Entretien avec François Asselineau, candidat à l’élection présidentielle de 2012

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Entretien donné par François Asselineau à Agents d’Entretiens, un jeune site web d’interviews en ligne.

Asselineau, candidat UPR élection présidentielle de 2012

Derrières des discours bien policés, huilés, rédigés, relus, corrigés par leurs équipes de campagne, les principaux candidats à l’élection présidentielle y vont de leurs petites anicroches, tentent de s’opposer sur des détails tout en promettant à leurs chers concitoyens des jours meilleurs. « Il y aura du travail pour tous, j’emprisonnerai à la Bastille les méchants financiers qui nous plongent dans le crise, vous pourrez enfin aller au restaurant en famille et partir à Palavas les flots… » Derrière des promesses auxquelles quelques utopistes se forcent encore à croire, galvanisés par des meetings cautionnés par divers people et happy few, on cherche, sans trop y croire, une réelle mesure capable de nous laisser entrevoir des jours meilleurs, au détour de programmes luxuriants sur la forme et vides sur le fond. De toute cette parade nuptiale quinquennale destinée à séduire des électeurs qui fuient leur devoir de citoyen, une seule question demeure. Le chef de l’état a t-il encore le pouvoir d’agir dans son appartement hexagonal au cœur de cet immeuble à 27 ? Selon François Asselineau, candidat UPR à l’élection présidentielle, la réponse est clairement non ! Sortir de l’Union européenne, de l’euro, de l’OTAN, voilà ce que prône inlassablement cet homme, dont l’expérience au cœur des rouages de l’État a ouvert les yeux sur le fait que, la politique, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les grands partis, ne répond plus du tout aux attentes des Français. Rencontre !

Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consistent les spécificités de votre programme par rapport à celui des autres candidats ?

L’Union Populaire Républicaine (UPR) que j’ai créée il y a bientôt cinq ans se fixe pour objectif de rassembler tous les Français, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses et leurs origines ethniques ou sociales, pour faire sortir la France de l’Union européenne, de l’euro, ainsi que de l’OTAN, qui n’est que la face militaire, agressive et néo-coloniale, de l’UE.

Les trois spécificités de mon programme résident dans ce que j’appellerai une « triple clarté » :

Tout d’abord la clarté du diagnostic. Toutes preuves historiques à l’appui, je démontre à mes concitoyens que la « construction européenne » n’a pas du tout été inventée par la France et l’Allemagne comme on nous l’enseigne, mais par les États-Unis d’Amérique à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Robert Schuman et Konrad Adenauer n’ont été que les exécutants de ce stratagème ingénieux, conçu par Washington en pleine Guerre froide. Jean Monnet en était l’agent traitant. Sous couvert « d’assurer la paix », la construction « européenne » est une Tour de Babel délibérément ingérable, tirée à hue et à dia par des intérêts nationaux divergents. Ce système autobloquant est justement ce qui permet aux dirigeants américains de domestiquer l’ensemble du continent européen à leur profit, car ils sont les seuls à avoir la puissance et l’influence suffisantes pour fixer les orientations stratégiques de cet attelage absurde.

Toutes preuves juridiques à l’appui, je démontre aussi qu’aucun changement réel ne peut plus avoir lieu en France dans le cadre de notre appartenance à l’UE. Car tous les grands choix politiques sont désormais fixés par les traités européens ou décidés par une oligarchie euro-atlantiste non élue, sans que les électeurs n’en aient conscience. J’explique donc aux Français, article par article, pourquoi tout ce que leur promettent les autres candidats est impossible au regard des traités européens.

Ensuite la clarté absolue de notre objectif : nous sommes convaincus que la situation est extrêmement grave puisque ce qui est en cause désormais est rien moins que la survie de la liberté, de la démocratie, du niveau de vie, du patrimoine et du rayonnement universel de la France. C’est la raison pour laquelle nous voulons sortir de l’Union européenne, de l’euro et de l’OTAN. Ce n’est pas du tout parce que nous serions des nostalgiques, des xénophobes ou des va-t-en-guerre, comme le serine la propagande, c’est précisément pour le contraire ! C’est parce que nous voulons la démocratie, l’ouverture sur le monde et la paix.

Enfin la clarté de nos solutions. À la différence de ce qu’osent faire tous les autres candidats, je me refuse à lancer des propositions en sachant qu’elles sont inapplicables dans le cadre des traités européens. Je ne propose pas davantage une « Autre Europe », dont tout le monde sait bien qu’elle ne verra jamais le jour puisqu’il faudrait l’accord unanime des 26 autres États membres qui défendent chacun des intérêts divergents des nôtres. Non, je propose que nous nous réunissions, tous ensemble et provisoirement, pour faire sortir la France de cette prison des peuples qu’est l’UE, et cela de façon parfaitement juridique et sereine. J’explique que l’article 50 du traité sur l’Union européenne explique justement comment sortir de l’UE. Pour assurer à ce rassemblement la plus grande légitimité possible, mon programme présidentiel a par ailleurs soin de reprendre, presque mot pour mot dans certains cas, le programme du Conseil National de la Résistance de 1944. Il propose donc des réformes de nature constitutionnelle, économique et sociale très importantes, afin de combattre, comme à la Libération, les grandes féodalités économiques et financières qui ont volé aux Français leur liberté et leur souveraineté.

Vous êtes donc souverainiste ?

Absolument pas. L’UPR récuse de façon formelle ce terme de « souverainiste » pour trois raisons :

D’abord parce que la terminaison en « —isme » ou « —iste » a généralement une connotation péjorative en français. Dans le meilleur des cas, ce suffixe désigne une idéologie (le « communisme », le « libéralisme », le « fascisme »). Mais il sert souvent aussi à désigner de façon narquoise une coterie (le « mitterrandisme », le « chiraquisme », le « sarkozysme ») et, plus généralement, à déprécier ou à ridiculiser une idée (le « gauchisme », le « droit-de-l’hommisme », le « nombrilisme », etc. ). C’est pourquoi il est à mon sens très pernicieux de parler de « souverainisme ». Cela revient à relativiser, à folkloriser, ce qui est pourtant l’un des plus grands droits de l’Homme, à savoir son droit inaliénable à se constituer en peuple souverain. L’adjectif « souverainiste » me paraît aussi intolérable, aussi odieux, que le serait l’adjectif « libertiste » dont on affublerait un mouvement politique réclamant la liberté dans un pays soumis au joug d’une dictature.

Ensuite, parce que les « souverainistes » français cultivent l’ambiguïté sur leurs analyses et leurs objectifs. Tout se passe comme s’ils avaient eux-mêmes admis en leur for intérieur que leur combat est folklorique et perdu d’avance. Ainsi, ils n’expliquent jamais le rôle décisif qu’ont joué les États-Unis dans la prétendue « construction européenne ». Ils n’en dévoilent jamais le soubassement racialiste et néo-colonial. Ils n’expliquent jamais que l’Europe ne peut pas être autrement qu’elle n’est, car elle résulte de 27 intérêts nationaux antagonistes sur à peu près tous les sujets. Pire encore, ils ne proposent jamais aux Français de sortir de cette construction. De façon très concrète, l’action des « souverainistes » a ainsi pour effet de permettre au processus de se poursuivre sous leurs critiques inoffensives. Ce sont donc des alliés objectifs de ce qu’ils dénoncent. Ils captent le mécontentement du peuple français et le neutralisent dans des débats théoriques et dans des propositions franco-françaises d’« Autre Europe » qui n’intéressent personne en dehors de nos frontières.

Enfin, dans l’esprit du grand public, les partis « souverainistes » sont forcément des partis de droite, voire d’extrême droite. C’est donc une ultime raison pour rejeter ce qualificatif puisque l’UPR est un mouvement qui se situe résolument en dehors de ce clivage, et qui compte d’ailleurs en son sein une légère majorité d’adhérents venus de gauche. J’invite ceux qui ont un doute à ce sujet à lire ou visionner mon programme présidentiel et à se demander en leur âme et conscience quel est le positionnement politique de ce programme. http://www.upr.fr/presidentielles-2012/programme-politique

Comment vous qualifiez-vous alors, si vous refusez le terme de « souverainiste » ?

