Christine Lagarde et Mario Draghi : Un Discours oublié… et deux «Opérations Lapins blancs»?

Lecture : 13 min

d

Lorsque Christine Lagarde a été choisie pour succéder à Mario Draghi à la tête de la BCE, il m’est revenu en mémoire un souvenir. Je me suis rappelé que ladite Christine Lagarde avait été invitée par ledit Mario Draghi à la BCE en 2013. Au cours de cette visite, elle avait prononcé un discours public – assez « décalé » dans cette institution – , sur le thème de la « gender equality », c’est-à-dire de l’égalité des genres, ou, comme l’on dit plus souvent en français, de l’égalité homme-femme. Ou plutôt même de l’égalité femme-homme comme dirait Marlène Schiappa.

À la suite de ce discours, Mario avait couvert d’éloges Christine, avec une flagornerie que l’on a rarement observée chez lui. Il avait même tellement trouvé à son goût ce discours qu’il en avait tiré publiquement une leçon : « We will have objectives ». Traduction : « Nous allons nous donner des objectifs ». Et traduction implicite : « des objectifs quantifiés pour avoir plus de femmes accédant aux postes de haut niveau à la BCE ».

Ironie de l’Histoire, la promesse de Draghi, quant aux « objectives », a été remplie au-delà de ce qu’on pouvait attendre, puisque finalement c’est Lagarde, laquelle donc est une femme, qui lui succède. Sur le moment, le bon Draghi ne songeait peut-être pas qu’il serait exaucé à ce point-là…

Comme quoi, il faut toujours se méfier de ce que l’on dit. Son « we will have objectives » a eu droit à une matérialisation bien concrète. C’est dommage qu’il n’ait pas ajouté « whatever it takes » (« quoi qu’il puisse en coûter »), la plus puissante des formules magiques de son répertoire. Sait-on les effets qui auraient pu en découler ?

Un discours oublié

La récente élévation de Mme Lagarde au pouvoir suprême de la BCE m’a donné à réfléchir ; je vais dire pourquoi.

Mais, auparavant, je crois utile de souligner que l’anecdote a été plus difficile à retrouver sur l’internet que je ne m’y serais attendu. Voulant en retrouver la trace, je me suis tourné vers mon moteur de recherche. Et là, rien.

Ce n’est pas que je sois paranoïaque, mais tout de même ! Une chose pareille aurait dû en laisser, des traces, ne serait–ce qu’en raison des hautes positions des numéro un de la BCE et du FMI.

Or, après avoir examiné des centaines de photos du duo Draghi-Lagarde et parcouru des milliers de pages sur le duo Lagarde-Draghi, je n’avais rien trouvé et j’étais sur le point de croire que j’avais rêvé ou que l’événement avait été sciemment nettoyé, quand je dénichai enfin quelque chose. L’événement s’était, en tout cas, bien produit et il en restait au moins un témoignage sur Internet : http://www.katemillerphoto.com/blog/?p=1811 .

C’est une photographe qui présente en ligne les photos qu’elle est fière d’avoir prises lors de ce discours. Le commentaire de la photographe sur les deux photos de Lagarde à la BCE dit :

« Today I had the chance to photograph one of the most inspiring women I know of; Christine Lagarde, the Managing Director at the IMF. She was at the ECB to give a talk on diversity, and gave a most interesting view on how women “have to dare the difference and speak about it.”  »

Traduction : « J’ai eu aujourd’hui la chance de photographier l’une des femmes les plus inspirantes dont j’ai entendu parler ; Christine Lagarde, qui dirige le FMI. Elle était venue à la BCE pour donner un discours sur la diversité et a donné un point de vue des plus intéressants sur comment les femmes doivent oser assumer leur différence et en parler ».

  Le texte de cet intéressant discours – qui date du 19 mars 2013 à en croire la photographe – , semble malheureusement n’avoir été conservé ni à la BCE ni au FMI. Il est à craindre qu’il ne soit perdu pour l’éternité.

Une anecdote peut-être plus révélatrice qu’il n’y paraît

Ce discours de Lagarde de 2013 est un événement d’importance mineure, dira-t-on. J’ai pensé la même chose assez longtemps : jusqu’à la nomination de Mme Lagarde à la BCE.

Mais aujourd’hui, je trouve que cette information oubliée prend davantage de relief.

Une chose qui m’avait frappé sur le moment, c’est que je ne connais pas d’autre exemple d’un dirigeant de l’Eurosystème, ou d’un quelconque dirigeant financier invité par la BCE, qui fasse des discours à teneur morale plutôt que technique.

Sur le moment, j’avais ressenti cela comme une bizarrerie.

J’avais pensé, à l’époque, que cette « opération de com » faisait partie d’une stratégie pour mettre Mme Lagarde en orbite pour la présidentielle française à venir en 2017. En effet, un discours tenu dans un lieu prestigieux, portant sur une valeur ô combien politiquement correcte, et acclamé par le gratin des élites européistes, cela avait de quoi faire pleurer dans les chaumières et entretenir, voire créer, chez l’électeur l’idée que Christine Lagarde était légitime à briguer la magistrature suprême de notre pays.

Cette anecdote du discours me plonge dans un abîme de doute et de perplexité et me conduit à me poser des questions : et si la « nomination surprise » de Christine Lagarde « obtenue par Macron » n’était qu’un conte de fées ?

