paternité de cette réforme contestée aux seuls Sarkozy, Fillon et Woerth, en cachant systématiquement que la décision réelle émanait de la Commission européenne, qui exigeait cette réforme depuis plusieurs années.

De la même façon, en ce mois de juillet 2012, les syndicats espagnols réussissent ce tour de force, grâce à la complicité active des médias, à faire porter à Mariano Rajoy et à son gouvernement “de droite” le chapeau des mesures de carnage social, alors que c’est un secret de Polichinelle que de savoir qu’elles sont en réalité exigées par Bruxelles, Washington, Francfort et Wall street.

D’ailleurs, aucun responsable politique et aucun responsable syndical ayant accès aux médias ne s’avise d’expliquer aux Espagnols que les mêmes mesures ont été appliquées par le gouvernement “de gauche” en Grèce.

Aucun ne leur explique non plus qu’il serait peut-être temps de débattre du maintien de l’Espagne dans l’euro et dans l’UE, de même qu’aucun ne leur parle de l’article 50 du TUE.

Et pourquoi cela ? Parce que, comme en France, les principaux syndicats espagnols sont membres de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), elle-même financée par… la Commission européenne.

Tel est le cas :

– de la CC.OO CC.OO. Confédération syndicale des commissions de travailleurs (Confederación Sindical de Comisiones Obreras),

– de l’Union des Travailleurs Basques (STV-ELA (Solidaridad de Trabajadores Vascos Eusko Langileen Alkartasuna)

– de l’UGT-E Confédération générale des travailleurs – Espagne (Union General de Trabajadores)

– et de l’USO Union syndicale ouvrière- Espagne (Union Sindical Obrera)

En tant que membres de la CES, financées par la Commission européenne, tous ces syndicats touchent donc des subsides de la CES et se sont engagés, en échange de leur participation, à … soutenir les prétendues « réformes indispensables », notamment celles réclamées par l’Agenda Europe 2020.

Autant dire que, comme leurs homologues français, les syndicats espagnols savent précisément sur quels thèmes anodins ils peuvent faire manifester leurs adhérents, et à partir de quel moment ils doivent cesser toute critique.

CONCLUSION : LE JEU AVEC LE FEU DES EUROPÉISTES

Comme en France, les prétendus opposants “de gauche” et les syndicats, loin de défendre honnêtement les intérêts des classes populaires, n’exercent ce rôle que de façon factice, en ayant admis par principe que, quoi qu’il arrive, il ne fallait de toute façon jamais remettre en cause le dogme européiste.

Comme en France, ils organisent donc des manifestations à grand spectacle pour canaliser la colère populaire, la focaliser sur la critique des lampistes que sont devenus les élus nationaux, et la détourner systématiquement des véritables responsables.

Tout cela pour le plus grand profit de qui ? Des élites euro-atlantistes qui peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

Seulement voilà : le rôle de paratonnerre dévolu par le système euro-atlantiste aux oppositions de complaisance et aux syndicats membres de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) va-t-il toujours continuer à marcher ? La duperie a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?

Ce n’est pas sûr.

Car, en Espagne comme en Grèce, alors que les manifestations se succèdent depuis plusieurs mois, la tension ne fait que s’accroître.

Preuve en est que les dernières manifestations de mineurs, à Léon et Bembibre, ont tourné à l’affrontement violent avec les forces de police. Celles-ci emploient désormais des balles en caoutchouc d’un calibre 762 mm cm x 51 mm (norme OTAN).

( Je renvoie à un article où figure une photo de ces balles, ramassées par les manifestants : http://lecridupeuple.com/- il faut descendre la page pour avoir l’article en français).

Il devient donc légitime de s’interroger avec inquiétude sur ce que réserve l’avenir. Car l’histoire enseigne que, si les peuples peuvent se laisser duper un peu, beaucoup, énormément ou à la folie, il existe toujours un risque qu’ils basculent dans les mouvements incontrôlables. Ce risque se concrétise si ils constatent concrètement l’effondrement de leurs conditions de vie et s’ils perdent tout espoir dans toute autre solution que dans la violence.

En sommes-nous si loin ?

À force de trop tirer sur la corde de la manipulation, les européistes devraient faire attention qu’il pourrait arriver un jour que cette corde finisse par casser et leur revenir comme un boomerang.

François ASSELINEAU