Relisez l’histoire du xxe siècle, notamment celle des décolonisations. Nous voulons obtenir notre indépendance de l’empire colonial qui nous a dominés, au moyen de la prétendue « construction européenne ». Je n’exagère nullement : de Gaulle lui-même avait confié à Peyrefitte qu’il voulait faire un référendum sur l’indépendance de la France ! Nous sommes donc, exactement, dans la position d’un peuple colonisé et l’UPR se qualifie à juste titre de « mouvement de libération nationale. »

Ne pensez-vous pas qu’il eût été préférable de faire connaître vos idées dans un parti déjà existant, quitte à en devenir dissident, afin de faire entendre votre voix et surtout vos idées, plutôt que de fonder vous-même l’UPR à qui les médias donnent peu la parole ?

Il est vrai que, pour l’instant encore, je n’ai aucune visibilité dans les grands médias nationaux. Je n’ai jamais été interrogé sur une seule télévision, une seule radio, un seul journal ou un seul magazine d’ampleur nationale. L’UPR ne se développe donc que grâce à Internet, et d’ailleurs très rapidement, ce qui n’est pas une mince réussite. Vos lecteurs devraient se demander pourquoi nous ne passons pas dans les grands médias : il est probable que mes analyses et mes propositions ne plaisent guère aux intérêts qui possèdent ces médias de masse. Ce qui contribue d’ailleurs à valider ces analyses !

Comme vous le suggérez, on peut en effet se demander s’il n’aurait pas été plus machiavélique d’intégrer un parti politique ayant déjà pignon sur rue, pour ensuite aller au clash et en devenir un opposant médiatisé. Mais, outre que cette façon sournoise d’agir n’est conforme ni à mon caractère, ni à mon éthique personnelle, je pense qu’elle eût été, de toute façon, vouée à l’échec.

Je sais bien que certains politiciens assurent qu’il vaut mieux adhérer à un parti politique connu même si l’on n’est pas d’accord avec son programme, et cela pour « le faire évoluer de l’intérieur », comme ils disent. Mais l’expérience personnelle que j’ai pu avoir m’a prouvé le contraire. Lorsque j’ai adhéré au RPF en 1999 — parce que j’avais cru naïvement qu’il s’agissait d’un authentique rassemblement gaulliste —, j’ai vite compris que je ne pouvais rien changer sur le fond, qui n’avait en fait rien de vraiment libérateur. Il ne suffit pas de brandir un drapeau bleu-blanc-rouge et de citer de Gaulle pour être quitte de développer des analyses allant au fond des choses et des propositions conséquentes.

Les responsables qui affirment que l’on peut influer sur la ligne d’un parti si l’on est « à l’intérieur » ne le disent généralement que pour justifier leur propre décision d’être allés à la soupe sans contrepartie. Pour qu’on ne les accuse pas de trahir leurs convictions ou leurs électeurs, ils laissent entendre qu’ils sont suprêmement habiles et que l’on va voir ce que l’on va voir… En réalité, on ne voit jamais rien. Ils n’influent sur rien du tout mais ils sont bien au chaud. La ligne politique souterraine reste solidement fixée par les dirigeants du mouvement et les forces économiques et médiatiques qui le soutiennent, et il est vain de croire que l’on va pouvoir les faire changer substantiellement.

Du reste, les grands partis politiques n’ont pratiquement plus de vrais militants. Ils se sont transformés en « syndicats de placement ». Leur seul vrai rôle, c’est de fournir des mandats électifs rémunérés à leurs cadres. Les analyses et les programmes sont le cadet de leurs soucis. Leurs dirigeants se complaisent d’ailleurs dans des déclarations politiques floues et incohérentes, et ils s’accommodent à merveille d’avoir des « lieutenants » qui font mine de s’opposer frontalement entre eux. Ceux qui sont aux commandes jugent même cela très utile politiquement, pour « ratisser large » dans l’électorat. Ils savent aussi que ça n’a aucune importance car l’essentiel est ailleurs.

Quel est donc cet essentiel ?

L’essentiel réside dans le fait qu’un parti, quelle que soit sa place sur la scène politique et quelles que soient ses analyses et ses propositions, ne doit jamais, au grand jamais, dévoiler ce qui se cache derrière la « construction européenne », ni remettre en cause l’appartenance de la France à ce projet politique, ni en contester le bien fondé. Dans la société française actuelle, on a bien sûr le droit de critiquer la construction européenne et d’ailleurs tous les partis le font. Mais on n’a pas le droit de vouloir en sortir, sous peine d’excommunication professionnelle et médiatique. Cette loi non écrite, c’est ce que j’appelle le « mur invisible de la politique française ».

J’insiste sur le fait que ce « mur invisible » n’est pas seulement respecté par l’UMP, le PS, le MoDem et EELV. Il l’est tout autant, mais d’une façon plus pernicieuse, par tous les partis eurocritiques ou « souverainistes », je le rappelais à l’instant.

Ainsi, Mmes Le Pen (FN) et Arthaud (LO), tout comme MM. Mélenchon (FG), Dupont-Aignan (DLR) ou Poutou (NPA), vocifèrent tous contre l’Union européenne. Ils prennent tous des poses de matamores. Ils promettent tous de « désobéir » aux contraintes européennes. Ils se font tous fort de prendre des décisions en pleine souveraineté. Mais la seule chose à laquelle ils se refusent, c’est de proposer aux Français ce qui est pourtant le préalable indispensable à toutes leurs belles promesses : sortir de l’Union européenne et dénoncer les traités européens dans les formes juridiques de l’article 50 du traité sur l’Union européenne prévues à cet effet. Pourquoi s’y refusent-ils tous ?

N’est-il pas étrange qu’ils refusent avec horreur la seule possibilité prévue par les traités de mettre en œuvre, pour de bon, ce qu’ils proposent aux électeurs ?

Dès lors, leurs programmes électoraux sont comparables aux rodomontades de Don Quichotte : ils sont fondés sur du vent et sont inapplicables. Si ces dirigeants essayaient de les appliquer pour de bon, la France serait aussitôt traînée devant la Cour de Justice de l’UE par nos partenaires et aussitôt contrainte de respecter les traités que ces dirigeants refusent de dénoncer. C’est le nœud gordien ; tout le reste est littérature et manipulation.

Inspecteur général des finances, membre de cabinets ministériels, directeur de cabinet du président du Conseil général des Hauts de Seine Charles Pasqua, Conseiller de Paris et Délégué général à l’intelligence économique à Bercy de 2004 à 2006. Est-ce votre expérience au cœur des rouages de l’État qui vous a ouvert les yeux sur le fait que, la politique, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les grands partis, ne répondait plus du tout aux attentes des Français ?

Oui. Je n’ai pas la science infuse et je ne suis pas né dans une famille de militants politiques. La première fois que j’ai pu voter, j’avais 21 ans et c’était pour les élections européennes de 1979. J’ai voté pour la liste UDF de Simone Veil. Pourquoi ? Parce que j’étais comme la majorité des gens : je ne m’intéressais à la politique que de loin et je pensais que l’Europe était une idée formidable, d’origine française, destinée à assurer la paix. Je le croyais sincèrement puisque c’est ce que l’on m’avait appris. C’est vous dire le chemin qu’il m’a fallu parcourir pour comprendre que c’était faux !

Les Français doivent réaliser que, contrairement à une idée reçue, les ministres sont très conscients de ce que pense la population. La plupart des membres du gouvernement sont maires, ou députés, ou sénateurs d’une circonscription. Lorsqu’ils rencontrent leurs électeurs, ils sont submergés par les récriminations et par les problèmes des gens dans leur quotidien. Actuellement par exemple, nos dirigeants sont parfaitement au courant que l’atmosphère est détestable, que la colère gronde et que les problèmes s’accumulent.

Alors, d’où vient que rien ne change vraiment ? Eh bien du fait que nos dirigeants ont la conviction qu’ils ne peuvent raisonnablement rien faire de mieux ni d’autre que ce qu’ils font.

C’est en travaillant dans la haute administration puis dans les cabinets ministériels que j’ai pris conscience de cette impuissance à penser tout changement sérieux. En remontant la hiérarchie, depuis l’adjoint du chef de bureau jusqu’au ministre, chacun comprend vite que l’on risque d’être pénalisé, voire puni, si l’on a la parole trop libre, si l’on expose des idées et des raisonnements qui contredisent les grandes orientations politiques du pays, et tout spécialement la pensée unique euro-atlantiste. Même s’ils n’en pensent parfois pas moins, les hauts fonctionnaires ont donc intégré dans leurs calculs de carrière la nécessité absolue de s’afficher comme étant des « européens convaincus ». Ils doivent réciter leur leçon : ils savent par exemple qu’il est de bon ton de se montrer soucieux de protéger « cette grande réussite qu’est l’euro », tout comme il sied d’affirmer que la disparition de pans entiers de notre industrie est « certes regrettable mais inéluctable ».