Et si cette nomination avait été prévue de longue date, par ceux-là mêmes qui ont prévu et organisé de longue date l’élection de Macron à l’Élysée en 2017 ?

Et s’il y avait bien eu une tentative de mise sur orbite de Lagarde pour 2017 ?

Et si ceux qui y avaient renoncé y revenaient, devant la catastrophe que Macron s’est en fin de compte révélé être ?

« L’Opération Lapin blanc »

Et enfin, si cette nomination à la BCE, en 2019, participait bien d’une stratégie de mise sur orbite du prochain candidat de la pensée unique à la présidentielle française de 2022 ?

Après tout, un stage de quelques années au FMI (comme numéro un) suivi d’un stage de quelques années à la BCE (comme numéro un aussi), ça en jette bien plus qu’un simple stage de ministre français de l’Économie. Et s’il faut en croire Jacques Attali, qui en parle comme si c’était lui qui avait pris la décision, le prochain président devrait être une femme.

Si Mme Lagarde, une fois en poste, intervient moins sur la politique monétaire que sur les Grandes Questions de Notre Temps, si elle est plus prompte à soutenir la rigueur budgétaire allemande, en même temps que les ONG de secours aux migrants en Méditerranée, plutôt qu’à valider le design de la prochaine VVLTRO, si « on » lui attribue au passage un ou deux Prix à forte valeur morale ajoutée (je verrais bien le Prix Nobel de la Paix, ou mieux encore le Prix Charlemagne…), eh bien je pense que nous serons fixés sur les desseins de l’oligarchie.

En attendant, les « complotistes » pourront lire avec intérêt un article paru le 11 juillet dans le magazine Challenges, qui informe son public, avec un ravissement non dissimulé, de l’existence d’une « opération secrète » au joli nom de code “Lapin blanc”, qui devait pousser Christine Lagarde à l’élection présidentielle de 2017…  https://www.challenges.fr/politique/en-toute-indiscretion-11-07-19_663860

Et Draghi ?

Une question que les esprits curieux peuvent se poser concerne la suite des aventures de Draghi lui-même.

Si l’on examine ce qu’il est arrivé à ses deux prédécesseurs, on ne doit pas en attendre grand-chose.

Le premier président de la BCE, surnommé le « père de l’euro », le Néerlandais Wim Duisenberg, a été retrouvé mort dans la piscine de sa résidence secondaire située à Faucon (Vaucluse) le 31 juillet 2005, un an et neuf mois après avoir quitté ses fonctions à la tête de la BCE. L’enquête a conclu à une « mort naturelle due à une noyade suite à un problème cardiaque ».

Le deuxième président, le Français Jean-Claude Trichet, coule une heureuse retraite, qu’il occupe en partie, depuis 2012, en présidant le « groupe européen » au sein de la Commission trilatérale, organisation privée créée en 1973 à l’initiative des principaux dirigeants du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, parmi lesquels David Rockefeller, Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski.

Dans ces conditions, que va devenir Draghi ? La suite logique devrait être le « cimetière des éléphants », comme on dit à la BCE (mais pas en présence de l’éléphant concerné).

Il a toutefois un « fan club », ce que n’avaient pas ses deux prédécesseurs.

Ses aficionados évoquent la possibilité qu’il récupère le siège de Lagarde au FMI (ceci, depuis que la nomination de Lagarde a été annoncée) ou bien qu’il devienne en 2022 président de la République italienne (cela, depuis un peu plus longtemps).

C’est du moins ce qu’a publié il y a quelques jours un éditorialiste italien, inconditionnel de Draghi, sur le site de la très sérieuse et renommée agence financière new-yorkaise Bloomberg (https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-07-04/draghi-should-replace-lagarde-at-the-imf). Le chroniqueur évoque ces deux possibilités, tout en expliquant avec désolation pourquoi la première des deux ne peut pas se produire, du fait de la limite d’âge.

Une « Opération Lapin blanc » à l’italienne ?

Mais Draghi au Quirinal, siège de la présidence italienne ?

En fait, je n’y crois pas tellement. Mon impression personnelle est plutôt que l’avènement des « populistes » en Italie a tellement désorienté les européistes italiens qu’ils imaginent n’importe quoi et se raccrochent à n’importe quoi. Et pourquoi pas un « deus ex machina », Draghi au Quirinal, pour contrecarrer l’euroscepticisme de Salvini ? Cela me semble bien peu probable, compte tenu du processus de nomination du chef de l’État italien, élu par les parlementaires. Mais sait-on jamais ?

Il va y avoir bientôt moyen de se faire une opinion un peu plus sérieusement fondée. Car Draghi va devoir choisir la suite de sa carrière avant la fin de l’année, puisqu’il quitte ses fonctions le 31 octobre. 

S’il choisit une solution qui ne préserve pas son capital de notoriété internationale (retourner à l’Université, siéger au conseil d’administration de quelques banques, être salarié par quelque obscur think-tank européiste, voire, tout bêtement, prendre sa retraite) alors nous saurons qu’il n’y a rien d’autre que les rêves éveillés des quelques admirateurs de Draghi.

Si au contraire il prend un poste international et prestigieux, ou s’il se fait nommer sénateur à vie en Italie (où cette possibilité existe en effet), alors ces histoires de Draghi au Quirinal pourraient ne pas être entièrement des fantasmagories. Nous verrons assez tôt ce qu’il en est.

Vincent BROUSSEAU,
corédigé avec François ASSELINEAU
18 juillet 2019