Pour se plier à ce discours ambiant martelé par les médias, et pour complaire à ce qu’ils supposent être l’attente de leurs ministres de tutelle, les hauts fonctionnaires édulcorent ainsi les problèmes proliférants créés par la construction européenne. Ils ne s’attardent jamais sur ce qui contrarie le dogme européiste, et ils écartent avec indifférence toute idée d’intérêt national, comme s’il s’agissait d’une ringardise. Quant aux ministres, qui savent que les hauts fonctionnaires qu’ils ont sous leurs ordres sont plus compétents qu’eux sur les sujets techniques, cette attitude complaisante de leur administration les rassure. Par effet mimétique, ils y trouvent matière à se sentir confortés dans le bien fondé de la politique menée et à refuser de regarder en face les problèmes posés par l’Europe.

Ce cercle vicieux mène, de proche en proche, à l’auto-intoxication de toutes les élites dirigeantes de notre pays sur le degré de gravité de la situation. C’est une illustration de cette formule de l’essayiste américain Walter Lippmann, grand spécialiste de la manipulation de l’opinion et par ailleurs grand ami de Jean Monnet : « quand tout le monde pense la même chose, c’est que plus personne ne pense ». C’est très comparable à ce que de Gaulle appelait « l’esprit d’abandon » qui avait envahi l’esprit public à la fin des années 30 et dont il a laissé une description saisissante dans les chapitres 1 (La pente) et 2 (La chute) de ses Mémoires de guerre. Un livre que tout le monde devrait relire.

Les dirigeants français laissent donc prendre, en parfaite connaissance de cause, des décisions fondamentalement contraires à l’intérêt du peuple français, et cela parce que la « construction européenne » est, paraît-il, notre avenir. Dans tous les cercles dirigeants, dans toute la haute administration, dans tous les grands partis politiques, dans tous les médias, on ânonne la même leçon sans aucune prise de distance : le libre-échange c’est Bien, défendre nos intérêts nationaux c’est Mal, élargir continuellement l’Europe c’est Bien, critiquer les États-Unis c’est Mal, etc.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Bien sûr. L’un des plus graves et des plus emblématiques est celui des négociations commerciales multilatérales. On appelle ainsi les négociations où se décident les droits de douane pour protéger ou ne pas protéger tel ou tel secteur de l’agriculture, de l’industrie ou des services.

Ces négociations ont lieu depuis 1994 au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et ont un impact parfois vital sur l’emploi dans certaines de nos régions. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’elles ne sont pas conduites par des Français mais par un Commissaire européen – très généralement non Français d’ailleurs – qui est censé défendre les intérêts commerciaux, non pas de la France, mais… de l’Europe à 27 !

Voilà qui est très beau en théorie, mais qui ne veut rien dire en pratique. Car les « intérêts de l’Europe », cela signifie quoi ? Imaginez que vous soyez 27 habitants dans un immeuble et que le syndic ait soudain la lubie d’exiger que tous les copropriétaires partent en vacances au même endroit au nom des « intérêts de l’immeuble ». Eh bien, il n’arrivera jamais à mettre tout le monde d’accord. Il finira par trancher, de façon dictatoriale, que « l’intérêt de l’immeuble » est de passer ses congés à la campagne parce que ce sera le moyen terme entre ceux qui voulaient faire du ski de haute montagne et ceux qui rêvaient d’un séjour balnéaire. Bien entendu, tout le monde sera mécontent. Sauf l’hôtelier à la campagne.

Le fonctionnement européen est le même. Par postulat de départ, il force des États à nuire à leurs intérêts nationaux essentiels, afin d’aller vers les « lendemains qui chantent » d’une entité européenne censée convenir à leurs intérêts supérieurs à tous.

Mais les 62 ans de mise en œuvre de cette idée depuis 1950 révèlent que c’est une idée fausse, impraticable et souvent autodestructrice. Un exemple de ce phénomène d’autodestruction consentie est la levée des quotas sur les textiles venant de Chine. Cette décision a été prise par un Commissaire européen au nom du fantasme des intérêts supérieurs de l’UE en devenir… Très concrètement, cela a mis à mort la production textile française, a fait flamber le chômage dans les Vosges et dans le Nord de la France, a plongé dans la détresse des dizaines de milliers de familles françaises. Et tout cela en contrepartie de quoi ? De rien, du moins pour la France.

Votre tableau est effrayant. N’y a-t-il quand même pas une volonté calculée derrière tout cela ?

Qu’il y ait une volonté politique, économique ou financière derrière ce genre de décisions, je n’en disconviens pas. Mais elle n’est pas le fait des Français ni de leurs représentants !

Plus j’ai grimpé dans l’administration et plus je me suis posé cette question cruciale : « Qui, en France, décide de la stratégie de notre pays ? » Eh bien, la réponse est à peine croyable mais elle est exacte : en fait, plus personne ! Le dernier chef d’État en date à avoir vraiment réfléchi à la stratégie de la France et à l’avoir mise en œuvre fut Charles de Gaulle. Depuis belle lurette, la destinée du peuple français n’est plus gérée ni par le Chef de l’État, ni par le gouvernement ni par les parlementaires, mais par une oligarchie euro-atlantiste, financière et industrielle, qui décide ce qui est bon, en lieu et place de 27 peuples européens. Et ils imposent leurs décisions à la sphère politique par le contrôle des grands médias.

La stratégie de la France se résume donc, en tout et pour tout, à la prétendue « construction européenne », chimère que l’on poursuit depuis 62 ans, sans avoir le droit de s’interroger dessus, ni d’en faire un bilan honnête, ni a fortiori de la remettre en cause. Depuis la fameuse Déclaration dite « Schuman » du 9 mai 1950, cela fait 62 ans que ça ne marche pas, 62 ans que les résultats sont de plus en plus calamiteux et 62 ans que l’on nous explique qu’il en faut encore davantage ! Comme disent les Chinois « avoir toujours la même stratégie, c’est ne pas avoir de stratégie ».

Ce constat est évidemment d’une gravité exceptionnelle : un peuple qui n’a plus la maîtrise de son propre devenir est voué à la catastrophe. C’est bien pour cela que j’ai décidé de créer un nouveau mouvement politique, sans aucun soutien et en dépit de moyens dérisoires.

Pensez-vous qu’il y a un risque de « nouveau 21 avril 2002 », comme semblent le craindre les médias ?

S’agissant du « risque d’un nouveau 21 avril 2002 », ne vous méprenez pas. Le système euro-atlantiste, qui a mis la main sur les destinées de la France, fait semblant d’être effrayé par cette perspective; mais il ne souhaite en réalité qu’une chose : qu’elle se produise !

La meilleure preuve, c’est que tous les grands médias, qui sont complètement asservis aux intérêts euro-atlantistes, invitent continuellement Mme Le Pen à s’exprimer devant des millions d’auditeurs ou de téléspectateurs. C’est un avantage colossal que le système lui accorde, et que les mêmes médias refusent impitoyablement à la plupart des autres candidats. Je rappelle que je n’ai moi-même jamais eu droit à disposer ne serait-ce que d’un seul de ces passages dans les grands médias qui contribuent tant à formater l’opinion. Mme Le Pen les obtient, elle, dès qu’elle claque des doigts. Et encore a-t-elle le culot de se plaindre d’être mal traitée.

Certes les animateurs radio ou télé font mine, ici ou là, d’interroger Mme Le Pen en se pinçant le nez. Cette attitude infantile a d’ailleurs le don d’exaspérer les auditeurs, y compris ceux qui sont hostiles à l’intéressée, et elle a pour effet de servir encore Mme Le Pen. S’ils voulaient vraiment mettre la candidate du Front National en difficulté, les journalistes la placeraient face à ses contradictions, face à ses voltes-faces continuelles sur les sujets les plus essentiels, et aussi face à son incompétence technique qui est criante. Ils lui opposeraient pour cela des responsables politiques ayant du répondant. Moi par exemple. Or, justement, je ne suis jamais invité et Mme Le Pen l’est tout le temps.

Si le système avait vraiment peur d’un « nouveau 21 avril », il lui suffirait donc de traiter Mme Le Pen comme il le fait avec moi et comme il sait si bien le faire avec tous les candidats qui gênent ses plans : tout simplement en ne l’invitant plus, ou presque plus. Le système connaît d’ailleurs la musique puisqu’il avait mis au régime sec médiatique son père, Jean-Marie Le Pen, entre 2005 et 2007 parce qu’il s’agissait alors de dégager le terrain à droite afin de faciliter l’élection de Nicolas Sarkozy. Du coup, l’on vit le Front National se dégonfler comme une baudruche.

La question se pose donc de savoir pourquoi le système pousse-t-il tellement en avant Mme Le Pen, tout en feignant d’en être horrifié.

Cet apparent paradoxe obéit à deux raisons très réfléchies et très puissantes :

La première raison de médiatiser le Front National, c’est que cela permet de salir toute idée de souveraineté nationale et d’en détourner une majorité de Français.

Si le système a délibérément médiatisé le FN depuis 29 ans, à l’occasion d’une obscure élection municipale en 1983 à Dreux (où son candidat avait fait 16% des suffrages exprimés), ce n’est évidemment pas pour rien. C’est par application de la technique dite de la « reverse psychology », inventée par les manipulateurs d’opinion d’outre-Atlantique. Cette technique consiste à créer ce qu’un psychanalyste appelle un « mauvais objet », puis à lui assimiler toutes les idées que l’on souhaite combattre sans avoir besoin d’argumenter.

Depuis 29 ans, les médias et la famille Le Pen ont œuvré conjointement pour faire du FN le « mauvais objet » de la société française. Grâce aux fameux « dérapages » à répétition de M. Le Pen, on a ainsi mis dans la tête des Français qu’aimer la France, défendre nos intérêts nationaux, brandir le drapeau de la Révolution française, tout cela revenait à avoir de la complaisance… pour le IIIe Reich ! La ficelle était énorme, et pourtant elle a marché à merveille car l’orchestration médiatique l’a crédibilisée. Actuellement encore, Mme Le Pen est à la manœuvre : tous les médias lui tendent leurs micros pour qu’elle critique l’euro, qu’elle annonce qu’il faudrait en sortir, mais aussi pour qu’elle n’oublie surtout pas, dans le même mouvement, de comparer les immigrés à une « armée d’Occupation ».

Résultat ? L’euro est l’une des principales causes du désastre économique, financier, industriel et social en cours mais on ne peut pas en débattre sérieusement. Car, dans l’esprit d’une partie majoritaire des électeurs, être contre l’euro revient, par transitivité si l’on peut dire, à être d’extrême droite et cela suffit à clore le débat. Le « mauvais objet » FN est ainsi le plus formidable agent de perpétuation du système.

La seconde raison qu’a le système de médiatiser le Front National, c’est que toutes les études politiques et sociologiques et tous les sondages sérieux ont démontré que ce parti est dans l’incapacité absolue de rallier 50% des suffrages. En 40 ans d’existence, son plus haut score national historique a été atteint au second tour de l’élection présidentielle du 5 mai 2002, où il a atteint 17,79%. La capacité du FN à attirer des électeurs en dehors de son électorat fidèle est infime.

La vraie leçon à tirer du « 21 avril 2002 », c’est que le système dispose d’un outil formidable pour faire élire qui il veut : il lui suffit pour cela de mettre les médias au service du FN, en tant que de besoin, pour le hisser au second tour face au candidat dont il a décidé l’élection. Entre les deux tours, il suffit de rediaboliser le FN, avec l’aide de la famille Le Pen si nécessaire, pour que son concurrent soit élu dans un fauteuil, avec plus de 70, 75 ou 80 % des suffrages.

Ce qui est consternant, c’est que les électeurs frontistes sont absolument incapables de tirer les conséquences de cette situation. Parmi eux, les plus lucides en admettent le bien fondé, mais ils n’en continuent pas moins à se précipiter tête baissée dans ce piège vieux d’un tiers de siècle. Ils sont comme des enfants auxquels on explique que le Père Noël n’existe pas et qui le refusent en répliquant : « si, il existe quand même ». Les électeurs du FN sont dans la même psychologie : ils savent bien au fond d’eux-mêmes que Mme Le Pen ne pourra jamais obtenir 50% des suffrages, ni même d’ailleurs 35 %, mais ils ne veulent pas l’admettre. Ils préfèrent colporter sous le sceau du secret des rumeurs de « sondages secrets » qui donnent au FN des scores mirobolants…

Vous évoquez le « risque d’un nouveau « 21 avril 2002 » ? Quant à moi, je vois surtout le risque d’un nouveau « 5 mai 2002 » !

Et à gauche ?

Vous avez raison d’en parler, car il faut être juste : le verrouillage de la scène politique française ne serait pas complet si l’autre côté de l’échiquier politique n’était pas, lui aussi, verrouillé : au « Front National » s’oppose le « Front de Gauche ». « Front » contre « front », il s’agit bien d’une logique d’af-front-tement entre Français et non pas de rassemblement.

L’existence de ces deux « Fronts » vise à maintenir le clivage droite gauche sur le devant de la scène. Ils empêchent leurs deux électorats respectifs, qui présentent pourtant la même particularité d’avoir massivement voté l’un et l’autre contre la Constitution européenne, d’envisager de faire alliance provisoirement contre la construction « européenne ». Avec ces deux « Fronts », le système estime pouvoir dormir sur ses deux oreilles.

En d’autres termes, la scène politique française est comparable à une grande cuisine où des marmites sont placées côte à côte sur des feux, que les forces euro-atlantistes font monter ou baisser au gré des besoins du repas qui s’annonce.

En 2007, comme le système avait décidé de faire élire Nicolas Sarkozy, il a poussé les feux médiatiques sous la marmite Sarkozy, coupé le feu sous la marmite Le Pen, et poussé les feux sous les marmites Besancenot (NPA) et Laguiller (LO) pour gêner Ségolène Royal.

En cette année 2012, il fait le contraire : il pousse les feux sous la marmite Hollande, il a coupé le feu sous les marmites Poutou (NPA) et Arthaud (LO), et il pousse le feu sous la marmite Le Pen. Ce qui donne à penser que le système a fait cette fois-ci le choix de Hollande, tout en gardant la marmite Bayrou au chaud au cas où le contenu de la marmite Hollande se révèlerait par trop indigeste.

Toutes ces manipulations reviennent donc à préempter le choix libre des Français. C’est une situation d’autant plus choquante qu’une grande majorité de Français ne veulent plus des partis et des responsables politiques qu’on leur propose : aux dernières élections européennes et cantonales, les taux d’abstention ont approché ou dépassé les 60 % ! Il serait donc ô combien justifié de présenter des partis nouveaux et des candidats nouveaux.

Mais l’on objecte à ces nouveaux candidats le fait d’être inconnus du grand public, ce qui revient à l’histoire de l’œuf et de la poule. On leur oppose aussi la barrière fatidique des 500 parrainages, qu’il est bien souvent impossible d’atteindre.

À ce propos, vous êtes confronté au problème de la collecte des 500 parrainages. Qu’en pensez-vous ?

Cette règle est un véritable scandale démocratique. En 1962, lorsque le général de Gaulle a fait approuver par référendum le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel, il l’avait fait pour permettre aux Français de court-circuiter les notables, les féodalités, les appareils des partis politiques. Il n’avait jamais imaginé le principe d’une barrière sélective préalable, puisque cela serait revenu à contredire son objectif. À son sens, tout le monde devait pouvoir se présenter au suffrage des Français, il souhaitait que ce soit les Français qui jugent par eux-mêmes qui avait l’étoffe, la carrure, la hauteur de vue nécessaires.

En agissant ainsi, le fondateur de la Ve République se plaçait dans la tradition des rois capétiens qui prenaient appui sur le peuple contre les féodaux et les grands seigneurs, et aussi dans la tradition révolutionnaire, celle de l’abolition des privilèges lors de la nuit du 4 août par exemple.

C’est Georges Pompidou qui, à force de négociations houleuses avec De Gaulle, a obtenu de celui-ci l’obligation de réunir 100 parrainages et 10 départements afin de pouvoir être candidat à l’élection présidentielle. En 1976, Valéry Giscard d’Estaing a imposé une hausse de ces nombres, en les portant à 500 parrainages et 30 départements. Ce sont des seuils très difficiles à atteindre si l’on ne bénéficie pas de l’étiquette d’un parti au fort pouvoir médiatique, ou de son soutien discret.

Si l’on prend en compte le fait que les maires des petites communes sont souvent réticents à signer car beaucoup d’entre eux se déclarent apolitiques et ne veulent pas devoir se justifier d’un parrainage devant leurs administrés, la tâche se révèle bien souvent une mission quasi impossible. Les électeurs doivent savoir qu’aujourd’hui, 45 000 personnes peuvent parrainer, parmi lesquels environ 36.000 maires. Pourtant, lors de l’élection présidentielle de 2007, seuls 16 000 maires ont présenté un candidat, une majorité d’entre eux n’a pas souhaité le faire car, pour couronner le tout, Lionel Jospin a rendu publics ces parrainages.

La présélection est donc faite par les grands médias qui choisissent leurs poulains.

Vous avez dit à plusieurs reprises que « nous vivons dans une démocratie d’apparence avec, pour la première fois dans l’humanité, une dictature qui s’impose par l’ignorance et l’ennui. » Pouvez-vous nous éclairer sur ce point et nous expliquer l’emploi d’un mot à si forte connotation que celui de « dictature » ?

Pour quiconque a connu une campagne présidentielle comme celle de 1974 où s’opposaient deux vrais choix de société entre Mitterrand et Giscard, on se rend compte que la vie politique a bien changé. Elle se réduit désormais – sous l’action des médias de masse – à des chamailleries dérisoires entre les dirigeants des prétendus « grands » partis. Ils sont d’accord sur tout ce qui est essentiel et ils ne se battent plus que pour conquérir les oripeaux d’un pouvoir illusoire. En 1974, nous avions une démocratie vivante entre des partis qui s’opposaient pour de bon ; aujourd’hui, notre démocratie n’est plus qu’un fantôme.

Bien entendu, je n’ignore pas qu’il y a toujours des partis politiques, des sondages, des campagnes électorales, des scrutins et des soirées électorales. Mais les conséquences concrètes de toute cette activité se sont peu à peu dissoutes dans l’insignifiance et l’ensemble donne désormais aux Français un sentiment de malaise, comme si tout cela tournait dans le vide. C’est ce qui me fait dire que nous ne sommes plus que dans une démocratie d’apparence. Beaucoup de Français le ressentent aussi.

Comme ils pensent être élus et que leurs conseillers en « com’ » leur suggèrent d’afficher un air de gravité responsable, MM Sarkozy et Hollande font attention à ne pas faire des promesses qu’ils seraient contraints de renier le soir même du second tour. Or, même s’ils ne l’avouent jamais en public, ils sont les premiers à savoir qu’à peu près tous les choix stratégiques en matière économique, monétaire, budgétaire, sociale, diplomatique, militaire, ont été retirés aux Français au nom d’une prétendue modernité et d’un prétendu sens de l’Histoire. Ils savent pertinemment qu’ils ne seront que les exécutants de politiques fixées par une toute petite oligarchie, mises en forme par la Banque Centrale Européenne, la Commission européenne et l’OTAN.

MM. Sarkozy et Hollande en sont donc réduits, par la force des choses, à faire étudier fiévreusement par leurs entourages respectifs quelles mesures un tant soit peu significatives ils pourraient bien mettre en avant pour paraître s’opposer entre eux. Autant dire que c’est la quadrature du cercle.

D’où ce spectacle, à la fois cocasse et minable, de ces prétendus « grands candidats » qui ont limité leur ambition à n’être que des marionnettes de l’oligarchie et qui se disputent comme les eunuques d’un sérail. Ils s’insultent et montent en épingle des litiges de troisième catégorie, comme si l’avenir de la France dépendait d’un calcul d’assiette fiscal ou d’une déclaration à l’emporte-pièce sur l’euthanasie ou les radars routiers.

On doit noter au passage une curiosité : pendant de nombreuses semaines à l’été 2011, les médias nous ont submergés d’informations sur la « primaire socialiste ». On nous a expliqué que chaque postulant à l’investiture PS mettait en avant son programme et ses points de divergences avec les autres candidats potentiels. Or M. Hollande vient tout juste, en cette fin janvier, de nous révéler les premières esquisses de son programme…. Mais alors, au vu de quel « programme » fut-il donc préféré à Mmes Aubry et Royal ainsi qu’à MM. Montebourg, Valls et Baylet ? Le comble, c’est qu’il ne vient à l’esprit de personne de se le demander ! En réalité, tout le monde a inconsciemment compris que le programme de M. Hollande, tout comme celui de M. Sarkozy, est vide et dépourvu de sens.

Pour ce qui est du terme « dictature » que j’ai effectivement employé, je me fonde sur l’étymologie même du mot, qui est né sous l’antiquité. Lorsque la République romaine se trouvait en péril face à un ennemi, l’ensemble des citoyens donnait le pouvoir à un « dictateur ». Il s’agissait d’un expert, prétendument plus avisé que le commun des mortels, qui « dictait » ce qu’il fallait faire pour se sortir de la menace.

Or, c’est exactement ce qui vient de se passer en Grèce et en Italie. Le référendum annoncé par le Premier ministre Papandreou sur le plan de sauvetage de l’euro a été tout bonnement annulé sous la pression des responsables européistes qui lui ont « dicté » ce qu’il fallait faire. Le pauvre homme a dû avaler son chapeau et a été dégagé sans trop de ménagements pour être remplacé par un homme qui n’a jamais été élu par personne. Cet expert estampillé Goldman Sachs, M. Papademos, « dicte » désormais au peuple grec ce qu’il doit faire.

En Italie, le processus a été à peu près identique. Aucun scandale financier ou de moralité n’était parvenu à déboulonner M. Berlusconi, mais il a suffi que l’oligarchie financière siffle la fin de partie pour qu’il soit viré séance tenante et remplacé par M. Monti. Lequel M. Monti est un apparatchik euro-atlantiste comme M. Papademos, et n’a pas plus été élu que lui par qui que ce soit.

Si tout cela, ce n’est pas le processus de la « dictature », qu’est-ce d’autre ?

Pensez-vous que sortir de l’Europe soit une solution réalisable et non purement utopique en raison d’un marché économique et financier qui dépasse largement nos simples frontières et où la France seule n’aurait plus aucune chance d’être compétitive ?

Ce genre de questions me fait sourire tristement. Après 62 ans d’échecs, il serait peut-être temps de réaliser que ce qui est « irréalisable » et « purement utopique », ce n’est pas de sortir de l’Europe mais bel et bien de « construire l’Europe » !

Comment peut-on encore soutenir qu’il faudrait rester dans l’Europe pour que la France soit compétitive, alors que les 20 années écoulées depuis le traité de Maastricht nous ont au contraire prouvé que c’est notre appartenance à l’utopie européenne qui conduit la France à la catastrophe ? Notre pays a perdu plus du quart des heures travaillées dans l’industrie au cours des 12 dernières années, et a assisté sans rien faire à la fermeture de 900 usines au cours des années 2009-2011.

Contrairement à ce qu’affirment sans la moindre preuve les européistes qui nous assurent que ce serait pire sans l’Union européenne, il faut bien comprendre que ce désastre découle directement de notre appartenance à celle-ci : d’une part à cause de l’extrême cherté de l’euro par rapport au dollar et aux monnaies qui lui sont liées ; d’autre part à cause des articles 32 et 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui ont donné carte blanche aux délocalisations de toutes les activités industrielles et de services.

Par ailleurs, votre question évoque ce bobard éhonté de la propagande européiste, qui veut faire croire aux Français que la sortie de l’Union européenne isolerait la France. Comme si nos liens avec l’Union européenne étaient le seul accès que la France ait au monde ! Un très grand nombre de Français reprennent hélas cet argument à leur compte, sans aucun esprit critique, comme si c’était une évidence, alors qu’il s’agit d’une stupidité sans nom. C’est exactement comparable à l’argument qui consisterait à dire à un particulier : « Comment ? Vous refusez de vous pacser avec tous les habitants de votre immeuble ? Mais c’est inouï, comment pouvez-vous imaginer vivre en ermite au fond d’une grotte ? »

Les électeurs doivent bien comprendre que, si la France sort de l’Union européenne, elle ne va pas se couper du monde et devenir la Corée du Nord pour autant. La Suisse ou la Norvège, qui ne sont pas dans l’UE, ne sont ni pauvres, ni coupées du monde. Bien au contraire, ce sont les deux États où l’on vit le mieux au monde, selon l’Indice de Développement Humain (IDH) calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement. Et ce sont des États jugés suffisamment impartiaux et fiables par les pays du monde entier pour qu’il s’y tienne des conférences internationales ou qu’y soient conclus des accords de paix.

En vérité, l’Union européenne ne représente qu’une petite partie des relations internationales de la France : une fois que la France sera sortie de l’UE, elle restera toujours membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et membre permanent de son Conseil de Sécurité. Elle restera aussi membre du G20, de la Francophonie, de l’OCDE, du Conseil de l’Europe (qui n’a rien à voir avec l’UE), d’Interpol, du FMI, de la BERD, de la Commission du Pacifique Sud, de la Commission de l’Océan indien, de l’Organisation Alimentaire Mondiale (FAO), de l’UNESCO, de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), de l’Union Postale Universelle (UPU), de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), etc.

En sortant de l’Union européenne, nous dénoncerons en tout et pour tout 2 traités : le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Point. Et cela vaudra à la France une formidable approbation à travers le monde, comme on a pu en avoir l’avant-goût lorsque la France s’est opposée à la guerre en Irak au Conseil de Sécurité de l’ONU en 2003.

En outre, nous resterons liés au reste du monde par des milliers de traités internationaux. Savez-vous par exemple qu’au moment où nous parlons, la France et l’Allemagne sont liées par pas moins de 713 accords et traités, dont le plus ancien toujours en vigueur remonte au 20 mai 1875 ? Ils portent sur tous les sujets possibles et imaginables, en matière consulaire, dans les domaines de la circulation des personnes et des biens, de l’économie, de la fiscalité, des échanges culturels, scolaires et universitaires, de la coopération scientifique ou technique, etc.

Au sein de l’actuelle Union européenne, nous comptons de même 602 accords et traités en vigueur avec la Belgique, 600 avec l’Italie, 531 avec le Royaume Uni, 515 avec l’Espagne, 470 avec les Pays Bas, 377 avec le Danemark, 355 avec la Grèce, 354 avec le Portugal, 228 avec la Pologne, 184 avec la Hongrie, 170 avec la Bulgarie, 129 avec Chypre, 86 avec l’Estonie, etc. Tous ces accords et traités resteront valides et inchangés après notre sortie de l’Union européenne.

J’ajoute que la France entretient actuellement 156 ambassades, 17 représentations et 98 postes consulaires, soit 271 représentations diplomatiques à l’étranger. Sortir de l’Union européenne nous amènera à en fermer 2 (notre représentation diplomatique auprès de l’UE et celle auprès de la PESD – Politique Étrangère, de Sécurité et de Défense), soit 0,7%. La France conservera donc 269 représentations diplomatiques à l’étranger, soit le deuxième réseau du monde après celui des États-Unis. C’est vous dire à quel point ceux qui affirment que nous serions isolés vous mentent !

Par ailleurs, en matière économique et commerciale, je rappelle que la construction européenne n’a jamais rien produit. Airbus et la fusée Ariane, par exemple, n’ont strictement aucun rapport avec les institutions de Bruxelles. Ce furent et ce sont toujours des coopérations internationales, auxquelles coopèrent de nombreux pays du monde, qu’ils appartiennent ou non à l’UE. Dans le très gros porteur A380 par exemple, 14 des 27 États membres de l’Union européenne sont totalement absents tandis que l’on compte, parmi les principaux fabricants, la France et l’Allemagne bien sûr, mais aussi le Japon, le Canada, la Corée, Singapour, le Mexique, sans oublier les États-Unis, qui en sont même le premier pays fabricant (38% de part américaine pour les appareils motorisés Pratt & Whitney).

Quant aux grands groupes industriels privés, ils concluent des alliances internationales selon des complémentarités de productions et de marchés qui n’ont aucun rapport avec le périmètre de l’Union européenne. Le constructeur automobile français Renault a par exemple racheté le japonais Nissan pour mieux concurrencer l’allemand Volkswagen. À quoi sert donc l’Europe ? Ce type d’accords, qui ruinent l’idée reçue qu’il faudrait faire l’Europe pour être puissant, ne seraient pas modifiés d’une virgule par une sortie de la France de l’Union européenne.

Donc, si vous êtes élu, comment se passe concrètement votre sortie de l’Union européenne ?

Si je suis élu, je ferais cette chose, inouïe aux yeux de certains, qui sera de mettre en œuvre le programme sur lequel les Français viendront tout juste de m’élire. J’appliquerai donc à la lettre l’article 50 du traité sur l’Union européenne, cet article 50 qui est le seul qui permet juridiquement de sortir de l’Union européenne et de l’euro, et que refusent bec et ongles Mme Le Pen, M. Mélenchon et M. Dupont-Aignan.

1) – Dans les jours suivant mon installation à l’Élysée, j’inviterai donc nos 26 partenaires européens à tenir un Conseil européen exceptionnel de façon à leur « notifier l’intention » de la France de se retirer de l’UE conformément à l’article 50 alinéa 2 du traité sur l’Union européenne.

2)- Conformément à l’article 50 alinéa 2, la France et l’Union européenne entameront alors une négociation afin de parvenir à « un accord fixant les modalités de notre retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ».

3)- Toujours conformément à l’article 50 alinéa 2, cet accord sera conclu avec le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. Et les traités européens cesseront d’être applicables à la France à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ainsi négocié.

4)- conformément à l’article 50 alinéa 3, s’il se révélait impossible de parvenir à un accord avec la majorité qualifiée du Conseil, la France sortirait de l’Union européenne de plein droit deux ans après la notification du point 1.

Ainsi donc, nous sortirons de l’Union européenne de façon juridique et sereine, en pleine concertation avec nos partenaires.

Cela n’exclura nullement que les négociations se passent dans la cordialité et même la bonne humeur. Car tous les dirigeants européens savent que la construction européenne prend l’eau de toute part et que le processus n’est plus viable. Ils éprouveront donc une compréhension bien plus grande pour la décision du peuple français que ne l’affirment les prophètes de l’Apocalypse. Je suis même prêt à parier que la décision des Français fera très vite des émules et je n’exclus pas que la négociation que nous ouvrirons s’élargisse rapidement à des demandes de sortie semblables venues des Pays Bas, du Royaume Uni, de l’Irlande, de la République Tchèque, de la Hongrie, etc.

Quoi qu’il en soit, nous n’allons évidemment pas sortir de l’Union européenne dans la minute. Les négociations techniques prendront nécessairement quelques semaines, et sans doute même quelques mois. Mais il ne faut pas imaginer non plus que cela représentera des difficultés insurmontables, car rien n’impose de régler toutes les questions à la fois.

Je crois utile de rappeler ici les règles dites de la « continuité des États » du droit international public. Ces règles de bon sens prévoient que les législations et réglementations continuent de s’appliquer en cas de changement de régime politique ou économique, tant que le nouveau régime n’en a pas décidé autrement. Le lendemain du jour où la France sortira de l’UE, le soleil ne va donc pas s’arrêter de tourner. La réglementation européenne existante continuera tout bêtement à s’appliquer tant que nous n’aurons pas pris la décision souveraine de la modifier. Ce n’est qu’au cours des semaines et des mois suivants que, redevenus maîtres de nos lois et règlements, nous les modifierons au cas par cas, dans tous les domaines où nous le jugerons utile et nécessaire. Par exemple en réintroduisant tel ou tel droit de douane ou quota sur telle spécialité douanière afin de protéger notre industrie.

Et concernant le retour au franc ?

Ne vous laissez pas intimider par les affirmations de la propagande. Le retour au franc sera une chose relativement aisée, en tout cas bien plus facile que l’entrée dans l’euro. Comme je l’explique dans l’une de mes conférences, toute l’histoire du monde prouve en effet que toutes les monnaies supranationales ont toujours fini par exploser et que la création de monnaies nationales se fait très vite. Parmi les derniers exemples en date figurent ceux de l’explosion du dinar yougoslave, du rouble soviétique ou de la couronne tchécoslovaque, où l’on a vu des pays ruinés, dont certains confrontés à des conflits ethniques, créer leur monnaie nationale en quelques semaines ou quelques mois.

S’agissant de l’euro, les choses seront encore plus faciles puisque cette monnaie a été conçue pour être, justement, facilement réversible. En effet, contrairement à ce que nous serinent les responsables politiques et économiques français qui parlent, là encore, de ce qu’ils ne connaissent pas, l’euro n’est pas une « monnaie unique », mais une « monnaie commune ». Cela semble peu compréhensible mais c’est un détail capital. Les Allemands, qui sont des gens précis, font, eux, très bien la différence.

Quelle est cette différence ? Elle tient au fait que tous les États de la zone euro (17 actuellement) ont conservé leur banque centrale nationale. Nous avons donc affaire à un « système européen de banques centrales » (appelé « SEBC » dans les traités), combiné à la banque centrale européenne qui, elle, coordonne tout. Aujourd’hui nous n’avons donc pas une monnaie unique mise en place par une banque centrale unique, mais une monnaie commune mise en place par 17 banques centrales nationales.

Pour bien comprendre l’usine à gaz de l’euro, il faut voir qu’il n’y a juridiquement pas « 1 monnaie européenne ». Il y a juridiquement 17 monnaies nationales, qui ont pour particularité d’avoir toutes la même appellation, le même graphisme des billets (les pièces, elles, ont une face nationale), de s’échanger entre elles au taux de 1 pour 1, et cela sans aucune limitation dans les montants et dans le temps.

Pour un particulier, vu de l’extérieur si l’on peut dire, l’euro apparaît ainsi comme une monnaie unique puisque le même billet peut servir à payer ses achats partout à l’intérieur de la zone euro. Mais d’un point de vue juridique, c’est bien plus compliqué. Un euro déposé sur un compte courant en France est une créance sur la Banque de France. Mais si on le dépose sur un compte courant d’une banque commerciale en Grèce, il devient une créance sur la Banque centrale de Grèce ; et si on le dépose en Allemagne, il se transforme en une créance sur la Bundesbank.

Nous sommes ici au cœur de la bombe nucléaire qui va faire exploser l’euro. Car le fonctionnement complexe de ce système n’a pas échappé aux grandes entreprises, aux grandes fortunes et aux spéculateurs en tout genre, qui entendent tous en tirer le profit maximal.

Pour vous donner un exemple concret, un riche armateur grec qui détient 100 millions d’euros dans une banque commerciale d’Athènes sait que cette créance est une créance sur la Banque de Grèce, laquelle menace à tout moment de tomber en défaut. Et comme il sait aussi qu’il peut transférer librement ses 100 millions d’euros dans une banque commerciale à Düsseldorf, et que ses 100 millions deviendront alors une créance sur la Bundesbank allemande, jugée très sûre, il n’hésite pas : il fait le transfert.

Le problème, c’est que ce transfert va entraîner, au bout de la chaîne, une augmentation de 100 millions d’euros de créances sur la Banque de Grèce à l’actif du bilan de la Bundesbank. Ce qui a pour effet à la fois de créer des tendances inflationnistes en Allemagne et de dégrader rapidement la solidité de la banque centrale allemande. En 2011, 550 milliards d’euros de créances douteuses sont ainsi venues plomber la Bundesbank, dont le bilan a triplé. Et les Allemands ont préparé un plan de sortie secret de l’euro.

Il faut bien comprendre que ce qui est impossible sur long terme, ce n’est pas de revenir au mark ou au franc, c’est d’assurer la pérennité de l’euro.

Si l’on se trouve aujourd’hui dans une position de dumping fiscal, le passage à l’euro a au moins stoppé le dumping sur l’échange monétaire. Revenir en arrière ne serait-il pas une initiative plus que périlleuse ?

Il est exact que l’euro a entraîné la fin des changements de parité entre les différentes monnaies des pays de la zone. Mais, contrairement à ce que vous imaginez, c’est justement l’un des autres problèmes essentiels posés par l’euro.

Je m’explique. La propagande a mis dans la tête des Français qu’il fallait empêcher ce que l’on a appelé les « dévaluations compétitives entre les monnaies européennes ». Il est vrai que, dans le passé, on a pu connaître parfois une guerre des monnaies, qui pouvait nuire à telle ou telle économie. Mais il s’agissait toujours d’un problème conjoncturel. Sur le long terme, les évolutions divergentes des taux de change des différentes monnaies finissaient toujours par refléter les évolutions divergentes de la compétitivité des économies.

Avec l’euro, il n’y a plus de taux de change distincts entre les monnaies de l’Allemagne, de la France, de l’Italie ou de la Grèce. Comme je l’ai rappelé précédemment, les 17 monnaies nationales de la zone euro ont le même nom, le même graphisme et s’échangent au taux de 1 pour 1.

À court terme, cela peut certes sembler une bonne chose : les entreprises peuvent tabler sur une certaine stabilité des prix à l’intérieur de la zone euro et les touristes n’ont plus à faire de calculs.

Mais ces maigres avantages de court terme ne pèsent rien face à l’immensité du problème qui apparaît sur le moyen et long terme. Ce problème colossal est celui de la divergence de compétitivité entre les économies de la même zone monétaire. Lorsque les pays sont entrés dans la zone euro, les responsables du système ont fixé un « taux irrévocable » de conversion entre toutes les monnaies nationales et l’euro. Par exemple on a fixé que 1 euro vaudrait 6,55957 francs français, 1,95583 deutsche marks, 40,3399 francs belges, 1936,27 lires italiennes, 340,750 drachmes grecques, etc. Ces taux irrévocables furent fixés en fonction des taux de change entre ces monnaies et en fonction de la compétitivité de leurs économies respectives. Il s’agissait d’une sorte de photographie instantanée de la compétitivité, prise exactement le 31 décembre 1998 à 12H30 GMT.

Comme on le comprend aisément, un tel système n’est viable à long terme que si la compétitivité des économies évolue de façon strictement identique. Cela signifie que les hausses de salaires, les charges sociales, les taux d’inflation, les gains de productivité techniques, etc. doivent absolument tous converger vers les mêmes valeurs au sein des 17 économies partageant la même monnaie.

Mais, comme le bon sens le suggère – et c’est hélas l’une des qualités dont sont le plus dépourvus les européistes – il est chimérique d’imaginer que la Grèce, l’Italie, la France, le Portugal, la Finlande, les Pays Bas, l’Allemagne, etc. vont afficher année après année des hausses de salaires et de charges sociales, des taux d’inflation et des gains de productivité égaux. Cela n’a d’ailleurs pas été du tout le cas depuis treize ans. Le résultat s’étale donc sous nos yeux : la compétitivité de la France, de la Grèce ou de l’Italie n’ont pas cessé de se dégrader par rapport à celle de l’Allemagne, provoquant des déficits commerciaux de plus en plus importants de ceux-là vers celle-ci. D’où un gonflement continuel des créances de la Bundesbank sur les banques centrales de ces États, qui vient aggraver le phénomène que j’exposais dans ma réponse précédente.

Avant l’euro, c’est justement la modification des taux de change des monnaies nationales les unes par rapport aux autres qui permettaient de corriger progressivement ces divergences de compétitivité. Cette solution s’était imposée d’elle-même au cours des siècles antérieurs; par le libre jeu des forces économiques et sociales. Mais désormais, ce remède n’existe plus, pour cause d’euro.

Pour toute l’oligarchie financière euro-atlantiste, les européistes et les dirigeants de la BCE, de la Commission européenne, il n’y a qu’une seule solution. Il « faut » que les Grecs, les Italiens, les Espagnols, les Irlandais, les Français soient contraints d’avoir le même comportement économique et social que les Allemands. Tous les projets actuels de « renforcement des disciplines budgétaires » des États ou de « changement total de modèle économique » des pays du sud tournent autour de cette utopie que je résumerais en paraphrasant Bertold Brecht : les européistes, étant mécontents des Grecs, des Italiens, des Français et des Espagnols, ont décidé de les transformer en Allemands !

Il n’est pas besoin d’être devin pour imaginer où cette fuite en avant négatrice des spécificités des peuples nous emmène : tôt ou tard, nous allons avoir des conflagrations politiques et sociales de plus en plus violentes, jusqu’à l’écroulement de tout l’édifice.

Voiture de fonction, défraiement, voyage en business class pour se rendre dans un cinq étoiles à l’autre bout du monde… Même si cela peut paraître un peu cliché, les politiques au pouvoir ne sont-ils pas simplement déconnectés d’une réalité qui les dépasse. Sans retourner à l’époque où le président Giscard d’Estaing s’invitait à dîner chez ses concitoyens, ne pensez-vous pas que pour faire un bon entraîneur, il faut d’abord connaître le terrain ?

J’ai déjà évoqué plus haut en partie cette question. Je vous ai dit mon sentiment : les responsables politiques connaissent beaucoup mieux la situation que ne le croit le grand public. Le problème n’est pas que les responsables sont trop éloignés du terrain, c’est beaucoup plus grave et structurel que cela. Le problème vient de ce que les responsables n’ont plus le pouvoir de changer les choses. Et ils n’ont plus ce pouvoir parce qu’ils ont accepté – et parce qu’ils continuent d’accepter – que la France soit entièrement placée sous la tutelle de l’oligarchie euro-atlantiste.

Cela étant, il est exact que la situation économique et sociale devrait inciter les responsables politiques à faire preuve de sobriété, je dirais même d’humilité, dans le train de vie qu’ils affichent. À cet égard, le mode de vie ostentatoire et de parvenu dont a aimé s’entourer Nicolas Sarkozy témoigne à la fois d’un profond mépris pour nos concitoyens et aussi, je me permets de le dire, d’un manque de sens politique affligeant.

Pour ma part, j’ai déjà annoncé que, si je suis élu, j’exercerai une présidence économe de l’argent des contribuables. Comment ? En réduisant le budget de l’Élysée de – 40%, en abandonnant tout protocole monarchiste, en refusant tout népotisme et toute médiatisation de ma famille, et en adoptant un comportement décent et respectueux des difficultés des Français. Je passerai mes vacances en France, je demanderai à tous les ministres d’en faire autant, et je rencontrerai régulièrement les Français de toutes les conditions, notamment les chômeurs, les exclus et les handicapés.

On se dit que le second tour de l’élection présidentielle de 2012 nous réservera vraisemblablement un duel Sarkozy/Hollande et que, le 6 mai au soir, l’un sera déçu, l’autre heureux, mais qu’hélas, concrètement, cela n’aura que peu d’incidence sur une crise mondiale qui devrait engendrer un nouveau plongeon des économies occidentales. Au-delà de l’homme politique, comment l’homme que vous êtes voit-il l’avenir du pays et de ses concitoyens ?

En cette fin janvier 2012, il me semble prématuré d’affirmer que le second tour opposera Nicolas Sarkozy à François Hollande. De toute façon peu importe : tant que la France restera au sein de l’Union européenne, les Français ne constateront aucune réelle différence après chaque élection. Même la seule sortie de l’euro ne suffirait pas à changer profondément la situation car les traités européens cadenassent toutes les politiques par ailleurs.

Or tout l’appareil médiatique est là pour empêcher les Français de prendre conscience de cette situation. Tout est fait pour présenter à chaque élection présidentielle un candidat qui leur promet monts et merveilles sans sortir des traités européens. Et à chaque fois, les Français déchantent un peu plus au bout de 6 mois. Du coup, l’abstention ne fait que s’accroître, de même que le cynisme et la désespérance.

Le résultat de ce vol de démocratie, que l’on peut dater précisément du traité de Maastricht et qui ne fait qu’empirer depuis deux décennies, se lit dans les résultats électoraux. Si l’on fait la moyenne des trois dernières élections nationales (européennes 2009, régionales 2010, cantonales 2011), on découvre que les Français en âge de voter répartissent leur comportement électoral ainsi : 15% ne se sont même pas inscrits sur les listes électorales, 50% s’abstiennent, et 2% votent blanc ou nul. Cela signifie que les 2/3 des Français en âge de voter n’ont plus confiance dans la politique. Le verdict est terrible.

Ces résultats révèlent aussi ce qu’ont de profondément trompeurs les commentaires des grands médias et les soirées électorales à sensation : au cours des 3 élections nationales tenues ces trois dernières années, le PS n’a représenté que 9% des Français en âge de voter, l’UMP 8%, les Verts et les divers gauche 6%, l’extrême droite 5% et l’extrême gauche 3%. Ces politiciens professionnels se battent entre eux dans un univers qui se rétrécit de plus en plus.

Tout cela confirme le problème auquel nous sommes confrontés et contre lequel je me bats depuis la création de l’UPR : comment faire pour redonner confiance en la politique à ces 2/3 de Français qui ne croient plus en rien ? Il est vrai que les spectacles indignes de tous ces candidats à la présidentielle, qu’ils soient européistes ou « souverainistes », qui nous récitent l’air du « plus patriote que moi tu meurs » et qui lancent des propositions illégales dans le cadre des traités européens qu’ils ne veulent pas dénoncer par ailleurs, ont de quoi décourager même les plus combatifs.

Pourtant, il nous faut exister et tenir, tenir et tenir encore, sur notre ligne qui est la seule digne et la seule efficace à terme, celle de la vérité. Il nous faut nous mobiliser et nous mobiliser encore, expliquer autour de nous patiemment, pourquoi et comment les Français se font manipuler, et pourquoi rien ne changera tant que nous resterons dans l’Union européenne. Nous n’avons pas d’autre choix.

J’avoue que c’est très difficile et que je suis inquiet. Car la situation s’aggrave continuellement et le verrouillage médiatique empêche actuellement qu’une issue raisonnable, sereine, pacifique, se fasse jour. C’est à mon avis jouer avec le feu car les Français n’ont pas une tradition historique de passivité perpétuelle. C’est un peuple qui est capable de se laisser entraîner dans le gouffre. Mais c’est aussi le peuple des révolutions brutales et inattendues.

Ne pensez-vous pas que le système capitaliste tel qu’on le connaît est simplement arrivé à son terme, sans qu’hélas on puisse pour autant lui proposer un quelconque système de remplacement ?

Je me garderai de répondre de façon trop tranchée à cette question.

D’une part parce que le système capitaliste ne me semble pas autant en crise terminale que certains le croient. Ce qui est vraiment en crise, c’est ce que l’on a appelé le « capitalisme financier ». Cette formule n’est pas tout à fait un pléonasme : elle vise les dérives auxquelles a conduit la dérégulation du capitalisme sous l’effet de la pensée ultra-libérale. Ce qui est en train de provoquer l’effondrement du modèle occidental, c’est la possibilité qui a été donnée aux détenteurs de capitaux (banquiers, fonds de pension, actionnaires des grands groupes) de déplacer sans contraintes leurs capitaux d’un bout à l’autre de la planète pour y rechercher le profit maximal instantané ou à court terme, et cela sans aucune considération pour leur patrie d’origine.

Jusque dans les années 80, cela n’existait pas. Cette déréglementation, baptisée « mondialisation inévitable » par ses promoteurs, a provoqué une mise en concurrence effrénée de l’allocation des capitaux au niveau mondial. Son seul effet – que nous constatons bel et bien – est d’entraîner la disparition rapide des industries dans les pays riches, ce qui ne peut profiter qu’au moins disant salarial, fiscal, sanitaire, environnemental à l’échelle planétaire.

Mais ce système pose un problème de fond : comment les populations des pays riches d’Occident pourraient-elles ne pas s’appauvrir massivement et voir leur niveau de vie rejoindre tendanciellement celui des trois quarts de l’humanité ? C’est pourquoi il est logique que cette forme de capitalisme soit en train d’amener un embrasement politique et social dans tous les pays occidentaux.

En revanche, il a provoqué un fort enrichissement d’une partie de la population dans certains pays (Chine, Asie du sud-est, Inde, Brésil, etc.), où l’on a vu apparaître une classe de capitalistes et, plus largement, une classe moyenne qui n’existaient pas auparavant. Vous noterez au passage que ces pays ont su, grosso modo, ne pas déréglementer à tout va les échanges de capitaux, de marchandises et de services. De telle sorte qu’ils bénéficient d’une ouverture asymétrique sur le monde qui les favorise puissamment.

En d’autres termes, le capitalisme se porte mal dans l’Occident capitaliste (sous sa forme de capitalisme financier), mais il se porte plutôt bien en Chine « communiste ». Nous avons affaire à l’une de ces ironies dont est friande l’Histoire universelle.

La seconde raison de ma réserve tient à la nature même de l’Union Populaire Républicaine que j’ai créée. Je rappelle qu’il s’agit d’un rassemblement de tous les Français, quelles que soient leurs opinions politiques, économiques, philosophiques, religieuses, qui veulent se mobilier sur notre plus grand dénominateur commun : rendre aux Français leur démocratie, ce qui passe nécessairement par la sortie de l’Union européenne et de l’euro.

Dès lors, je faillirais à mon devoir de président de ce rassemblement si je prenais des positions trop tranchées en faveur de telle ou telle option économique ou sociale. Je sais que l’UPR compte en son sein des adhérents de droite, du centre, et de gauche. Nous en avons qui sont pour une économie capitaliste libérale mais régulée, d’autres pour une économie mixte avec une forte implication de l’État, d’autres encore qui sont d’authentiques marxistes.

Je me réjouis énormément de cette grande variété d’opinions. Elle est exactement la même que celle qui prévalait au sein du Conseil National de la Résistance. Elle est la preuve que, lorsqu’il s’agit de la survie même de la France, les Français savent mettre de côté provisoirement leurs fameuses querelles « gauloises ». Lorsque nous aurons rendu sa démocratie et son pouvoir de décision à la France, chacun pourra rejoindre naturellement son camp et militer pour sa propre vision de l’économie.

Propos recueillis par Nicolas Valiadis pour le site www.agentsdentretiens.fr